Coutances (Manche). Lundi 18 mai 1829. Midi un quart.
Jacques Vaultier, 37ans, terrassier, est guillotiné pour l’assassinat de
Charles Lebaron.
— Archives nationales. Grâces des condamnés à mort (1826-1899)
VAULTIER (Jacques), assassinat, Manche,
24/03/1829.
BB/24/20/04 dossier : 5632.
— Le condamné figure au Palmarès (1792-1831). Orthographié Vautier : http://guillotine.voila.net/Palmares1792_1831.html
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D’après un long article de Pierre Bouchardon
M. Le bourreau est susceptible, paru dans la revue
Lectures pour tous, en janvier 1929.
Le 16 décembre 1828, Charles Lebaron, corroyeur, était trouvé sans vie, dans son écurie, à Hébécrevon, (Manche), petit village des environs de Saint-Lô. Avait-t-il été tué par une ruade d’une des bêtes ? De prime abord, on le crut, mais un examen du corps permit des constatations anormales : « les pans de sa chemise portaient l’empreinte de doigts ensanglantés mais ses mains étaient vierges de toute tache rouge » et, fait capital, « les os du crâne étaient réduits en bouillie et la face apparaissait toute couverte de meurtrissures »
Appelés par le parquet de Saint-Lô, les docteurs Giffard et Leterreux déclarèrent que Charles Lebaron avait été victime d’un crime. Les soupçons se portèrent sur Jacques Vautier, employé du corroyeur. Il avoua rapidement. D’après lui, l’épouse de la victime, Cécile-Françoise Leboucher, le sollicitait depuis longtemps pour faire disparaitre son mari. Il avait cédé dans la nuit du 15 décembre, après un plan mis au point par l’épouse. Ce soir-là, Cécile-Francoise l’accompagnant, il entra dans la chambre où dormait Lebaron et lui asséna un violent coup de massue sur la tête. Lebaron put tout de même se lever, mais il finit par s’écrouler près de la cheminée. L’épouse lui porta alors de multiples coups de sabot sur le crâne pour être certaine de sa mort.
Ils l’habillèrent, couvrir son crâne de deux mouchoirs afin que le sang ne tache pas le sol pendant qu’ils le transporteraient à l’écurie. Ce qui fut fait. lls revinrent dans la maison, remirent de l’ordre dans la chambre, nettoyèrent des taches de sang qui maculaient le sol.
Cécile-Françoise Leboucher s’était mariée contre son gré. Elle n’aimait pas son mari. Par de fausses accusations sur son comportement, elle avait essayé d’obtenir une séparation de corps. En vain. Enfin, elle avait proposé à Vautier, de faire disparaitre son mari en échange d’argent. Je vous aiderai, lui avait-elle dit.
Arrêté, après les accusation de Vautier, elle nia, traitant ce dernier d’imposteur. Mais un témoignage capital fut porté aux enquêteurs : Thomas Lemoussou, cultivateur, déclara que peu avant minuit, passant devant la cour de la maison des Lebaron, il avait entendu cette phrase : «
Oh ! v’la du monde ! j’allons être pris. » Il aperçut alors dans la cour Cécile-Françoise Lebaron qui portait un long paquet par un bout, et un homme le portant à l’autre bout. Intrigué, il attendit. Quelque temps après, il vit revenir le couple, les mains vides, vers l’entrée de la maison et entendit : «
Nous vl’a garantis !. »
Une découverte aggrava encore les soupçons sur la culpabilité de Cécile-Françoise Leboucher : deux mouchoirs ensanglantés furent trouvés dans l’un de ses tabliers. Elle se défendit, accorda qu’elle avait aidé à transporter le corps, mais qu’elle n’avait été que passive dans ce crime, qui l’avait horrifié. Comme Vautier, elle fut incarcérée.
Le procès des deux accusés s’ouvrit aux assises de Coutances le 24 mars 1829.
Charles Renault, conseiller, en assumait la présidence. Le baron Boullenger, procureur général, près la cour royale de Caen, soutenait l’accusation. Maître Dudouyt assurait la défense de Jacques Vautier et maître Robert celle de Cécile Françoise Leboucher.
Les deux accusés campèrent chacun sur leur version du drame. A plusieurs reprises, l’audience fut troublée par des manifestations du public, hostile aux accusés — même le réquisitoire et les plaidoiries.
Maître Dudouyt demanda d’écarter la préméditation pour Vautier.
Maître Robert : «
je ne puis m’empêcher de le dire bien haut, je crains l’effet d’une dangereuse réaction sur vos consciences. Des rumeurs populaires se sont fait entendre ici même, avant qu’ait sonné l’heure de la justice. Et tels sont, dans cette lamentable affaire, les préjugés et les partis pris, qu’on dirait vraiment que les portes de cette enceinte se sont ouvertes, juste pour donner le temps à deux malheureux d’entendre prononcer l’arrêt fatal. »
La peine de mort fut prononcée pour les deux accusés, comme l’avait demandé le procureur général.
Au mois de mai, Cécile-Françoise Leboucher se déclara enceinte. Un examen confirma son état. L’exécution ne pouvait donc se faire qu’au terme de la grossesse. Le 18 mai, Vautier fut exécuté. L’abbé Delaunay, chargé d’assister les condamnés à mort, écrivit alors une lettre à un correspondant, lui décrivant les derniers moments de Vautier et son exécution.
Extrait de la lettre de l’abbé Delaunay Représente-toi, mon cher ami, Vautier assis dans son cachot, tenant alors en ses mains une corde attachée au milieu d'une barre de fer qui tenait ses pieds à dix-huit pouces de distance. Un maréchal, avec une enclume, faisant sauter en éclats, à grands coups de marteau, la rivure de ses fers. J'arrivai fort à propos pour le consoler. Chaque coup de marteau qui portait à faux le faisait sauter de dessus sa chaise et me faisait à moi-même une impression que je ne puis rendre.
Enfin trois bourreaux vinrent pour lui faire ce qu'on nomme la toilette ; cela consiste à lier fortement les mains derrière le dos, à couper les cheveux, à. morceler la chemise et les habits, en forme de rotonde, jusqu'au-dessous des épaules. On lui mit un mouchoir autour du cou et son chapeau sur la tète. « Voilà ce que c'est, dit le bourreau ; partons maintenant. »
« A l'instant s'ouvre la grande porte. Je pris d'une main le crucifix, comme il est d'usage, et, de l'autre, je soutenais mon pauvre patient. Nous nous mîmes en route. Voici quel était l'ordre : trois gendarmes à cheval ouvraient la marche et deux la fermaient ; immédiatement à nos côtés, deux haies de gendarmes à pied, le sabre nu : devant nous, à quelques pas, deux bourreaux, celui de Caen et celui de Coutances ; derrière nous, le domestique. »
Le domestique ! Quel vocable dédaigneux pour désigner l'aide ordinaire de M. de Coutances !
« Il était alors midi moins dix minutes. Nous traversâmes la place d'un pas soutenu. J'exhortais mon patient avec un calme dont il est difficile de se rendre compte. Il ne cessa, pendant tout le trajet, de témoigner les sentiments de la plus parfaite résignation.
« Arrivé au pied de l'échafaud, je l'engageai à ne pas lever les yeux, pour ne pas être effrayé de l'appareil : « Voulez-vous, lui « dis-je, que je monte avec vous ? -— En auriez-vous le courage ?
— Oui.
Et déjà nous avions franchi les marches ; nous étions sur le bois fatal. « Je vous remercie, me dit-il, de tout « ce que vous avez fait pour moi, je meurs « content. » Je lui présentai le crucifix ; il y colla ses lèvres, puis je l'embrassai, et je ne le vis plus ! Je n'avais fait que quelques pas, lorsque j'entendis le coup.... C'était pour lui le coup de la mort, et pour moi….grand Dieu ! » * Un mois après Vaultier, le 17 août 1829, Cécile Françoise Leboucher montait sur l’échafaud, accompagnée par l’abbé Delaunay. Elle avait vingt-quatre ans. Son acte de décès mentionne qu’elle fut exécutée à midi et quart, à la même heure que Vaultier, et au même lieu, rue Froide. Les deux déclarants du décès, menuisiers, étaient les mêmes que pour le décès de Vautier.
— Archives nationales : Grâces des condamnés à mort (1826-1899)
LEBOUCHER (Cécile-Françoise), Veuve LEBARON, crime passionnel, Manche, 24/03/1829.
BB/24/2004 dossier : 5632 S7.
— Exécution non portée au Palmarès 1792-1831.
— Le titre de l’article de Pierre Bouchardon tient aux faits suivants :
Le récit de l’abbé Delaunay à son correspondant parut dans le presse. D’abord dans
l’Echo de la Manche puis ensuite
Le Journal de Caen. Mécontent, M. de Caen assigna l’imprimeur de ce dernier journal en justice, lui réclamant 200f de dommages et intérêts pour chef d’injure envers un dépositaire de l’autorité publique. Motif : dans l’article du journal, M. de Caen était qualifié plusieurs fois de
bourreau, alors que son qualificatif était
exécuteur des arrêts criminels. L’affaire fut jugée à Caen le 16 juin 1829. L’imprimeur du
Journal de Caen, M. Chalopin, fut acquitté et M. Jouane, Monsieur de Caen, exécuteur des arrêts criminels, débouté et condamné aux dépens.
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L' Article de Pierre Bouchardon :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54210210.image.langFR.r=LECTURES%20POUR%20TOUS >
Page 27.
* Hébécrevon a été anéanti par les bombardements américains de juillet 1944, où opérèrent plus de 1500 bombardiers de l’US Air force au cours de l’opération COBRA. Voir : http://www.dday-overlord.com/operation_cobra.htm[/b][/b]