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Forum consacré à l'étude historique et culturelle de la guillotine et des sujets connexes
 
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 Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881

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Adelayde
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MessageSujet: Les assassins "poètes", "écrivains"...   Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881 EmptyMar 14 Fév 2017 - 15:30

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MessageSujet: Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881   Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881 EmptyMar 14 Fév 2017 - 17:31

LUCIEN MORISSET, UN POÈTE ASSASSIN

*******

Nous sommes le 17 juin 1881, à Tours. C'est le soir. Une des plus belles journées de l'année se termine. Il fait doux et encore clair. Aussi les promeneurs sont-ils nombreux dans les rues, ils s'attardent, ils flânent. Et, parmi eux, qui remarquerait un tout jeune homme qui, lui aussi, marche tranquillement ?
Car, en apparence, ce jeune homme n'a rien de spécial. Il est correctement vêtu, il fait un peu plus que ses seize ans, il est plutôt joli garçon, malgré son air timide et renfermé. Et pourtant, dans quelques minutes, il va devenir un assassin. Il le sait, il l'a décidé et rien ne pourra l'en empêcher... Il presse la main sur la crosse du revolver qu'il a dans sa poche. Il est toujours aussi calme.

Si le crime qui va se produire a frappé les contemporains par son aspect insolite hors du commun, il est plus remarquable encore par ses motivations. Des motivations complexes, profondes, troubles. Pour les comprendre il va falloir pénétrer dans l'intimité d'un adolescent du siècle dernier, celui des romantiques...

Lucien Morisset est né en 1864, dans une famille de la petite bourgeoisie du Loir-et-Cher. L'enfant n'a pas connu sa mère, qui est morte en lui donnant naissance. C'est donc le père qui s'est chargé de l'élever et qui lui a fait donner une bonne éducation. Une bonne éducation, primaire s'entend, car à l'époque, dans ce milieu, on ne pouvait songer à autre chose.

Au cours de ses études, le jeune Lucien se montre brillant. Son instituteur fait tout pour le pousser. C'est son meilleur élève. II est d'une intelligence très au-dessus de la moyenne, sa mémoire est exceptionnelle et son imagination très vive. Si on ajoute à cela qu'il est très travailleur, qu'il a une véritable passion pour l'étude et plus particulièrement une soif de lecture incroyable, l'hésitation n'est plus permise : il faut que Lucien aille plus loin, qu'il entre au lycée, qu'il fasse des études littéraires sérieuses. Mais, malgré l'insistance de l'instituteur, le père ne veut rien entendre. L'instruction primaire, c'est bien suffisant pour devenir clerc de notaire. Car Lucien Morisset sera clerc de notaire ! Et, à treize ans, après son certificat, il est placé à Tours, dans l'étude de maître Morn, pour faire des écritures.

Lucien, qu'on vient d'arracher à ses chères études, ne se révolte pas. Ce n'est pas son caractère. Il se soumet : il sera bon clerc de notaire comme il a été bon élève... Il se montre même un employé modèle : toujours ponctuel, poli et travailleur. Mais en lui-même, et sans que personne s'en doute, il s'est fixé un grandiose programme d'avenir qu'il va commencer dès cet instant à mettre en application dans le plus grand secret. Il lui faut d'abord continuer à s'instruire. II ne sera jamais bachelier, bien sûr, mais, du moins, il veut aller plus loin. Et il se met à dévorer tous les livres qui lui tombent sous la main : de la poésie, des romans, de la philosophie. Il lit le soir, en rentrant du travail, et tôt le matin, avant de s'y rendre. Personne ne remarque rien, car Lucien est toujours à l'heure. Non, personne ne peut se douter que cet enfant de quatorze ans a entrepris une tâche presque impossible : continuer ses études jusqu'à la limite de ses forces, tout seul, sans maître, sans orientation, sans guide...

Deux ans ont passé. Lucien Morisset vient juste d'avoir seize ans. Et il décide alors de passer à la seconde partie de son programme. Après avoir étudié, il va pouvoir créer, il va devenir poète. Il va égaler et même dépasser tous ceux qu'il a admirés au cours de ses innombrables lectures. Et chaque nuit, dans sa chambre, à la lumière d'une bougie, Lucien fait des vers. Il en fait des milliers et des milliers. Il a découvert sa vocation...

(À suivre...)

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Dernière édition par Adelayde le Mar 28 Fév 2017 - 17:04, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881   Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881 EmptyMar 14 Fév 2017 - 19:53

Cela dure six mois de fièvre enthousiaste pendant lesquels il a la sensation de faire l'œuvre de sa vie. Et, au bout de ces six mois, Lucien se relit. Il se juge sans complaisance, car l'esprit critique est aussi une de ses qualités intellectuelles... Non, franchement, il n'est pas Victor Hugo, Musset ou Lamartine. Il n'est même pas poète du tout ! Et Lucien jette ses vers au feu.
Alors, tout à coup, il se sent terriblement seul. Et il n'a pas tort... C'est vrai qu'il est seul depuis le début ! C'est seul qu'il a entrepris de continuer ses études. C'est seul encore qu'il a voulu devenir poète, alors que personne ne lui demandait rien. Et c'est seul qu'il a échoué...

Lucien reprend sans goût, sans joie, le chemin de l'étude. Et c'est alors qu'il se souvient d'une de ses lectures. Ce n'était qu'un petit livre parmi tous les autres, mais ce livre l'a tellement marqué qu'il ne parvient pas à l'oublier. Il s'intitulait Les Mémoires de Lacenaire.

Pierre François Lacenaire est une figure bien étrange. Né en 1800, il a été guillotiné en 1836 pour le meurtre sordide d'un homosexuel et de sa mère. Dans sa courte existence, il a fait tous les métiers : avoué chez un notaire, écrivain public, joueur professionnel, journaliste, chansonnier. Mais il s'est senti rejeté par la société, et, un jour, il a décidé de se faire connaître, de s'imposer par le crime. Peu lui importait la victime. Il a tué presque au hasard, tué pour tuer, tué uniquement pour devenir un assassin. Entre sa condamnation à mort et son exécution, Lacenaire a eu le temps d'écrire ses Mémoires. Il y dit par exemple :
« Croyez-vous que c'est l'appât de l'or qui m'avait poussé au crime ? Oh, non ! C'était une sanglante justification de ma vie, une sanglante protestation contre cette société qui m'avait repoussé. »

Parmi ses contemporains, et même dans la génération qui a suivi, Les Mémoires de Lacenaire ont eu un grand retentissement et ils ont exercé sur beaucoup une incontestable fascination.
Comment ne pas comprendre alors que Lucien Morisset, dont l'intelligence a grandi trop vite et d'une manière désordonnée, ne soit pas lui aussi fasciné par Lacenaire ? Bien sûr, si quelqu'un était là pour le conseiller, le mettre en garde, tout pourrait encore être évité. Mais Lucien est seul. Et, malgré les connaissances qu'il a accumulées, entassées, son jugement est encore celui d'un enfant.

Comme son idole Lacenaire, Lucien se met, lui aussi, à écrire ses idées sur le crime. Voici ce qu'on lit à cette époque dans son journal :
« Je suis dégoûté de cette ignoble et rampante société. On peut verser son sang à flots : il est trop pâle pour tacher les maisons... Il n'y a pas de Dieu, il y a la force universelle... Je crois que le bien est la conséquence du mal, que l'homme n'est pas responsable de ses actions et que les conséquences du crime sont avantageuses à la société. »

C'est ainsi que, dans l'esprit de Lucien Morisset, une idée finit par s'imposer : non, il ne sera ni poète, ni prosateur. Il sera... assassin ! A partir de ce moment, Lucien se met à voler. Ce sont d'abord de petites sommes qu'il prélève dans l'étude de maître Morin. Puis, comme tout se passe bien, il s'enhardit. Il ouvre les tiroirs à l'heure du déjeuner. Il dérobe ainsi, en toute impunité, jusqu'à 5 000 francs…

(À suivre...)

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MessageSujet: Re: Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881   Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881 EmptyMar 14 Fév 2017 - 21:40

Il ne faut pas croire que Lucien vole pour voler. Tout cet argent, il ne sait qu'en faire. Il se hâte de le dépenser n'importe comment au cours de folles nuits dans les cabarets de Tours. Tout cela ne lui plaît pas, ne l'amuse même pas. Il en revient chaque fois avec un sentiment de vide et de dégoût. En fait, Lucien vole pour se faire découvrir pour se faire prendre par son patron, maître Morin. Et, ce jour-là, il le tuera. Il a d'ailleurs acheté un revolver qui ne le quitte plus. Il attend donc l'explication avec maître Morin, le moment où il pourra sortir son revolver et le tuer.

Lucien s'est fait une telle réputation d'honnêteté que trois mois se passent sans qu'on songe à l'inquiéter. Qui pourrait raisonnablement soupçonner ce garçon si tranquille, si timide, si travailleur ? A la fin, pourtant, on commence à se poser des questions. Et, au début de juin 1881, on congédie Lucien, sans toutefois l'accuser formellement. On invoque un prétexte : on lui laisse le bénéfice du doute. Sans un mot, Lucien s'en va. Dès cet instant, sa décision est prise. Il ne cherchera pas d'autre place. Il va dépenser tout ce qui lui reste de ses vols et quand il n'aura plus rien, il ira tuer maître Morin.
Le 17 juin 1881, n'ayant plus que 70,35 francs en poche, Lucien Morisset prend le chemin de l'étude de maître Morin... C'est le soir. Il se dirige sans hâte vers la maison de son ancien patron. Il est calme. Il est même tranquille, il n'a pas encore dix-sept ans et il va tuer !

Tel est le passé de ce jeune homme qui parcourt les rues de Tours, telles sont les pensées qui l'habitent, en cette belle soirée de juin... Mais, en chemin, il se passe quelque chose d'imprévu... Lucien croise une bande de jeunes gens. Ils ont déjà bien commencé la soirée, ils sont d'excellente humeur et ils chantent une chanson en vogue : « Le beau Nicolas », dont le refrain est « Ah, ah, le voilà ! » Lucien, qui n'est calme qu'en apparence, se sent tout à coup pris de panique. Comment ont-ils découvert que c'était lui ? Ils savent tout et, en plus, ils se moquent de lui !
Alors Lucien sort son revolver. Et il tire, il tire encore. Deux jeunes gens sont blessés : Raphaël Monsnier, menuisier, d'une balle dans la cuisse gauche, son frère Hervé, sabotier, d'une balle au mollet.

Lucien s'enfuit et parvient à s'échapper. Mais, maintenant, tout a changé. Il a bien vu qu'il n'avait que blessé. Il n'est donc pas encore un assassin. Et on lui court après, le temps presse. Il faut donc tuer tout de suite, avant qu'on ne l'arrête. Tuer n'importe qui, la première personne qu'il rencontrera. Tant pis pour maître Morin ! Maître Morin qui ignore en ce moment que le hasard vient de lui sauver la vie.

La première personne que Lucien rencontre est un comptable aux chemins de fer de trente et un ans, M. Dormier. Lucien tire deux fois. Les deux balles sont mortelles. L'homme est tué sur le coup... Cette fois, c'est fait. Lucien Morisset est devenu un assassin. Un agent de police l'arrête...

(À suivre...)

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MessageSujet: Re: Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881   Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881 EmptyMer 15 Fév 2017 - 19:16

Dès son premier interrogatoire, Lucien avoue tout : son plan, ses idées sur le crime, la façon minutieuse avec laquelle il a tout prémédité. Devant les policiers, il parle encore de Lacenaire. Il s'enthousiasme, il s'enflamme.
« C'était un homme splendide, une puissante individualité ! Son œuvre conduit à des déductions énormes. J'ai, comme lui, de grands élans de sensibilité et je ne vois jamais sans émotion un veau conduit à l'abattoir ou un chien lancé dans la Loire. Mais, comme Lacenaire, je déteste la société. »

Et Lucien prend des poses. Il joue un rôle, il fait du théâtre. Il semble dire à tout le monde :
« Regardez-moi bien, je ne suis plus Lucien Morisset, le petit clerc de notaire, le poète raté, je suis Lucien Morisset, le grand assassin ! »

Dans sa prison, Lucien écrit beaucoup. Pas des lettres, bien entendu. A qui écrirait-il ? Il écrit pour lui-même, comme il l'a toujours fait. Et, là encore, il pose. Il évoque avec complaisance son destin tragique. Voici ce qu'il consigne dans son journal :
« Finirai-je comme Lacenaire ? Quand j'interroge fortement ma conscience, elle me répond : c'est possible. Poète, voleur, assassin : la gradation est singulière ! Et je me dis tout bas, bien bas : j'ai déjà fait la moitié du chemin. »

Il va sans dire que, dans ces conditions, l'instruction ne dure pas longtemps. Il n'y a même pratiquement pas d'enquête. Un coupable qui est pris sur le fait et qui passe des aveux complets : que demander de plus ?

Un seul point cependant reste à éclaircir, et c'est le point capital : l'état mental de Lucien Morisset. L'expertise est confiée à l'illustre psychiatre de la Salpêtrière, le professeur Legrand du Saule. Le rapport qu'il dépose quelques semaines plus tard entre les mains du juge d'instruction mérite qu'on s'y attarde :
« Lucien Morisset n'est pas fou, commence le professeur. Il n'est pas prédisposé héréditairement à la folie. Il a toujours été sobre : il n'est ni épileptique, ni halluciné, ni délirant, ni impulsif Aucun médecin en France ne le garderait dans un asile d'aliénés. Il est donc conscient et responsable.
Toutefois, ajoute-t-il, Morisset a manqué d'éducation morale. Il n'a jamais connu sa mère. Il a été livré trop tôt à lui-même et s'est mal orienté dans la vie. En voulant acquérir un degré d'instruction auquel il n'était pas préparé, il s'est surmené intellectuellement. Il est intelligent, mais ambitieux et orgueilleux. Il a vécu d'illusions et n'a pas supporté de les voir s'écrouler. De plus, sous l'influence de lectures détestables, il s'est forgé une morale à son propre usage. Il est devenu un pervers. »


Et Legrand du Saule conclut :
« En considération de la fatigue cérébrale que Morisset s'est imposée, des exagérations passionnelles auxquelles il s'est laissé conduire et des circonstances insolites des actes commis, il se peut réellement que la responsabilité de l'accusé ait été atténuée. »

Aujourd'hui, il n'est pas du tout certain que les spécialistes ne concluraient pas à l'irresponsabilité. Cette coupure progressive avec la réalité, qui se manifeste chez le jeune criminel, laisse soupçonner une évolution vers la schizophrénie. En outre, la réaction au "Ah, ah, le voilà !" de la chanson « Le beau Nicolas » semble indiquer un délire de persécution... Il n'en reste pas moins que le rapport du professeur Legrand du Saule est empreint d'une grande humanité...

(À suivre...)

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MessageSujet: Re: Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881   Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881 EmptyJeu 16 Fév 2017 - 19:01

Le procès de Lucien Morisset s'ouvre au début du mois de septembre 1881.

Dès la première séance, le public, les juges, les jurés sont frappés par l'attitude de l'accusé. Il est hautain, arrogant et cynique même. On dirait qu'il fait tout pour se rendre antipathique et odieux. En fait, il continue à jouer le rôle qu'il s'est imposé. Comme Lacenaire, il est devenu un assassin ; maintenant, comme Lacenaire, il doit être condamné à mort et exécuté.

Lucien contemple avec une froideur voulue le défilé de ses victimes. Il n'a pas un mot de regret ni un regard de pitié pour les deux jeunes gens blessés, ceux qui chantaient la chanson du « Beau Nicolas ». Il manifeste la même indifférence envers la famille de M. Dormier, qui a eu le malheur de se trouver en face de lui un soir de juin.
Mais, quand le professeur Legrand du Saule est appelé à la barre, Lucien s'anime. Il sait que le professeur veut le sauver. Alors, dans un sursaut de désespoir, il repousse cette main qui se tend vers lui, la première, peut-être, et la dernière, peut-être aussi.
- Monsieur le président, je réclame la parole !

Le président la lui donne.
- Je déclare que je ne cherche ni atténuation ni excuse. Ce que j'ai fait, je l'ai parfaitement voulu. J'ai trop conscience de mes actes pour revendiquer la folie. Morisset juge condamnerait Morisset assassin. J'ai tué M. Dormier, la loi a prévu le cas. Il n'y a pas d'hésitation à avoir !

Malgré tout, le professeur Legrand du Saule fait sa déposition. Le président s'accroche avec lui. Il ne comprend pas ce que signifie la notion de « responsabilité atténuée ». Un dialogue très serré s'engage entre les deux hommes.
Dans la salle, tout le monde se tait. Chacun a la sensation que c'est dans cet échange de répliques que se joue la tête de l'accusé.

Legrand du Saule ne modifie en rien sa déposition et il conclut avec fermeté :
- Je persiste à voir dans les travaux intellectuels exagérés de l'accusé, dans les anomalies de son jugement, dans les tentatives d'assassinat sur des inconnus et dans le meurtre même de M. Dormier, également inconnu de lui, des motifs de responsabilité atténuée.

Au cours des plaidoiries, le procureur demande la peine de mort et l'avocat plaide la folie.

Le jury délibère pendant une heure et demie avant de revenir avec son verdict : l'accusé est coupable sans circonstances atténuantes. Il est condamné à mort... Pour la première fois, Lucien sourit. Il s'incline et salue les juges.

Lucien Morisset a été gracié par le président de la République et sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité, soit en raison de son jeune âge, soit en raison des doutes qui subsistaient sur son état mental. Il n'aura pas eu le destin de Lacenaire...

On ne sait pas ce qu'il est devenu et c'est dans l'anonymat le plus complet que s'achève son histoire. Une histoire tragique, qui n'était, au fond, que celle d'une solitude.

Source : http://www.djazairess.com/fr/

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MessageSujet: Re: Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881   Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881 EmptySam 18 Fév 2017 - 14:44

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Tribunal de 1ère instance de Tours - Dossier de Lucien Morisset

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MessageSujet: Re: Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881   Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881 EmptyLun 27 Fév 2017 - 13:56

Condamné à mort en 1881 mais gracié, Lucien Morisset a purgé une peine perpétuelle au bagne de Nouvelle-Calédonie. Il n'y est décédé qu'en 1913, soit trente-deux ans plus tard : extraordinaire !

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MessageSujet: Re: Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881   Lucien Morisset, un "poète" assassin - 1881 EmptyMar 28 Fév 2017 - 17:01

CHRONIQUE JUDICIAIRE
COUR D'ASSISES D'INDRE-ET-LOIRE.
- - - - - - -
Un admirateur de Lacenaire.

C'est  un sentiment  de  profonde  tristesse  que  l'on éprouve  en  lisant  les  débats  de  l'affaire  Morisset. Même  dans  le  procès  de  Lebiez  et  Barré,  condamnés  à  la  peine de  mort  par  la  cour  d'assises  de  la  Seine et  exécutés,  on  n'avait  point  trouvé  un  tel exemple des ravages  que  les  doctrines  matérialistes  peuvent faire  dans  le  cœur  des  jeunes gens,  des  inexpérimentés  qui  poussent  avec  une incroyable  logique,  jusqu'à  ses  dernières  conséquences,  l'épouvantable  principe  darwinien  du Struggle for life (Lutte pour la vie)

Les  débats  de  ce  procès  sont  concluants,  aussi nous garderons-nous  bien  d'y ajouter un  seul  commentaire.  Nous  préférons les placer  aussi  complets  que  possible  sous les yeux  de  nos   lecteurs.

L'acte d'accusation,  que nous  ne  donnerons  pas,  car il ferait  double  emploi  avec  l’interrogatoire,  peut  se résumer  en  cinq  lignes.  Morisset,  placé  comme  petit  clerc  dans  l'étude  de  Me Galpin,  notaire  à  Tours,  après  avoir  volé  son patron,  tire,  dans un accès  de  fureur,  des coups  de revolver sur des  gens qui,  croyait-il,  se moquaient  de  lui  et,  ne  voulant  pas  aller  en prison  pour  des vétilles, tue la première  personne  qu'il  rencontre.

Ses  réponses  à  M.  le  président  Pelletier  feront  connaître  dans tous  leurs  détails  ces faits  que  nous  venons de  résumer.

D. —  Vous  êtes  né  à Saint-Hilaire  de Gravelle (Loir-et-Cher)  ;  votre  famille  est entourée  de  la  considération  publique.  Vous  avez  perdu  votre  mère  de bonne heure  ?

R. —  J'avais deux   ans.

D. —  Votre  père  vous a donné  une bonne éducation  primaire  ?

R. —  Oui,  monsieur.  

D. —  Lorsqu'il  a été  question  de  faire  votre  première  communion,  vous  avez  reçu  des  leçons  particulières.  Vous avez  été  jeté  dans  le  monde  avec  une  éducation  qui  vous  permettait  de bien faire  ?

R. —  C'est possible.

D. —  Vous  êtes  fort  intelligent.  Vous  avez  reçu  de  la Providence  une  intelligence heureuse. Ce  n'est  pas  moi  qui  le dis,  ce sont  les  témoins.  Vous  pouviez  passer  parmi  ceux  qui ne  sont  point  les  déshérités  de  ce  monde.  Tout  vous  souriait. A quatorze ans  vous  quittiez  votre famille  pour  être  clerc  chez  Me  Morin,  notaire  à  Tours.  Vous  avez trouvé  chez lui  une affection vraie,  des  enseignements  moraux  et  de  bons  exemples.  A  dix-sept ans,  vous avez tenté  de vous suicider.

R. —  Je  m'ennuyais  de la  vie,  je  trouvais  le fardeau  lourd.

D. —  A dix-sept  ans  !  Pourquoi  ce  fardeau  lourd  ?

R. —  Je  ne voyais  pas  pour  moi un bel avenir,  et  alors je  résolus  de me suicider.  J'achetai  un  revolver  et  je  me  tirai un  coup  dans  la poitrine.  Le  feu prit à  mes  vêtements  et  je  me  jetai  dans  le  Cher pour  l'éteindre.  On  me conduisit à l'hospice et je guéris.

D. —  Vous  rêviez  les grandeurs,  de  hautes  positions.  Vous  ne  vous êtes  pas dit qu'il  fallait  conquérir  une  situation par  le  travail  ?

R. — Je  trouvais  que cela  n'en valait  pas  la  peine.

D. —  Vous  étiez  aussi  lâche  qu'ambitieux,  vous  n'aimiez pas le travail  ?

R. —  Le  travail  ne m'a  jamais  fait  peur.

D. —  Racontez-nous  comment  vous  avez  été  placé  chez  Me Galpin.

R. —  C'est  une  personne  qui  m'a  fait  placer.

D. —  Me Morin  ?

R. —  Je  crois  que  c'est  Me  Dumée.

D. —  Vous  aviez  demandé  à  Me  Morin  de rentrer  dans son  étude.  Il  vous  a  dit  que  ce  n'était  pas  possible  et  il  vous  a  recommandé  près  de  Me  Galpin.  Est-ce  que  vous  avez  trouvé  des  hostilité  dans  cette  étude  ?

R. —  Aucune.  

D. —  On  avait de  bons  rapports  avec vous,  vous travailliez  assez bien.  Tous  les  renseignements,  qui  ont été  recueillis  dans  l'étude,  vous  représentent  comme  un homme  avec  lequel  on avait  de  bonnes relations.  Votre  situation  s'est  améliorée  et vous  êtes  arrivé  à des  appointements  de  15  à  1.800 fr.  Et  vous  étiez  mécontent  de  votre  sort  ?

R. —  Cela  ne  peut  pas  faire  de doute.

D. —  Vous  n'étiez  pas réduit  à  ces  15 ou  1.800  francs,  vous  aviez  un  patrimoine.  Votre  père  a  liquidé  sa situation  vis-à-vis  de  ses  enfants. Vous  avez  reçu  pour  votre  part 1,130  fr.  Qu'avez-vous  fait  de  cette  somme  ?

R. —  Je  l'ai dépensée  pour besoins  personnels.

D. —  Et  vous  avez  fait  des  dépenses  pour  des  motifs honteux.  Vous  faisiez  aussi  de  bons  dîners.  Chez  Mme  Georges,  vous  dépensiez  de 6  à 7  fr.  pour  un  dîner.

R. —  C'est  la  dépense  que  je  faisais  pour  ma  nourriture.

D. —  Vous  alliez  trop  loin.

R. —  Je  n'en  disconviens  pas.

D. —  Et  c'est ainsi,  par  des  dépenses  exagérées,  que vous avez été  conduit  au  vol.  Vous aimiez  la bonne chère,  le café,  et  vous n'aviez  qu'à  envisager  ceci  :  prendre  le  bien  d'autrui  pour  faire  face  à  vos  besoins  sensuels.  Vous  alliez  chercher  vos  inspirations  dans  les  Mémoires de Lacenaire.  C'était  l'ouvrage  que  vous  affectionniez  le plus.  C'est  du jour  où  vos  vols  ont été  découverts  que  vous  avez résolu  de commettre  un meurtre ; c'est ce  que  vous  enseignait  Lacenaire  ?

R. —  Si  j'ai agi  comme  je  l'ai  fait,  c'est  par  vengeance.

D. —  Quels  griefs  aviez-vous  ?

R. —  Je ne les  ferai pas  connaître.

D.—  Pourquoi  ?

R. —  Parce  que  mon  assassinat n'a  pas  été  commis. C'est  une  question  d'amour-propre.

D. —  Eh  bien !  moi,  je  vais  vous  le  dire  :  Vous  êtes  un  voleur vulgaire.  Le  jour  où  vous  avez  été  découvert,  ce jour-là,  la  rage  vous  a  pris  et  vous  avez  songé  à  tuer  Me  Galpin.

R. —  Il y avait  longtemps  que  j'avais  ce  sentiment.

D. —  Pourquoi  le  lendemain  du  jour  où vous avez  été  chassé, n'êtes-vous  pas  allé  tuer  Me Galpin.  Pourquoi  ?
Parce  que  vous  aviez  encore  de  l'argent  à  dépenser.  Votre  haine  n'est  qu'imaginaire.  Dites-nous  ce  que  voua  faisiez  chez  Me Galpin.  Vous  étiez  expéditionnaire  ?

R. —  Oui, monsieur.

D. —  Ne  disiez  vous  pas  que Me Galpin  était  un  voleur  parce qu'il  ne  vous  payait  vos  expéditions  que  35 centimes  ?

R. —  Je n'ai  jamais  dit  de  pareilles niaiseries.

D. —  Je dois  le dire,  vous  n'aviez  jamais  rien  volé  avant  septembre  1880.  Comment  vous  y  êtes-vous  pris  pour  voler  ?  Vous  profitiez  de  l'instant  où  Me  Galpin  allait  déjeuner.  Vous  ouvriez  le  secrétaire  avec  une  clef  que  vous  aviez  ?

R. —  Je  n'avais  pas  de  clef.

D. —  On  l'a trouvée  chez  vous.

R. —  Je  n'en  avais  pas  besoin.  Je  n'avais  qu'à  prendre  dans  la  caisse  qui  était  ouverte.

D. —  Absolument  comme si  Me  Galpin  eût  été  votre  banquier  ?

R. —  Absolument.  

D. —  Vous  avez  aussi  volé  M.  Dupuy,  autre  clerc.

R.—  Je  lui ai volé  de  1,000  à 1,200  fr.,  mais  je  savais  que  ce  n'était  pas lui  qui les  perdait.  M.  Dupuy  est  un homme  que j'aimais  beaucoup  et  que j'estime  encore.

D. —  Me  Galpin  pense  que  vous  lui  avez  volé  5,000  francs environ  ;  vous  avez  vécu  comme  un  homme  qui avait  5,000 francs  de rente.  Quel  moyen avez-vous  employé  pour voler M.  Dupuy  ?

R. —  Je  prenais  les  billets  de banque et l'argent en les  faisant  glisser  avec  une  règle,  par  le  passage  de la  tablette.  

D. —  On a cherché à se  rendre compte  des vols  et  on a fini  par  porter les  soupçons  sur  vous. On  vous  a  renvoyé  sous  prétexte  que  vous  n'aviez  plus  d'exactitude.  Vous voyez  que  l'on  avait  des  ménagements  pour  vous.  

R. —  C'est possible.

D. —  Vous avez  été  renvoyé  le   29 mai. Le  17  juin,  vous  avez  rencontré  M.  Dupuy,  qui  vous a dit  : « Je pourrais  vous  faire arrêter. »

R. —  Je  lui ai répondu  : «  A votre  aise. » Je  savais  qu'il  n'avait  pas envie  de  mettre  ces  menaces  à  exécution.

D. —  Vos ressources  étant épuisées,  vous avez pensé  qu'il  fallait  en finir.

R. —  Justement.

D. —  Vous avez  dîné  très-tranquillement  ;  vous  êtes  allé  au  café ;  puis,  vers  huit  heures, vous êtes  rentré  chez vous  ?

R. —  Oui,  monsieur.  

D. —  Combien  êtes-vous   resté  de temps  chez  vous  ?

R. —  Une  demi-heure.  J'ai  lu  Alfred  de Vigny.

D. —  A  neuf  heures  et  demie,  vous  étiez au canal.  Qu'avez-vous  fait  entre  huit  heures  et  demie  et  neuf  heures  et  demie  ?

R. —  Je  ne  suis  pas  allé  vite.

D. —  Que  faites-vous  à  Saint-Pierre-des-Corps  ?  Plusieurs  jeunes  gens  prenaient  le frais  sur  le  quai  et  chantaient  : « Ah  !  le  voilà,  le  beau  Nicolas  ! »

R. —  Quand  j'ai  passé  près  d'eux,  ils  ont  crié  :  « Enlevez-le  ! » Je  revins  sur mes  pas  et  je  tirai  au hasard sur  le groupe.

D —  Dans  quelle  disposition  étiez-vous  ?

R. —  J'avais  des  idées  sinistres.  

D. —  C'est  la  rencontre  de  M. Dupuy  qui  vous  avait surexcité  ?  

R. —  Je  ne  pensais  plus à  sa  menace.  J'avais  mes  nerfs.  J'emportais  tous  les  soirs  un  revolver  pour  ma  défense  personnelle.  

D. —  Vous  aviez  emporté  une  provision  de  cartouches  ?

R. —  Elles  étaient  restées  dans  mon  paletot,  après  avoir tiré  à  la  cible.  

D. —  Vous  vous  exerciez  au  tir  ?

R. —  Oui,  monsieur.

D. —  Souvent  ?

R. —  Oui, monsieur.

D. —  Pourquoi  ?

R. —  Pour  me  préparer  à  l'assassinat.  

D. —  Vous  n'avez  rien  dit  en  tirant  sur  les  jeunes  gens à Saint-Pierre-des-Corps  ?  

R. —  Rien.

D.—  Vous  avez  tiré  sur  un  nommé  Fouineau  qui n'a  pas été  atteint.  Vous  avez  blessé un  autre  jeune  homme ; puis  vous  avez  tiré  sur  le  nommé Hervé,  qui  ne faisait  pas  partie  du  groupe  et  qui  a  été blessé  au mollet.  Vous avez  continué  votre  chemin  sans vous  troubler.

R. —  Sans  me  troubler.  

D. —  Vous  avez  rechargé  votre revolver  ?

R. —  Oui,  monsieur.  Sur  le  boulevard  j'ai  vu  un  homme  qui  avait  l'air  de  regarder  le  dôme  des  arbres  avec  béatitude.  J'ai  tiré  !  Si  je  n'avais pas été  provoqué  au  canal, je  ne  l'aurais  pas tué. J'avais peur  d'être  arrêté.  Après  les  blessures  de  Saint-Pierre-des-Corps,  je  me  suis  dit  :  Je  ne  suis  que dans  un  cas correctionnel.  Je  ne  voulais  pas être arrêté  pour  un  délit,  mais  pour  un  crime : alors  j'ai  tué.  

D. —  Vous  aviez  l'intention  de  tuer  ?

R. —  J'en  avais  l'intention.  (Murmure  dans  l'auditoire.)

D. —  On  vous  a  arrêté.  Vous  n'avez  pas  donné  signe  de  repentir,  pas  plus  à  ce moment  qu'aujourd'hui.

R. —  Je  n'accepte  pas  la  responsabilité  de  ce crime,  au point  de  vue philosophique.  Je  l'accepte  au  point  de  vue  législatif.  

D. —  Vous  vous  êtes  inspiré  de mauvais  livres  ?  Vous  avez  par exemple,  suivi  ce  joli  principe  de  Lacenaire : « Il n'y  a pas  de  distinction entre le mal  et  le bien. »

R. —  C'est cela.

D. —  Vous  aimez  beaucoup  Lacenaire  ?  

R. —  Oui,  monsieur, à  cause  de  sa  sensibilité.  

D. —  Sa  sensibilité !  la  sensibilité  d'un  assassin !

R. —  La  sensibilité  conduit  à  la vengeance.

D. —  Voulez-vous  que  je vous  fasse  voir  par  vos écrits,  le venin dont vous vous infestiez  ?

M.  le  président  Pelletier  lit  plusieurs  passages des  notes  rédigées  par  l'accusé  et  qui sont  imitées  de  Lacenaire.  Nous  les  transcrivons  textuellement :

Je  suis  dégoûté  de cette ignoble  et  rampante  société.  On  peut  verser  son sang à flots,  il  est  trop  pâle  pour  tacher  les mains...  Il  n'y  a  point  de  Dieu,  il  y  a  la  force  universelle.  La  société  n'a  pas  le  droit  de  reprocher les crimes  parce  qu'elle  en  commet  journellement.  Je crois que le  bien  est  la conséquence  du  mal, que l'homme n'est  pas  responsable  de  ses actions et  que les conséquences  du  crime  sont  avantageuses  à  la  société...  J'ai étudié  le  vol  et  ses  conséquences ; eh  bien, j'ai  constaté  que  le  vol  se retrouvait  dans  la  plupart  des  actions  des  hommes. L'entrepreneur,  par  exemple,  ne  s'attribue-t-il  pas  des gains  sur le  travail  de  ses  ouvriers  ?  Le  marchand  ne  bénéficie-t-il  pas  des  aptitudes  de  ses  commis  ?
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C'est  (Lacenaire)  un  homme  splendide,  une  puissante  individualité.  Son œuvre  conduit à  des  déductions  énormes.  J'avais  comme  lui  de  grands  élans  de  sensibilité,  et  je  ne voyais  jamais  sans  émotion  un  veau conduit  à  l'abattoir  ou  un  chien  lancé  dans la  Loire.  J'avais  notamment  une  bien  plus  grande estime  pour  Troppmann  que  pour le  charcutier.  Comme  Lacenaire, je  détestais  la  société.  J'étais  plus  fort  théoricien  que  Lacenaire,  mais  comme  homme  pratique,  Lacenaire était  bien  plus fort  que  moi  !
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Finirai-je  comme  Lacenaire  ?  Quand  j'interroge  fortement  ma conscience,  elle  me répond  :  c'est  possible.  Poète,  voleur,  assassin  !  La  gradation  est  régulière.  Et je  dis  tout  bas...  bien  bas,  « j'ai  déjà  fait  la moitié  du  chemin. »  Ne serait-il  pas  stupide  de  repousser  une  carrière  qui  promet  d'aussi  beaux  résultats…


D. —  Aviez-vous  l'intention  de  publier  ces notes  ?

R. —  Non.  Je  les  écrivais  pour  moi.

D.  —  Avant  d'entendre  les témoins,  une  dernière  question :  Avez-vous  du  repentir  des  crimes  que  vous avez  commis  ?

R. —  Je compatis  aux  douleurs  que  mes  actes  ont  pu  occasionner,  mais je  n'accepte  pas  la  responsabilité  de  ces actes.  Le  meurtre  du  boulevard  est  la  conséquence  de  la provocation  du canal.

MM.  le  docteur  Danner  et  le  docteur  Legrand du Saulle,  qui  l'un  et  l'autre ont  examiné  l'état  mental  de  Morisset, ont  fait connaître  le résultat  de  leurs  expertises  d'où  ils  ont  tiré  des  conclusions  identiques.

Le  parquet,  a  dit le  savant  médecin  en  chef  du  dépôt  de  la préfecture  de  police,  aurait  pu  se dispenser  de  faire  appel  à  la  médecine  légale ; c'est  par excès  de  prudence  qu'il  a  cru  devoir  s'adresser  à  nous.

Morisset  n'a  point  la  folie  du  vol.  Ceux  qui  ont  la folie  du vol  ou  cleptomanie  n'ont  pas  d'autre  folie. A-t-il  la  folie  du  meurtre  ? Est-ce  un  épileptique ?  Non.  Un  halluciné ?  Non.   Un  héréditaire ?  Non.  C'est  un garçon  d'une volonté  puissante,  intelligente,  au  jugement  faussé  par ses lectures.  Mais,  chose  remarquable,  partant  d'un  point  de  départ  faux,  il  raisonne  juste  ;  naturellement  il  arrive  à  des  conclusions  absurdes,  mais  cela  ne  prouve  pas  qu'il  soit  déraisonnable.

Ce  n'est  pas  un  fou.  Jamais  un  médecin  aliéniste  ne  le  garderait  dans  son  service.  Il  est  responsable,  mais  il  est  possible  que  sa  responsabilité,  au  moment  du  crime, ait  été  légèrement  atténuée.

Morisset  alors  s'est  levé  pour  protester  contre  cette  conclusion.  Il  l'a fait  avec  une  hauteur,  un  cynisme  inouï :

«  Je  ne  cherche  ni  atténuation,  ni  excuse,  a-t-il dit.  Ce  que  j'ai  fait,  je  l'ai  parfaitement  voulu.    J'ai  trop  conscience  des  actes  que  j'ai  accomplis  pour  revendiquer  l'honneur  de  la  folie.  Je  me  suis  jugé  et  je  me  suis  absout,  mais  Morisset  juge, condamnerait  Morisset  assassin.  J'ai  tué  M.  Dormier  ;  la loi  a  prévu  le  cas : il  n'y  a  point d'embarras à  avoir. »

Les  autres  témoins  n'ont  fait  que  confirmer  ce  que  l'on  savait  déjà.  Malgré  les  efforts  de  Me Houssaud,  bâtonnier  de  l'ordre  des  avocats  de  Tours,  Morisset  a  été  condamné  à  la  peine  de  mort. Il s'est  retiré  impassible,  au  milieu  de  l'émotion  générale,  saluant  froidement  la  cour  et  les  jurés.

Ceux-ci  ont  signé  un recours  en  grâce !

Le Journal de l’Ain, n° 111 du 21 septembre 1881

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"L’art est le cordon ombilical qui nous rattache au divin" - Nikolaus Harnoncourt
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