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Sujet: Les exécutions sous Auriol Mar 4 Oct 2022 - 10:49
Bonjour, je suis surpris de constater le nombre important d'exécutions sous Vincent Auriol. De 1947 à 1954, j'en ai compté 153... Est-ce possible? Je me suis référé au site "les derniers condamnés à mort en France". Pourquoi a t-il si peu gracié? René Coty, lui, a beaucoup gracié.
mercattore Exécuteur régional
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Sujet: Re: Les exécutions sous Auriol Mar 4 Oct 2022 - 16:16
Plutarque,
Je n'ai pas la réponse à votre question, mais je vous précise le nombre de guillotinés algériens, militants FLN, entre 1956 et 1962 : 222 (dont un nombre important d'exécutés sous la présidence de René Coty).
Titange Exécuteur cantonal
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Sujet: Re: Les exécutions sous Auriol Mer 5 Oct 2022 - 5:17
Sous Vincent Auriol 178 grâces et 109 exécutions entre le 16 janvier 1947 et le 16 janvier 1954 : Laurence Thibault, La Peine de mort en France et à l'étranger, éditions Gallimard, 1977, page 124.
Perspective plus globale, et abstraction faite des indépendantistes algériens :
Du début de la Quatrième République en novembre 1945 à la présidence de Vincent Auriol on recense quelque 33 exécutions à la suite de condamnations prononcées par des cours d'assises, puis sous Auriol 178 grâces et 109 exécutions pour une moyenne assez élevée de 15 exécutions par année qui fléchit radicalement par après à une seule par année entre 1954 et 1981 :
Sous René Coty 21 grâces et 11 exécutions entre le 16 janvier 1954 et le 8 janvier 1959, sous Charles de Gaulle 20 et 11 entre le 8 janvier 1959 et le 28 avril 1969, sous Georges Pompidou 12 et 3 entre le 20 juin 1969 et le 2 avril 1974, sous Giscard d'Estaing 3 et 3 entre le 27 mai 1974 et le 21 mai 1981 et sous François Mitterrand 7 grâces et l'abolition votée le 18 septembre 1981 par 369 voix contre 113 et 5 abstentions.
Comme si les mauvaises habitudes contractées pendant la guerre perduraient ensuite pendant quelques années au retour de la paix, on assiste de la même façon à un boom de la criminalité au lendemain de la Première Guerre mondiale : 565 condamnations à mort et 182 exécutions de 1919 à 1939 pour une moyenne de 8.66 par année qui après être montée à 13 de 1919 à 1923 décline à 7.3 de 1924 à 1939.
Quand ils ne proviennent pas eux aussi de Laurence Thibault, ces autres renseignements se trouvent dans La Peine de mort de Paul Savey-Casard, Genève, Librairie Droz, 1968.
plutarque Aide confirmé
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Sujet: Re: Les exécutions sous Auriol Mer 5 Oct 2022 - 10:39
Bonjour, je vous remercie pour vos réponses extrêmement précises. Néanmoins, tout celà ne répond pas à ma première question: pourquoi Vincent Auriol a t-il tant laissé exécuter? Y avait-il une telle criminalité à l'époque? J'ai acheté récemment sa biographie, écrite par Eric Ghebali. Je compte la lire bientôt, sans doute m'en apprendra t-on davantage sur le personnage...
Nemo Fondateur
Nombre de messages : 1927 Age : 41 Date d'inscription : 27/01/2006
Sujet: Re: Les exécutions sous Auriol Jeu 6 Oct 2022 - 13:00
C'est un effet pervers de la guerre : après une période d'horreur et de mort omniprésente, la patience de l'opinion publique atteint ses limites. Le fait que des gens puissent, au nom de petites pulsions ou de petits désirs individuels, commettre des crimes devient plus intolérable que jamais aux yeux des "braves gens". Alors, quand on leur en laisse l'occasion, les jurés populaires font preuve d'une sévérité accrue. Cela avait déjà été le cas au lendemain de la première guerre mondiale, où le nombre de condamnations est presque multiplié par trois par rapport à la norme dans les premières années de la décennie 1920. C'était idem à compter de 1945. La haine de l'ennemi, après la Libération, s'est cristallisée sur les criminels de sang.
Vincent Auriol était certes avocat de formation, mais il n'a jamais fait partie des plus acharnés à combattre la peine capitale. Une fois devenu président d'un pays pansant ses plaies et avide de vengeance, tout socialiste qu'il fût, il ne pouvait pas se montrer trop compatissant. De plus, même si le gros de leur besogne fut accomplie en 1945 et 1946, les cours de justice continuaient elles aussi à rendre hebdomadairement des sentences de mort. Impossible de faire deux poids, deux mesures entre des condamnés politiques qui avaient contribué à la mort de patriotes mais sans forcément les avoir tués de leurs mains, et des condamnés de droit commun ayant personnellement perpétré des crimes affreux...
Certains de ses confrères, venus plaider la cause de leurs clients devant lui, avaient gardé des souvenirs mitigés - évidemment, quand il leur laissait entendre qu'il n'accorderait pas la grâce, ce qu'il avait la franchise, peut-être cruelle, de souvent révéler à son visiteur, parfois même avant la plaidoirie ultime. Une interview de lui, parue dans le livre "L'abattoir solennel", montre en tout cas qu'il n'était pas un monstre d'indifférence envers les condamnés, mais que tel était son rôle, même si cela posait à chaque fois pour lui un cas de conscience. Et tous les autres présidents de la République, avant ou après lui, ont connu ce sentiment. Quand la vie d'un homme est un jeu, sait-on immanquablement faire le bon choix entre la pitié ou inflexibilité ?
_________________ "Les humains, pour la plupart, ne se doutent de rien, sans envie ni besoin de savoir, ça leur va comme ça, ils croient avoir de l'emprise sur les choses. - Mh... pourquoi en avoir fait un secret ? Ils peuvent comprendre, ils sont intelligents... - Une personne, sûrement, mais en foule, on est cons, on panique comme une horde d'animaux, et tu le sais."
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plutarque Aide confirmé
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Sujet: Re: Les exécutions sous Auriol Jeu 6 Oct 2022 - 17:33
bonsoir, je vous remercie de m'indiquer ce livre, ainsi que de votre réponse. Je pensais quand même que Vincent Auriol avait gracié davantage que les présidents de la IIIè république. Et René Coty? Qu'en était-il de sa position par rapport à la peine de mort?
fouche Exécuteur cantonal
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Sujet: Re: Les exécutions sous Auriol Sam 26 Nov 2022 - 11:19
René COTY a eu une longue carrière d'Avocat; il ne semble pas avoir beaucoup plaidé au pénal, mais il défendit une cause célèbre: celle du syndicaliste Havrais Jules DURAND inculpé pour le meurtre d'un contramaître non gréviste au cours d'une rixe. DURAND est condamné à mort en novembre 1910, les charges retenues étant meutre avec préméditation; René Coty obtient sans difficultés sa grâce, sa peine étant commuée, non à celle des traveaux forcés à perpétuité, mais à celle de 7 ans de réclusion.
Puis RC milite et est élu député à Gauche (parti radical), avant d'évoluer vers le centre droit.
On peut donc penser que cet homme modéré, sans doute marqué par l'affaire DURAND, a pu être hostile à la peine de mort au fond de ses convictions.
Mais comme Président de la République, comme souvent (voir Valéry Giscard d'Estaing, et A. Fallières après le rejet de la Loi d'abolition en 1908), la fonction l'a emporté sur les convictions, et il ne s'est pas autorisé à adopter une posture de grâce systématique.
Son "palmares" reste tres proche de celui de la plupart des Présidents: 2/3 de grâce environ.