La Veuve
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Forum consacré à l'étude historique et culturelle de la guillotine et des sujets connexes
 
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 Mais quelle force ont-ils !

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marini
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MessageSujet: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptySam 12 Jan 2008 - 14:43

Bonjour à tous,


Je continue à suivre les débats, mais vous êtes trop forts pour que je m'immisce dans vos discussions historiques. Un jour, je me le suis promis.

Aussi bien, je souhaite aborder un thème plus général que je trouve finalement assez peu exploré alors qu'il constitue, pour moi en tout cas, un sujet de grand étonnement.

Faut-il en effet rappeler que le condamné que l'on mène à la guillotine connaît une situation d'exception : d'une façon absolument intangible il consomme les dernières secondes de sa vie et il va donc faire le grand saut.

Deux questions me paraissent devoir probablement torturer son esprit :

- souffre-t-on ? Cette question appartient à l'immédiat, au temporel. Je vous rappelle que ce sujet semble très controversé, ce qui veut dire que le condamné ne peut pas éliminer l'hypothèse d'une immense souffrance

- qu'il y a-t-il après la mort ? Cette question appartient au spirituel.

Même celui qui se suicide n'est pas confronté à la même situation d'exception, puisqu'il choisit quand et comment il va mourir.

Le condamné à mort est donc, c'est une évidence, un être totalement à part.

Si je m'imagine dans cette situation, ce qui malgré tous mes efforts ne rend qu'une très pâle image de la réalité, je me vois hurlant et me fracassant le crâne contre les murs de ma cellule. Et si je suis encore vivant quand on vient me chercher, je me débats comme un forcené jusqu'à ce que le couperet s'abatte.

Or, et j'en viens à ma question, il ne semble pas que les suppliciés se débattent. En tout cas, alors qu'on pourrait penser que ce devrait être le cas 9 fois sur 10, il semble plutôt que ce soit l'inverse.

C'est assez simple à vérifier pour les exécutions publiques. Pour les autres, je connais peu de témoignages décrivant des scènes de violence pour amener le condamné au bout de son chemin. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, mais cela semble assez rare.

Alors, où ces condamnés trouvent-ils la force de se tenir droit jusqu'au bout ?

Je prends le cas de Louis XVI qui n'avait pas la réputation d'être particulièrement brave et qui trouve la force de chercher à parler à son peuple pendant que Sanson, derrière lui, l'attend le panier ouvert ?

Je prends le cas de Ranucci, si jeune, qui trouve encore la force de demander à son avocat de le réhabiliter (je dis bien à son avocat, qui l'a affirmé, même si Obrcht et ses aides ne l'ont pas entendu, mais ils étaient loin).

Même si une fois entravé, le condamné n'est plus qu'un "paquet", il peut à son réveil et jusqu'au greffe tenter de se débattre. Même soutenu par les aides, il peut encore tenter de se jeter hors de la bascule, dont l'étroitesse me paraît d'ailleurs propice à ce genre d'incidents (c'est arrivé).

Alors, quelle hypothèse devons-nous privilégier :

- en fait, les condamnés se débattent, mais par respect pour eux, on ne le dit pas : peu vraisemblable à l'époque des exécutions publiques où la presse n'aurait pas manqué de s'emparer de la couardise du condamné pour le fustiger davantage encore

- le condamné est drogué : mais ce n'est pas le coup de rhum et la cigarette qui peuvent agir si vite. Alors, le drogue-t-on avant : jamais entendu parler de çà et ce serait à mon avis contraire au "protocole".

- le condamné est trop entravé pour se débattre : mais il pourrait quand même hurler.

- la peur arrivée à un certain stade inhiberait toute capacité de défense : possible

- quand l'homme se trouve au pied de son destin, il reprend les forces de l'assumer, parce qu'il n'y a aucune autre possibilité. Il est sublimé et marche vers la mort porté par la dernière énergie rassemblée, peut-être dans la calme intérieur, jetant le trouble chez ceux qui restent.

A cet égard, et cela me ramène à mon tout premier sujet (les exécutions pendant l'Occupation), il semblerait que les condamnés politiques ont montré plus de courage que les "droits communs".


Quelle est votre réflexion sur ce sujet ?


Marini
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptySam 12 Jan 2008 - 17:07

Il faudrait demander aux exécuteurs des arrêts criminels encore en vie. Ce sont les mieux placés pour répondre à cette question. A moins que quelque membre du forum se sacrifie (ce n'est pas mon cas) pour résoudre cette énigme!
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Nemo
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptySam 12 Jan 2008 - 17:29

Les condamnés qui partaient à la mort en "lâches" (le mot est un peu fort, ils vont quand même pas à la fête foraine, c'est vrai) ont toujours été mentionnés par la presse. Hurlements, insultes, pleurs, coups aux gardiens et aux adjoints, relâchement des sphincters...

Non, il faut se rendre à l'évidence, la majorité se rendait docilement à l'échafaud : pourquoi ?
Déjà, l'heure joue beaucoup. Autant, une fois réveillé, je suis du genre à être en pleine possession de mes moyens, il vaut mieux que cela soit passé 7h... Là, on réveille des hommes entre 3 et 5 heures, en général, ils doivent être KO.
La peur doit être exceptionnelle par son importance...
Ensuite, pourquoi résister ? C'est inéluctable, on n'est pas aux USA où les condamnés peuvent espérer un délai à la dernière minute. Le réveil indique qu'on n'a plus que 30 mn à vivre.
Il y a le regard des autres : imaginez un comité se présentant à l'aube dans votre chambre, ne vous quittant pas du regard... Vous obéissez. C'est la même raison qui empêche les gens de se laisser aller, de commettre un délit, un méfait, et en prison, de s'évader. On ne sait pas la réaction de ceux d'en face, c'est un reliquat de conscience dont il est dur de se défaire...
Enfin, dès le début, le condamné est entouré (pas forcément maintenu, mais étroitement serré) par les gardiens, puis par les bourreaux. Ces hommes sont plusieurs, bien réveillés, ils peuvent faire usage de la force si besoin est...

Voilà, je pense que c'est pour toutes ces raisons que les condamnés obéissaient : une résignation forcée par la présence de ces officiels, par la force des surveillants...

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- Mh... pourquoi en avoir fait un secret ? Ils peuvent comprendre, ils sont intelligents...
- Une personne, sûrement, mais en foule, on est cons, on panique comme une horde d'animaux, et tu le sais."
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptySam 12 Jan 2008 - 17:32

Non,

Car il ya eu les exécutions publiques qui sont quand même les meilleurs témoignages et les films : Weidman est d'un calme incroyable alors même qu'il semble qu'il y ait eu un problème technique qui aurait pu décupler son angoisse et les exécutés d'Hanoi semblent aussi avoir été très calmes (mais je n'ai pas vu le film).

Egalement les photos : je n'ai pas vu de photos avec des patients récalcitrants (sauf celle du client dont la tête fut fendue en deux et qui a dû tirer comme un fou pour s'extraire de la lunette).

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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptySam 12 Jan 2008 - 17:34

Sywan,

Excuse-moi : ton message est passé quand je rédigeais le mien qui s'adressait à Cosmos.


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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptySam 12 Jan 2008 - 17:47

Sywan,

Pardonne-moi, mais je suis maigrement convaincu par ton explication.

Qu'on soit réveillé à 5 du mat' ou que cela se passe à 19 heures, l'angoisse est la même. Il ne te faut pas plus d'un centième de seconde pour être complètement révéillé quand on vient te chercher pour t'exécuter.

Certes, par ailleurs, le condamné est serré, mais que risque-t-il a tout tenter, même si c'est désespéré. Son instinct de survie ne devrait-il pas prendre le dessus, toute tentative fut-elle vouée à l'échec ?

Je ne pense donc pas que le condamné abandonne la partie par "discipline".

Il se passe, à mon avis, quelque chose d'autre, de plus puissant, me semble-t-il, quelque chose de l'esprit qui s'impose au condamné de façon transcendante et qui lui fait admettre que c'est fini et peut-être retrouver ce calme qui fascine.



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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptySam 12 Jan 2008 - 22:46

Concernant la video de Weidman, il a l'air calme mais on le voit de trop loin pour se rendre compte de son état même si on se doute qu'il préférerait être au casino ou au bordel. Existe t-il à ce propos d'autres videos d'exécutions disponibles?
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marini
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyDim 13 Jan 2008 - 16:51

Une explication au "calme" des condamnés : ils sont au trois quarts dans le coltard, en quasi perte de connaissance ?

Voir par exemple la photo accessible par ce lien :

http://img370.imageshack.us/my.php?image=mobfh2.jpg

J'ai lu deux choses à ce sujet :

- l'exécution de VACHER qui était pourtant, parait-il, un "mariole". Il a fallu le porter sans connaissance sur la bascule
- lorsqu'un condamné perdait connaissance, on le ranimait (par une piqûre si nécessaire) : traitement d'une cruauté inouïe, à l'extrême limite du croyable auquel Vacher a donc échappé.

Avez-vous des exemples de "réanimation" de condamné ?


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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyDim 13 Jan 2008 - 18:06

Marini, bonjour,

Je vous posterai une réponse pour votre topic mais demain, car il demande une réflexion appronfondie.

Pour les condamnés à mort, quoiqu'il advienne, l'exécution DOIT SE FAIRE, c'est la loi.

Prenez l'exemple de Laval qui avait voulu se suicider avant d'être fusillé. Tout fut tenté pour le réanimer afin qu'il puisse être conduit au poteau d'exécution, ce qui se réalisa.

J'ai entendu un témoin de cette époque, qui était présent lors de la réanimation, dire son écoeurement de voir l'acharnement thérapeutique pour sauver Laval de son suicide afin que la loi soit respectée.

Cet homme affichait des opinions bien affirmées d'anti-collaboration avec l'allemagne, c'est dire que Laval n'était pas dans son coeur et pourtant...


Dernière édition par le Lun 14 Jan 2008 - 20:24, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyLun 14 Jan 2008 - 19:38

- le condamné est drogué : mais ce n'est pas le coup de rhum et la cigarette qui peuvent agir si vite. Alors, le drogue-t-on avant : jamais entendu parler de çà et ce serait à mon avis contraire au "protocole".

J'ai lu des cas où on avait mis des calmants dans le repas du soir précédant l'exécution afin de leur procurer une dernière nuit paisible. Parfois certains étaient tellement dans les vapes qu'on devait les traîner.

- le condamné est trop entravé pour se débattre : mais il pourrait quand même hurler.

Je pense qu'il est plus qu'entravé, il est littéralement saucissonné et ne peut plus faire le moindre mouvement. Si panique il y avait, c'était dans la cellule, quand ils comprenaient ce qui allait arriver (cf, par exemple, la femme qui a dit "oui j'ai de l'argent au greffe" quand on lui a dit qu'elle devait payer sa dette à la société - son nom m'échappe mais la suite, quand elle a compris, est décrite dans le détail dans certains livres et c'est absolument hallucinant)


- la peur arrivée à un certain stade inhiberait toute capacité de défense : possible

Ne dit-on pas "paralysé de peur"...je le pense également

- quand l'homme se trouve au pied de son destin, il reprend les forces de l'assumer, parce qu'il n'y a aucune autre possibilité. Il est sublimé et marche vers la mort porté par la dernière énergie rassemblée, peut-être dans la calme intérieur, jetant le trouble chez ceux qui restent.

Je le crois également.


En tout cas, ce que vous avez écrit est de très loin ce qui m'intéresse le plus dans cette matière. LE PSYCHOLOGIQUE présent avant, pendant et après les exécutions, bien trop peu décrit dans tous les livres que je connais.
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyLun 14 Jan 2008 - 20:01

Pour comprendre l'état d'esprit d'un condamné il faut remonter dans le temps et songer que celui-ci attend des heures, des jours, des mois le moment fatidique.

C'est très long des mois lorsqu'on n'a rien à faire et rien d'autre à penser.

Durant chacune de ces heures (et notamment lorsque vient la nuit) il angoisse, ne sachant pas si ce sont là ses dernières heures à vivre.

On raconte d'ailleurs que les condamnés à mort souffrent souvent d'insomnie, veillant le plus longtemps possible pour retarder la venue du petit matin qui sera peut être le bon (enfin...le mauvais) et qui, vaincus par le sommeil, s'endorment peu de temps avant l'aube, c'est-à dire au moment précis où l'on vient les réveiller.

Je pense qu'au delà de l'angoisse de la mort il y a le ras le bol d'angoisser depuis si longtemps, ce qui se traduit par la volonté d'en finir et une sorte de soulagement lorsque le moment est venu.

On le voit bien lorsque certains condamnés disent "finissons-en" ou bien refusent le dernier cordial ou la dernière cigarette.

Dans le récit sur les condamnés à mort du bagne évoqué il y a quelques jours on lit qu'avant d'être exécuté le condamné avait droit à un dernier repas et à une bouteille de tafia mais que celui-ci préférait abréger ces "festivités".

Ceux qui ont eu à redouter une épreuve connue à l'avance comme un examen (par exemple) se souviennent que l'on éprouve un soulagement lorsque le moment tant attendu est venu, même si le sujet ne nous inspire pas et que l'on aurait souhaité que cet examen ne vienne pas. Je pense qu'il devait en être pareil pour les condamnés.

Ajoutons à cela que le rhum absorbé à jeun à cette heure matinale, alors que le condamné n'avait quasiment pas dormi, devait produire un effet amplifié.

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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyLun 14 Jan 2008 - 21:02

Nous sommes dans le subjectif et seuls peut-être les médecins et aumôniers qui accompagnaient les condamnés jusqu'au bout pourraient nous apporter quelques arguments plus solides.

Pour ma part, je pense qu'effectivement, on peut, dans certains cas, vouloir en finir (je pense par exemple à Marie-Antoinette qui ne pouvait plus aimer la vie).

Mais nous sommes ici dans une situation sans comparaison possible : il s'agit de mourir et de mourir dans des conditions atroces, disons-le quand même.

Même si l'on peut par instant se "ressaisir" en se disant que bientôt tout sera fini, je pense que l'angoisse de la mort et de la souffrance reprend ses droits très vite et que la panique doit submerger le supplicié.

Où trouve-t-il la force d'aller jusqu'au bout avec dignité, ce qui semble avoir été le cas le plus fréquent ?

L'explication de la foi est assez peu convaincante, car nombreux sont ceux qui sont morts courageusement en refusant le prêtre.

Je prends un autre exemple : comment peut-on trouver au greffe, à quelques mètres de la guillotine et à quelques secondes de mourir la force de parler, même dire trois mots, voire d'écrire une lettre ?

La cause pour laquelle le condamné s'est battu : c'est une piste sérieuse, car les politiques semblent avoir été très courageux, globalement plus que les droits communs. La cause, c'est intéressant. Aussi peut-être, pour les exécutions publiques, la bravoure.

A ce sujet, connait-on encore des médecins de prisons qui pourraient et accepteraient d'éclairer notre questionnement ?

Chantal, tu as été ma première correspondante et je suis ravi de te lire dans ce sujet : ce qui me fascine le plus, ce n'est pas la machine, mais les hommes qu'on jetait dessus.

Bonne soirée
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyJeu 17 Jan 2008 - 9:56

Bonjour à tous !
Pour en revenir à la remarque de Sywan, il est à noter que ceux qui sont morts en "lâches" sont en général des assassins d'enfants (Je cite de mémoire) : Estingoy, Moyse, Nikitine, Monneron (lui, sa femme n'a pas posé de problèmes ), et je dois en oublier...
Il y a sans doute une raison Question
Bonne journée.
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyVen 18 Jan 2008 - 8:01

CARNIFEX a écrit:
Pour comprendre l'état d'esprit d'un condamné il faut remonter dans le temps et songer que celui-ci attend des heures, des jours, des mois le moment fatidique.

C'est très long des mois lorsqu'on n'a rien à faire et rien d'autre à penser.

Durant chacune de ces heures (et notamment lorsque vient la nuit) il angoisse, ne sachant pas si ce sont là ses dernières heures à vivre.

On raconte d'ailleurs que les condamnés à mort souffrent souvent d'insomnie, veillant le plus longtemps possible pour retarder la venue du petit matin qui sera peut être le bon (enfin...le mauvais) et qui, vaincus par le sommeil, s'endorment peu de temps avant l'aube, c'est-à dire au moment précis où l'on vient les réveiller.

Je pense qu'au delà de l'angoisse de la mort il y a le ras le bol d'angoisser depuis si longtemps, ce qui se traduit par la volonté d'en finir et une sorte de soulagement lorsque le moment est venu.

On le voit bien lorsque certains condamnés disent "finissons-en" ou bien refusent le dernier cordial ou la dernière cigarette.

Dans le récit sur les condamnés à mort du bagne évoqué il y a quelques jours on lit qu'avant d'être exécuté le condamné avait droit à un dernier repas et à une bouteille de tafia mais que celui-ci préférait abréger ces "festivités".

Ceux qui ont eu à redouter une épreuve connue à l'avance comme un examen (par exemple) se souviennent que l'on éprouve un soulagement lorsque le moment tant attendu est venu, même si le sujet ne nous inspire pas et que l'on aurait souhaité que cet examen ne vienne pas. Je pense qu'il devait en être pareil pour les condamnés.

Ajoutons à cela que le rhum absorbé à jeun à cette heure matinale, alors que le condamné n'avait quasiment pas dormi, devait produire un effet amplifié.

Tout ceci est "admirablement" décrit (je le mets entre " " car on parle en fait d'une chose horrible... affraid ) dans le livre de Eggen : L'Abattoir Solennel.

Entre autres, on y parle de Roger Bontems qui a, en quelque sorte, eu la réaction que vous décrivez : le ras-le-bol d'angoisser, la hâte d'en finir et la délivrance morale d'enfin arrêter de souffrir moralement. On le disait auparavant lâche, veule, suiveur, brute mais il est apparemment mort courageusement.
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyDim 20 Jan 2008 - 2:04

Je crois que la grande majorité des condamnés, sachant qu'ils n'ont rien a perdre ni rien à gagner, ont à coeur de faire bonne figure. Je suis sûr que Georges Rapin, qui n'était qu'une petite frappe, est mort en endossant jusqu'au bout le personnage qu'il prétendait jouer, celui d'un grand caïd n'ayant peur de rien.

Par contre, pour les femmes, ça se passait généralement très mal. Cf. le livre de Meyssonier, ou les atroces récits sur la pendaison publique en 1849 de Sarah Thomas, 17 ans, à Bristol (il avait fallu plusieurs gardiens pour la mener jusqu'à la corde, elle résistait en hurlant et implorant, le gouverneur de la prison s'était évanoui à voir cette scène). J'ai lu quelque part les propos d'une codétenue d'une des dernières électrocutées aux USA, elle assurait que pour lier celle-ci sur la chaise, elle s'était tant débattue qu'elle avait plusieurs fractures aux membres. Brrrr...

Le cas de condamnés tombant dans les pommes semble n'être pas rare. Ainsi, pendant la révolution, Hébert, le féroce éditeur du "Père Duchesne", qui réclamait sans cesse plus d'exécutions durant la Terreur, trouvait que la guillotine ne tournait pas assez ... Finalement, Robespierre l'y envoya. A la vue de l'échafaud, il s'effondra dans la charette et fut porté inconscient sur la planche.
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyDim 20 Jan 2008 - 12:41

Alors, peut-être est-ce Hébert que l'on voit sur la gravure dont j'ai mis le lien en début de cette rubrique.

Je suis assez d'accord : je crois que le condamné parvient à surmonter sa panique par fierté. L'élan, la force que donnent la fierté lui permettent de tenir les quelques minutes qui restent.
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyDim 20 Jan 2008 - 18:07

Un exemple de caractère devant la mort.

Pierre Pucheu, Ministre de l'Interieur du Gouvernement de Vichy, fondateur des Sections Spéciales, bras armé et zélé en France du IIIe Reich, fut condamné à mort lors de l'Epuration. De Gaulle lui refuse la grâce. S'il l'avait grâcié, c'eut été à ne plus rien comprendre, d'ailleurs.

Pucheu croyait-il vraiment à la cause qu'il a servie. Les circonstances de sa mort semblent aller dans ce sens, et cela confirme un peu notre sentiment : la cause - fut-elle mauvaise - donne de la force.

Voici ce qui se passa :

A l'annonce du verdict, la condamnation à mort, Pucheu déclare à ses juges : "Celui-là qui porte aujourd'hui l'espérance suprême de la France, si ma vie peut lui servir dans la mission qu'il accomplit, qu'il prenne ma vie, je la lui donne". La grâce de Pierre Pucheu est rejeté par le général de Gaulle qui invoque la raison d'Etat. Le général souligne ainsi son inflexible volonté d'abattre Vichy et les collaborateurs qui servent le IIIe Reich depuis 1940. Il utilise aussi l'affaire Pucheu pour déconsidérer le général Giraud qui avait autorisé le condamné à venir en Afrique du Nord.

Le 20 mars 1944, Pierre Pucheu est réveillé par l'aumônier de la prison et ses avocats. Il 04h30. Il sort de sa cellule et se dirige vers le lieu de son exécution. Sur place l'attend un peloton de soldats. Pucheu insiste pour serrer la main des hommes qui vont le fusiller. Il obtient une dernière faveur... commander lui même le tir du peloton d'exécution. Au moment où retentissent les coups de départ des fusils, il hurle "Vive la France", puis s'écroule dans la cour de la prison d'Hussein Dey près d'Alger. Pierre Pucheu est mort.

Faut quand même le faire !
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyDim 20 Jan 2008 - 19:58

Quelle grandeur d'âme ce Pucheu. « Il veut bien « qu'on lui prenne sa vie ». Après toutes celles qu'il a fait prendre !
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyMar 22 Jan 2008 - 0:57

Marini: en effet, ce ne peut être que Jacques-René Hébert sur la gravure que tu donnes en lien. Sa défaillance (à lui qui accusait Robespierre de modérantisme excessif !) a d'autant plus frappé les contemporains qu'en cette époque où les têtes volaient pour un oui ou pour un non, les condamnés se bardaient d'un cynisme blasé, avaient à coeur de partir en beauté sur une bravade ou un bon mot.

Une telle défaillance peut poser problème avec la pendaison, qui suppose un minimum de coopération du condamné (faut qu'il se tienne droit au bon endroit, sinon la hauteur et l'énergie de chute risquent d'être insuffisantes et ça fera du très vilain travail). Les Anglais au 20e siècle avaient pour méthode de prendre le condamné littéralement par surprise. Il était prévenu depuis la veille de l'heure de sa mort, mais entre le moment où l'exécuteur et ses assistants pénétraient dans la cellule du type et celui où il passait à la trappe dans la salle d'exécution attenante, il s'écoulait généralement moins de 20 secondes, le gars n'avait pas le temps de dire ouf.

Par contre, la procédure américaine, dans les Etats qui utilisaient la pendaison, était bien plus longue. Lecture de l'arrêt, avez-vous une dernière déclaration, procès-verbal, faîtes vos prières etc. Aussi, la procédure spécifiait, pour pallier le cas de prostration du condamné, la disposition d'un "collapse frame", une sorte d'échelle à laquelle on liait le type pour le tenir raide vertical sur la trappe, et qui jusqu'à ouverture de celle-ci était maintenue par deux aides de chaque côté.

Pucheu: si j'ai bonne mémoire, c'est alors qu'il était ministre de l'Intérieur à Vichy qu'avaient été remis aux Allemands, quand ils exigeaient des otages, des listes de communistes arrêtés au début de la guerre... pour collaboration avec l'Allemagne (c'était au temps de l'entente germano-soviétique — c'est ainsi qu' été arrêté puis fusillé Guy Mocquet, qui n'a jamais été résistant). Ça ne manquait pas de sel, mais ça n'était pas du goût des communistes lorsque ceux-ci sont passés à la résistance.

Pucheu a abandonné Vichy en 1942, a rejoint le camp des Alliés en Afrique du Nord, a appelé à la résistance et à la libération du territoire, mais était toujours en butte à la haine des communistes. Et comme de Gaulle jugeait qu'il ne pouvait pas se permettre de se brouiller avec eux, il a fait fusiller Pucheu. "Raison d'Etat", une motivation que ce technocrate a parfaitement admis. Même s'il pouvait avoir de bonnes raisons de penser que ce qui lui arrivait n'était pas juste...
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyMar 22 Jan 2008 - 1:33

Pucheu résistant ! Vous accommodez l'histoire d'une curieuse façon.

Connaissez-vous vraiment le rôle de Pucheu pendant qu'il faisait partie du pouvoir ? J'en doute.

Il avait notament participé activement à l'instauration du statut des juifs, et je passe le reste...

Vos explications simplistes sur les raisons de sa condamnation ne sont même pas à débattre.

Mémoire courte, quand tu nous tiens !


_________________________________________

Je n'ai plus rien d'autre à poster sur ce sujet, d'ailleurs ce n'est pas un site à politiser.

Bonsoir.


Dernière édition par le Ven 15 Fév 2008 - 2:46, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyMar 22 Jan 2008 - 9:51

Oui, de grâce, ne rajoutez rien : bien que nous évoquions les condamnés à mort ici, je rappelle que nous parlons de guillotine. Les sujets de fusillade politique peuvent être trop rapidement source de conflit.

_________________
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- Mh... pourquoi en avoir fait un secret ? Ils peuvent comprendre, ils sont intelligents...
- Une personne, sûrement, mais en foule, on est cons, on panique comme une horde d'animaux, et tu le sais."
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyMar 22 Jan 2008 - 19:38

Mais quelle force ont-ils ! 87920750820080122193534
Brrrrrrrrrrrrr......


Et puis la toilette...
Mais quelle force ont-ils ! 2027221520080122194618
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyMar 22 Jan 2008 - 20:50

Sywan a écrit:
Oui, de grâce, ne rajoutez rien : bien que nous évoquions les condamnés à mort ici, je rappelle que nous parlons de guillotine. Les sujets de fusillade politique peuvent être trop rapidement source de conflit.
Bonsoir à tous !
Il existe, dans le sommaire, un chapitre nommé "Les dix commandements du Forum", qu'il n'est pas interdit de lire ou de (re)lire...
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyDim 27 Jan 2008 - 18:28

Dans la rubrique conscrée au Docteur Petiot, Sywan rapporte les propos d'un certain Docteur Paul qui éclaire un peu notre lanterne sur le courage des condamnés:

« Pour la première fois de ma vie, j’ai vu un homme descendre du quartier réservé aux condamnés à mort sinon en dansant, du moins en montrant un naturel parfait. Alors que tous ceux qui vont être exécutés font tout pour montrer du courage, mais un courage que l’on sent crispé, exhibé à force de volonté, Petiot, lui, se déplaçait avec aisance, comme s’il se rendait à son cabinet pour y donner une consultation de routine"

Le cas Petiot est hors norme, mais je relève ce que dit le Dr. Paul : les condamnés voulaient afficher leur courage en allant puiser au fond d'eux-mêmes les dernières forces.

Une question quand même : pourquoi face à la mort trouvaient-ils le besoin d'être courageux (surtout depuis la fin des exécutions publiques), car c'est tellement dérisoire ? Personne - au fond de soi - n'aurait pu leur en vouloir d'être faibles. Ou bien considéraient-ils que, au regard des horreurs qu'ils avaient commises, ils ne pouvaient se montrer plus terrorisés que ne le furent leurs victimes ?
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MessageSujet: Re: Mais quelle force ont-ils !   Mais quelle force ont-ils ! EmptyJeu 14 Fév 2008 - 21:46

Bonsoir,

Voici un extrait d'un livre écrit par un ancien aumônier de la prison de la grande Roquette, à la fin du XIXème siècle.

Ce qui ressort de ses relations sur le comportement des condamnés à mort, lorsque le jour fatidique est arrivé, est ceci : Les condamnés, dans leur grande majorité, sont amenés à la Veuve dans un état de désordre nerveux très important, amenant parfois une perte de la conscience, partielle ou plus importante, juste avant l'exécution.


SOURCE : LE MONDE DES PRISONS, par l'abbé Georges MOREAU - 1887 - Librairie Illustrée - Paris .

____________________________________________________________________________________

La toilette est finie. Campi se lève. Il traverse le vestibule et la cour le corps droit, la tête haute, avec des attitudes de défi. Il marche si précipitamment que je dois lui dire « N'allez pas si vite, Campi, vous allez tomber. »

La porte de la prison s'ouvre. Les gendarmes mettent sabre au clair. Campi aperçoit le couperet, il fait alors d'étonnants efforts pour marcher d'un pas ferme. Je lui tiens le bras, il tremble comme une feuille. Sa tête penchée de mon côté, sa bouche convulsée, ses yeux, dont on ne voit plus que le blanc, témoignent d'une émotionque malgré tous ses efforts il ne peut maîtriser. Deux minutes de plus, il serait tombé inanimé.

Les procès-verbaux des exécutions capitales sont tous aussi pitoyables.

Le 7 septembre 1878, on devait procéder à l'exécution de Lebiez et Barré. Barré s'était couché de bonne heure et sommeillait à peine. Il s'attendait à son exécution. A minuit il avait remis au directeur de la Roquette un long mémoire adressé à ses parents, et il avait déclaré à ses gardiens qu'il ne se coucherait pas, parce qu'il pressentait qu'il serait exécuté le matin.

Lorsqu'on ouvrit sa cellule il était à moitié assoupi. « Aimé-Thomas Barré, du courage » lui dit le directeur. Un tressaillement nerveux secoua tous ses membres. Il ne répondit rien et se mit à s'habiller d'un air égaré.

Quand il eut passé son pantalon, il demanda si on ne pourrait pas lui donner un peu de vin. L'abbé Crozes s'empressa de lui en apporter un verre qu'il avala d'un trait. Les couleurs revinrent à ses pommettes pâles.
« Maintenant, dit-il, je fumerais bien une cigarette ».

On lui en donna une toute faite. Il l'alluma et se mit à examiner ses papiers placés dans le tiroir de la table en bois blanc, qui meublait sa cellule. Un à un, il les compulsa lentement, en apparence pour y faire un choix; en réalité c'était pour gagner du temps. Au bout d'un instant cependant, il se décida à remettre au directeur une lettre; puis il donna ce qui lui restait d'argent à l'abbé Crozes.

« Vous savez pour qui c'est, n'est-ce pas ? lui dit-il.

Lebiez avait tellement la conviction d'être envoyé à la Nouvelle*, qu'il avait prié un des gardiens de lui faire la monnaie de cinq francs,craignant, disait-il, de ne pas pouvoir la changer sur le bateau. Il avait joué aux cartes jusqu'à deux heures du matin. Puis il avait pris un livre, L'Histoire des navigateurs, et avait lu jusqu'à trois heures.

Il y avait à peine deux heures qu'accablé par la fatigue il s'était endormi. « Lebiez. », dit le directeur. Lebiez ne bougea pas. Il fallut qu'on le secouât pour le tirer du sommeil de plomb dans lequel il était plongé. « Ah ah ah », dit-il sur trois tons différents, regardant les assistants. Le directeur prononça la formule usitée. Lebiez sauta à bas de son lit, s'habilla rapidement, et se mit lui aussi à ranger ses papiers. « Voulez-vous fumer ? Voulez-vous un peu de vin ? lui demanda-t-on.
« Non, rien, merci ».

Eu relevant la tête il aperçut l'abbé Latour. Il lui fit signe de s'approcher et l'embrassa à plusieurs reprises.
A ce moment. Barré passait devant la cellule de Lebiez, fumant machinalement sa cigarette qu'il avait rallumée deux fois pendant son entretien avec l'aumônier.

On le livra à M. Roch pour la toilette. Comme l'exécuteur voulait le ligoter :
« Oh! ne me faites pas de mal, dit-il, je vous promets que je ne me débattrai pas. »
M. Roch l'attacha en effet avec beaucoup de précautions. Néanmoins, le contact de la corde le fit défaillir.
« Encore du vin! du vin » râla-t-il. On lui plaça le verre aux ièvres. Il but avidement..
Puis :

« Je voudrais bien encore une cigarette », demanda-t-il. Mais M. Baron fit un signe. Pendant toutes ces lenteurs de Barré, la toilette de Lebiez avait été faite. On ne voulait pas prolonger l'agonie de ce malheureux, qui ne devait passer que le second et qui attendait. On se mit en marche. A ce signal « Sabre en main », la porte de la Roquette s'ouvrit pour laisser passer le condamné. Barré avait perdu toute son énergie; chaque pas qu'il faisait vers l'échafaud augmentait sa défaillance. A mi-chemin, il s'affaissa. Si on ne l'avait soutenu solidement, il tombait à terre. On l'enlève. L'abbé Crozes l'embrasse. On le jette sur la bascule. Le couteau s'abat. La tête tombe régulièrement dans le baquet, mais le corps, par suite sans doute d'un soubresaut suprême, n'est projeté qu'à moitié dans le panier les épaules portent sur le montant du panier, et un énorme jet de sang inonde les vêtements de l'aide, qui, suivant l'usage, s'avançait vers le panier pour y jeter la tête. Roch se précipite sur le tronc, le saisit à bras-le-corps et le jette dans le panier. L'aide, qui verse la tête, est souillé de sang, le montant qui touche au panier en ruisselle et la bascule elle-même en est teinte.


Lebiez, qui suivait, aperçut cette scène horrible. Il entendit le bruit du choc. Il eut un éblouissement à son tour: mais, avec une volonté de fer, il se remit en marche en se disant à mi-voix « Allons, allons ». A l'avant-greffe, il s'était livré aux aides et s'était laissé garrotter par eux,sans faire entendre la moindre plainte, sans manifester la moindre faiblesse. Et de lui-même il s'était mis à marcher vers la guillotine, dont on avait rapidement relevé le glaive. Arrivé à quelques mètres de l'échafaud, l'abbé Latour lui présenta le crucifix, qu'il baisa. Le prêtre à son tour l'embrassa. Les exécuteurs le saisirent.

« Adieu, messieurs », dit-il d'une voix ferme. Lorsque l'abbé Latour se retira, Lebiez vit la bascule couverte du sang de son ami. Son visage trahit une crispation de dégoût. Puis le couteau tomba pour la seconde fois.


____________________________________________________________________________________

* La Nouvelle = Bagne de la Nouvelle-Calédonie



Mais quelle force ont-ils ! 36661380220080215161828

Aimé Thomas BARRÉ, exécuté avec Paul LIEBEZ, Le 07-09-1878, par Nicolas ROCH.

Source photographique : SYWANN.

____________________________________________________________________________________


Note reliée à ce lien pour Nicolas Roch :

http://site.voila.fr/guillotine/Roch.html


* NICOLAS ROCH *


En 1878, il innove, lors de l'exécution de Barré et Lebiez. Ayant maintes fois remarqué la terreur fascinée des condamnés face au couteau, il fait visser sur la machine une plaque de bois qui cache le couperet. Cette guillotine "améliorée" ne fonctionnera que peu de temps. Le 18 décembre 1878, il exécute Mautin à Alençon. Ce sera sa dernière. Le 24 avril 1879, il s'écroule, victime d'une crise d'apoplexie. Il meurt le lendemain, à 66 ans, après 55 ans au service de la Justice, et plus de 300 exécutions. Son aide breton, Louis Deibler, lui succède le mois suivant.


Dernière édition par mercattore le Mar 29 Avr 2008 - 16:36, édité 8 fois
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