Sonthonax à Saint-Domingue

La seule et unique guillotinade effectuée à Saint-Domingue le 19 novembre 1793 sur la personne du Rouennais Pilou qui gérait l’habitation Michaux en banlieue de Port-au-Prince, autorisée par les commissaires de la Convention Sonthonax et Polvérel dans le but d’intimider les colons qui leur étaient massivement hostiles et de s’attirer la faveur des Noirs qu’ils venaient d’affranchir de l’esclavage le 31 octobre, provoqua chez ceux-ci un tel tollé qu’ils se ruèrent sur l’échafaud mal gardé par le colonel Hugues Montbrun et le détruisirent, une réaction craintive de «race amollie par le climat» et «abrutie par le labeur» selon le suprémaciste Paul Morand qui, dans Magie noire en 1928, l’oppose à la hardiesse d’un Sonthonax assumant au pied levé le rôle de bourreau :

«En avant pour la Terreur! (...) Or, en 1789, en Haïti, qu’avait-on vu? L’île peuplée d’esclaves inertes qui, sans les jacobins français, n’auraient, d’eux-mêmes, jamais pensé à se révolter. Heureusement que de hauts esprits de gauche, Mirabeau, La Fayette, avaient su prendre l’offensive; ils fondaient, en 1786, cette Société des amis des Noirs chargée de répandre dans les colonies des brochures incitant les gens de couleur à la révolution. 1791 : «Périssent les colonies plutôt qu’un principe.» 1794 : c’est chose faite. Mais est-ce grâce aux Noirs? Nullement. Il faut, là encore, que la Convention française opère d’elle-même. Ses commissaires, Polvérel, Sonthonax, débarquent de Paris. Apathie des esclaves devant le bonnet phrygien. Alors Sonthonax monte en personne, sur la grand-place de Port-au-Prince, sa guillotine; il convoque le peuple. Vingt mille Noirs. Devant eux, le voici qui, de ses mains, tranche la tête d’un royaliste; cette tête blanche, il la tend aux nègres. Mais ceux-ci sont si arriérés, si religieusement habitués à penser : «Après Bon Dieu, li Blanc», si épouvantés, qu’au lieu de se réjouir, ils ont honte, crient au sacrilège et mettent la guillotine en pièces!»