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| Sujet: Ahmed ben Sliman - 1924 Dim 26 Avr 2009 - 15:16 | |
| Journal LE FIGARO, du 20 août 1924. « Bonjour, tout le monde ». Telles furent les dernières paroles du condamné à mort exécuté hier avant le petit jour, boulevard Arago. Sur le trottoir, au pied du mur de la Santé, des hommes travaillent en silence. Ils installent la guillotine. Ils ne vont pas vite. Pour voir si les boulons sont bien en place, ils doivent soulever une des deux lanternes à bougie posées sur le bitume. On a barré le trottoir au-dessus et au-dessous de l'endroit où, tout à l'heure, un homme sera décapité.
Il y a, d'abord une barrière en bois, comme celle qui maintient, à l'extérieur d'un théâtre, les spectateurs qui font la queue dans l'espoir d'être bien placés. Sur cette barrière
, des agents en uniforme sont accoudés. Derrière eux, une corde est tendue, attachée aux troncs des arbres. Les ayants droit, si l'on ose dire, sont arrêtés par cette corde. Il faut bien qu'on pense à un promenoir de music-hall.
On entend des moteurs d'auto. Des chevaux piaffent, des cigarettes s'allument dans la nuit. De jeunes agents, qui n'ont jamais vu tomber une tête, avouent qu'ils ont peur. On leur a raconté des histoires terrifiantes. On leur a dit que, souvent, quand le couperet tombe, un jet de sang éclabousse les assistants et qu'il y en a qui s'évanouissent. Derrière leurs chevaux, les gardes républicains, qui font face à l'échafaud, de l'autre côté du boulevard, fument des cigarettes, en tapant un peu des pieds. Il fait froid. Une horloge sonne. La cloche grêle d'un couvent, à cinq heures, égrène les notes d'un angelus. Le jour point. On distingue maintenant entre les deux bras de la guillotine le couteau triangulaire qui dans un quart d'heure tranchera une tête.
Cinq heures vingt. Un mouvement dans la foule. Les cavaliers se mettent en selle, cherchent la dragonne de leurs sabres. Le fourgon qui amène le condamné vient de sortir de la rue de la Santé et monte, au trot de ses deux chevaux, le boulevard Arago. Trois hommes sont sur le siège. Un moment, qui semble long, s'écoule avant que l'arrière de la voiture soit ouvert. On dispose un escabeau. Et l'on voit descendre, péniblement, un prêtre, l'abbé Bertho, aumônier de la prison, qui vient de baptiser in extremis l'homme qui va mourir. Derrière lui apparaît, le torse à demi-nu, les bras invisibles sous la camisole de force, Ahmed ben Sliman. (1) La brute qui tua deux femmes à Grenelle sourit presque devant la mort, si l'on peut, appeler sourire la grimace qui contracte sa face. « Bonjour tout le monde ». II a dit cela tout naturellement, du ton dont il aurait salué les clients du débit où, sans doute, il prenait chaque matin, à pareille heure, sa tasse de café. Mais Deibler et ses aides l'ont déjà poussé vers la bascule. Le couteau tombe. Dix secondes après le bourreau et trois de ses hommes chargent dans leur camion un grand panier. (1) Selon le Palmarès, son nom est plus précisément Mohamed Ousliman Khémilé. |
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