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 Bals curieux de Paris - Assassinat du général Bréa - 1849

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MessageSujet: Bals curieux de Paris - Assassinat du général Bréa - 1849   Bals curieux de Paris - Assassinat du général Bréa - 1849 EmptyVen 13 Mai 2011 - 15:00

LA GUINCHE -                                                              1875 - Quelques bals populaires de Paris sous la République de Mac-Mahon.


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Quotidien Le Figaro, du 26-01-1875.
(Source : Gallica).

A travers les bals.

La nouvelle nous étant venue que la préfecture de police avait l'intention de former plusieurs des bals les plus excentriques de Paris, nous avons voulu faire exactement connaître à nos lecteurs ce que sont ces bals, et nous avons fait dimanche et hier soir lundi une tournée dans quelques-uns des plus inconnus d'entre eux.
Hâtons-nous de constater que cela ne veut nullement dire que les bals dont nous allons parler soient ceux que menace la préfecture.Ce sont seulement les moins connus, nous le répétons.
Nous avons entrepris à quatre cette expédition pittoresque.
Voici, sans narration de notre itinéraire, ce qui allongerait inutilement notre récit, la description sommaire des établissements à visiter.

LA BELLE MOISSONNEUSE (1)

Barrière de Fontainebleau. Quand nous arrivons, nous entendons une voix perçante qui sort d'un guichet, en criant :
C'est vingt centimes par tête.

Nous donnons seize sous, nous entrons. La voix perçante nous rappelle et nous apprend avec bienveillance qu'il y a un supplément de dix centimes pour chaque quadrille que nous danserons. Il est vrai que les valses et les polkas sont gratis.
La salle est très grande, blanchie à la chaux. L'estrade des musiciens est à la hauteur d'un entresol. Ce n'est pas drôle, allez, d'être musicien à la Belle Moissonneuse… L'un des divertissements du lieu est de leur lancer des boulettes. On joue des saladiers à qui attrapera le premier violon à la tête. A la porte sont de plantons, deux gardes de Paris choisis parmi les plus solides.

On échange parfois des horions là-dedans, et, nous a dit quelqu'un de la maison, ce sont les femmes qui sont le plus batailleuses. Elles se prennent de querelle pour les don Juan de la place d'Italie. Nous nous sommes intimement liés à la Belle-Moissonneuse avec un jeune gentleman vêtu d'une vareuse et d'un pantalon à côtes enfoncé dans des bottes. Il nous a affirmé que nous devrions venir plus souvent, que, si nous voulions, il nous présenterait à des amies de sa dame. Il nous a ensuite raconté avec une admiration évidente et rétrospective les exploits de deux des célébrités de la Belle Moissonneuse, le Loup blanc et le Cosaque, qui avaient une habitude d'enfance, celle de manger le nez  de tout individu dont la figure leur déplaisait. Il paraît qu'ils vous coupaient le bout du nez avec une suprême habileté.
Tous deux sont à Cayenne aujourd'hui.
En nous quittant, notre collaborateur nous a remis sa carte, dont voici le fac-similé :
                                                                                                                                                   
________________________

EUGÈNE ARMAND
DIT NIB DE TRONCHE

26, passage des Charcutiers
________________________


LE BAL DES  ARDICOS.

Il est situé dans une petite rue à côté de la barrière de l'Ecole. C'est relativement un bal assez tranquille, plutôt une réunion d'amis où l'on danse qu'un véritable bal public. Les habitués se connaissent tous, en effet. Ce sont, pour la plupart, d'anciens soldats d'Afrique.
Le personnel féminin se compose des épouses plus ou moins légitimes de ces messieurs. On y danse au son d'une clarinette et d'un fifre. On y avait d'abord pris un tambour, mais les voisins ont réclamé. Il a fallu supprimer la peau d'âne, au grand désespoir du patron, un ancien sous-off de zouaves du nom de Moraix. Celui-ci s'en venge en racontant, dans les intermèdes, ses interminables campagnes. Il accompagne ses récits de dessins au crayon sur le mur.

LE BAL DE LA VEUVE.  

Le Bal de la Veuve est situé au fond d'une allée, rue de Ménilmontant. C'est une longue salle, étroite, basse de plafond. A l'extrémité opposée à la porte est une excavation. Là-dedans se place l'orchestre composé de quatre musiciens. Tout autour règne une petite estrade pour les consommateurs. La patronne de l'établissement, la Veuve, est une énorme femme qui trône à un comptoir en bois peint en acajou. Soixante ans environ, des rides qui ont l'air d'ornières, un pied de rouge sur les joues, et une voix de basse grondante.

Comme public, des hommes en blouse, presque tous des types de maquignons. Nous nous approchons de la Veuve qui, voyant des gens bien mis, nous accueille par un sourire gracieux et nous propose un chablis-cassis, un sang-de-bœuf (?) ou un « saladier de vin chaud à la castonnade », — tout ce qu'il y a de plus distingué en fait de consommations. Nous refusons, mais la veuve ne nous en veut pas. Elle est au-dessus de ça.
Vous devez trouver que le monde est bien mêlé ici ? soupire-t-elle.
                                                                                                                                                                            — Mais non…Il y a des gens très bien…
Vous me comblez. Ce qu'on peut jurer sur la tombe de son mari, en tout cas, reprend la veuve, c'est que jamais la police n'a affaire ici...
A ce moment, comme si le diable lui-même se mêlait de lui donner un démenti, deux hommes en redingote s'approchent du comptoir, et, exhibant des cartes :
Veuillez nous indiquer le nommé Amable Grenot, demandent-ils…
La veuve qui reconnaît des inspecteurs de la sûreté s' empresse de désigner un individu en blouse qui exécute un cavalier seul à quelques pas de nous.
Les inspecteurs laissent le malheureux Grenot terminer sa figure, qu'il achève gracieusement sur les mains. Puis, ils l'invitent à les suivre. Douloureuse stupéfaction de Grenot qui met la main sur son cœur et jure sur la tête du maréchal de Mac-Mahon que ce n'est pas lui qui fait le coup…  
                                                                                                                                                                            — C'est pas lui ! C'est pas lui !

Ce sont une douzaine de femmes qui crient cela en s'empressant autour des agents. Amable Grenot a manifestement beaucoup de succès auprès des dames… Ce que c'est que de danser sur les mains !
Mais la police n'a pas le cœur sensible, chacun sait ça, et l'on emmène Grenot qui avant de partir, s'approche du comptoir et, d'une voix avinée :
Adieu, la Veuve, dit-il… Tu diras à Adèle de m'envoyer un peu de braise! Pendant qu'on l'emmène, je m'informe de ce qu'il a fait. Moins que rien il a donné un petit coup de couteau à un monsieur qui s'était mal conduit avec Adèle.                  
Le groupe sorti :

Vous comprenez, messieurs, nous dit la Veuve en pinçant les lèvres, que vous ne pouvez plus rester ici après, ce qui vient de se passer. Et, légèrement étonnés de cette conclusion, nous sortons au milieu de grognements qui manquent de sympathie.

LE GRAND BAL DE CASTILLE.

Le Grand bal de Castille, située, 27, rue Nouvelle, est dirigé par un Espagnol du nom de Pepe Chaviraz. Un hidalgo, un pur hidalgo ! Pepe Chaviraz porte le costume andalou, très fripé, mais andalou. Il a pour clients un assez grand nombre de ses compatriotes, tondeurs de chevaux pour la plupart.

Ce serait la joie de Gustave Aymard de passer une heure là-dedans. Tout ce monde hurle un français mêlé d'espagnol à rendre sourd. Pendant les danses, on frappe du pied à ébranler le plancher. Pepe Chaviraz regarde cela d'un air préoccupé en fumant sa cigarette. Il trouve évidemment que cela fait trop de bruit. Aussi, se levant tout à coup, et tendant la main avec une certaine dignité :                                                                                                               — Senores caballeros y senoras, commence-t-il, se me ha dicho…
— Abajo Pepe ! interrompent deux ou trois voix.
Et tout le monde reprend en choeur :
Abajo Pepe.

L'hidalgo Chaviraz se rassied sans insister, et c'est avec méfiance qu'il nous regarde nous approcher. II nous prend évidemment pour des inspecteurs de police susceptibles de faire fermer son bal.
Néanmoins il se rassure, vite, et nous fait d'assez bonne grâce les honneurs de chez lui. Puis il nous explique, dans un espagnol étrange, qu'il est d'une excellente famille, et qu'il a été domestique du maréchal Serrano. Le jour où celui-ci fut créé duc de la Torre, il lança un coup de pied dans le dos de Pepe, qui se montre encore fier de cette marque de distinction et raconte le fait d'une voix émue.

LE  BAL D AUSTERLITZ.  

Ne pas se figurer que cet établissement reçoit exclusivement les vieux débris de la Grande-Armée. Le défilé des danseurs ne ressemble en rien à :

La grande revue
Que, vers la douzième heure,
Aux Champs-Élysées,
Passe le César décédé.

Des mariniers, des déchargeurs de bateaux, des débardeurs vrais, sont les clients habituels de ce bal, qui doit son nom au pont d'Austerlilz en face duquel il se trouve. Est-ce à cause du nom cependant qu'il s'y livre si souvent des batailles ? Il est vrai qu'elles ressemblent peu à celles du premier Empire. Un coup de tête dans la poitrine, un coup de soulier dans le ventre, voilà comment en y mettant hier le pied nous avons vu l'action à la fois s'engager et finir. Un des combattants était à terre. Au bout de dix minutes, du reste, nous le voyons rentrer et faire vis-à-vis au vainqueur.
On n'a pas de rancune au bal d'Austerlitz.

LE BOEUF A  l'HUILE.  

Rue Charlot. Rien de particulier, sinon qu'on nous y raconte un fait épouvantable qui vient de se passer juste en face, au numéro 77, chez un marchand de vins :

Un jeune homme, du nom d'Etienne Brispeaux, demeurant 42, rue de l'Hôtel-de-Ville, s'y enivrait en compagnie d'une reine de musette. Pendant ce temps, sa femme gardait la maison. C'était lui naturellement qui avait tout l'argent. Sa femme, je ne sais comment, apprend ce qu'il fait et où il est. Lasse de l'attendre et pleine de rage, elle court rue Charlot, bondit dans le cabaret et, saisissant son mari à  la gorge lui dit :
— Tu vas rentrer à la maison !
Moi jamais de la vie. Et mon verre qu'est plein.
— Je veux que tu me suives.
Et moi, je veux boire.
La femme, exaspérée, veut l'entraîner dehors
Le cabaret retentît du bruit d'une dispute furieuse.
Ah, c'est ainsi ! — s'écrie le mari.— On m'embête. Ça va finir !
Et il tire son couteau.                                                                                                                                                
On frémit. On a peur qu'il ne tue sa femme. On éloigne celle-ci.
Ah ! ah ! êtes-vous bêtes ! — s'écrie-t-il.
Regardez ! Et il se frappe de son couteau-poignard en pleine poitrine et tombe sur le sol.
Ce coup l'a atteint dans la région du coeur, et, chose étrange, ne l'a pas tué raide. On a transporté Brisseaux à l'Hôtel-Dieu, où il agonise à l'heure où nous écrivons. Le malheureux était un des beaux danseurs du Bœuf à l'huile.

                                                                                                                                                                              LE CHALET.

Arrêtons-nous ici !…
Construit dans un terrain, 43, boulevard de Clichy et 2, rue Hélène, ce bal doit à sa construction spéciale des allures tout aristocratiques. On s'y bat naturellement un peu, parce qu'on ne saurait s'amuser sans ça, mais d'ordinaire quand on a une querelle à régler on va se  cogner dans la rue, afin de ne pas effrayer les dames.
On nous a montré, au Chalet, une pauvre fille qui, depuis quatre ans, y vient tous les soirs pour y chercher son amant qui a été fusillé au moment de la Commune.
Elle est folle depuis ce temps-la, mais sa folie est inoffensive et douce. Quand on l'invite a danser :
Oh non, répond-elle avec effroi… il est jaloux, très jaloux !

L'ARDOISE.

Cet établissement, situé barrière de l'Ecole, offre un cachet tout particulier. Pas d'entrée à payer, 10 centimes par contredanse, les polkas, valses et mazurkas gratis.
La salle de danse est entourée d'un gros câble, qui permet au patron de faire sa recette après chaque quadrille, sans que les danseurs puissent s'esquiver. On tient la corde au moment de La pastourelle.
Des saladiers en plomb, solidement vissés aux tables, reçoivent un certain vin rouge que nous avons goûté.
L'usage des verres est inconnu, un énorme gobelet attaché au saladier par une longue chaîne, se passe à la ronde et personne ne demande à le faire rincer.

LA FOLIE  REGNAULT.  

C'est juste en face du sinistre magasin où M. Roch remise la guillotine qu'est établi le bal de la Folie-Regnault. C'est un des bals-musettes où viennent le moins de coquins. Il est presque exclusivement fréquenté par les fossoyeurs du Père-Lachaise, les ouvriers marbriers du voisinage et des croque-morts qui viennent par invitation.
On n'y est pas plus triste pour cela.
Pendant que nous étions là, l'un des fossoyeurs du Père-Lachaise a exécuté, en notre honneur, un pas qu'il a baptisé le pas du discours funèbre, et dans lequel il imite, avec force contorsions, un orateur qui fait des gestes de désolation au bord d'une tombe.
Le patron du bal de la Folie-Regnault est un ancien ténor de province, ce qui lui permet de donner gratis à ses invités des intermèdes de chant. Pour nous en montrer un échantillon, il a commandé « Halte-là » à l'orchestre qui préludait, et a entamé d'une voix plaintive l'air de Lucie de Lammermoor :

Bientôt l'herbe croîtra sur ma tombe isolée…

Cela a jeté un peu de froid dans l'assistance, qui n'a pas paru sensible à cette attention de choisir un morceau où il était question de cimetière. Nous avons promis, en partant, au ténor-directeur de parler de sa voix dans le Figaro.
C'est fait.

LE BAL DES MONSTRES.

Le bal des Monstres est annexé à l'hôtel du même nom, situé 87, route de Flandres, et dont nous avons déjà parlé. On se rappelle que cet hôtel est le rendez-vous habituel des phénomènes qui s'exhibent dans les fêtes de Paris et de la banlieue. On y dansait avec beaucoup d'animation avant-hier soir dimanche. Au moment où nous sommes entrés, on exécutait un avant-deux général, et, près de la porte, « l'Homme
Squelette, — que vous avez vu sans nul doute — faisait vis-à-vis à la princesse Zénobie, naine de profession.
L'Homme-Squelette doit avoir quelque chagrin intime, car il avait l'air mélancolique comme un chien d'aveugle battu. Cela ne l'a pas empêché de lever, à un moment donné, une de ses jambes immenses à la hauteur de son menton.

Au moment du galop, cela est devenu curieusement effroyable, et nous avons vu passer devant nous,dans une ronde qui eût fait pâmer d'aise Callot, des couples hideux ou grotesques un homme à tête énorme serrant dans ses bras une femme à longue barbe noire, un nain difforme soulevé de terre par une femme couverte d'écailles de poisson, deux mulâtresses unies entre elles par une membrane, comme Millie-Chistine, et dansant « ensemble », naturellement, l'une servant de cavalier, puis des hommes à la tête tournée, un cyclope dont l'œil unique bordé de rouge brillait comme un charbon, des albinos aux grands cheveux blancs flottant derrière leur dos, un homme-caoutchouc qui, en dansant, avait fait pousser une bosse dans son dos, enfin, un énorme chien que son maître tenait par le milieu du corps comme une danseuse et qui se laissait gravement entraîner dans ce diabolique tourbillon, en poussant de temps à autre un aboiement plaintif.

Ma foi, nous ne sommes pas restés longtemps. Il paraît que ce public-là est peu endurant, et la perspective d'une bataille avec tous ces êtres difformes n'avait rien de récréatif.

LE BAL DES DÉLICES.

Barrière de Vincennes, une grande salle nue au rez-de-chaussée. Mobilier : une estrade à trois places, des bancs de bois brut et un énorme robinet de cuivre, au-dessus d'un bassin.                                                                                       C'est ce robinet qui attire surtout notre attention.                                                                                                      — A quoi diable cela peut-il bien servir ? demandons-nous à un danseur en train de remettre son paletot, qu'il avait enlevé pour danser plus à son aise.
J'vas vous dire, nous répond-il gracieusement. C'est bien utile. D'abord pour ceux qu'ont soif et qu'ont pas de ronds de trop puis pour se laver les mains quand on a trop chaud. Enfin, dame, quand on se bûche un peu, faut bien se nettoyer, pas ?
Nous n'insistons pas et nous remontons en voiture.

LA PUCE QUI RENIFLE.

Pourquoi ce nom? Ni le propriétaire de ce bal, situé avenue Daumesnil, ni ses habitués ne le savent.
C'est la tradition de l'appeler comme ça, nous a dit gravement le propriétaire. C'est au bal de la Puce qui renifle que se réunissent les chiffonniers. Il y a même une antichambre-vestiaire qui sert spécialement, à accrocher les hottes.
Il nous a semblé n'y avoir guère que des braves gens à la Puçe qui renifle. On nous y regardait avec une curiosité qui n'avait rien d'hostile.
Une scène amusante s'y est passée devant nous. Un vieux chiffonnier, qui paraissait quelque peu gris, à tout à coup élevé une voix avinée pour demander ? » si quelqu'un de la société voulait lui faire l'honneur d'accepter la main de sa fille. »
Et comme on ne i'écoutait pas, il a dit avec un sanglot dans la voix :
C'est bon. Je vois qu'on me méprise… Ils méprisent un honnête homme… J'vas travailler, le travail console.  
Et, prenant sa hotte au vestiaire, il est sorti avec une dignité navrée.

Je suis obligé d'arrêter là cette revue, l'espace étant mesuré. Je reparlerai, une autre fois, de cinq ou six bals-musettes, exclusivement fréquentés par les Auvergnats.                                                                                                             Un autre jour je ferai également la curieuse revue des caboulots du quartier Latin.


GASTON VASSY


(1)
La Belle Moissonneuse.


Cette auberge fait partie de la mémoire révolutionnaire du XIIIème arrondissement de Paris.
Elle était située sur la route de Fontainebleau, à la hauteur de l'actuel n° 76 de l'Avenue d'Italie (aujourd'hui, quartier Maison-Blanche), dépendant à l'époque de la commune de Gentilly.
C'est en effet dans cette auberge que furent tués le 25 juin 1848 le général Jean-Baptiste-Fidèle Bréa et son aide de camp, le capitaine Armand de Mangin. S'étant proposé pour négocier avec des insurgés de la barrière de Fontainebleau (place d'Italie), qui tenaient là une barricade*, le général Bréa avait été capturé par ces derniers et enfermé, ainsi que d'autres, à  "Belle Moissonneuse".

* Des centaines de barricades (1500, environ) s'étaient élevées dans les rues de Paris, suite à la suppression, par le nouveau pouvoir, des Ateliers nationaux, fondés par l'ancien gouvernement provisoire, et qui permettaient aux chômeurs de recevoir un petit pécule. Les combats de ces journées révolutionnaires de juin 1848 firent de nombreuses victimes.

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Matinée du 26 juin 1848. Rarissime document photographique                   sur les journées révolutionnaires de Juin 1848.
Barricades de la rue Saint-Maur-Popincourt avant l'attaque des troupes gouvernementales du général Lamoricière.
Daguerreotype de Thibaut.
(Source : Histoire par l'images - Musée d'Orsay -APRMN).
Photo RMN - Hervé Lewandowski.

* Voir à la fin du post un plein-écran de ce rarissime document.

Agrandissement :

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Journée du 26 juin 1848. Les troupes du général Lamoricière sont intervenues sur les barricades de la rue Saint-Maur- Popincourt.            .
Daguerréotype de Thibault.
(Source : Musée d'Orsay -APRMN).
Photo RMN- Hervé Lewandowski.
 

Agrandissement :

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En regardant un peu attentivement on peut distinguer, en plus des soldats gouvernementaux, des charrettes à deux roues supportant vraisemblablement des canons.


                                                                                                                                                                     Comme souvent, les chiffres des victimes divergent considérablement. De 1500 (hors fusillés) à 12000 (fusillés compris) du coté des insurgés, selon les sources ! Pour les forces de l'ordre le chiffre  couramment cité est de 1600 tués.

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Combats sur la barricade de la rue Soufflot (quartier du Panthéon), par Horace Vernet.  
(Source : Wikipédia).                                                              

L'identification des responsables de la mort du général Bréa et du capitaine de Mangin ne fut pas formellement établie. Vingt-cinq hommes furent arrêtés et passèrent en jugement à partir du 16 janvier 1849 devant le 2ème Conseil de guerre de la 1ère région militaire. Le verdict, prononcé le 7 février 1849, s'échelonna de la peine de mort à l'acquittement. Cinq des accusés furent condamnés à la peine capitale :
                                                                                                                                                                            Henri-Joseph Daix, 40 ans, journalier — Nicolas Lahr, 29 ans, maçon — Charles-André-Émile Chopart, 23 ans, employé de librairie — Jean-Alexis Noury, 18 ans, garnisseur de couvertures — Charles-Auguste-Victor Vappereaux, 34 ans, garçon marchand de chevaux.
Les condamnés furent ensuite incarcérés au fort de Vanves (Hauts-de-seine).                                                                                                                                        
Ils se pourvurent en Conseil de révision qui, le 19 mars 1849, confirma leur condamnation. Ils se pourvurent alors en Cour de cassation, arguant du fait que la peine de mort en matière politique avait été abolie par l'article 5 de la récente Constitution (4 novembre 1848) : « La peine de mort est abolie en matière politique. » Le 9 mars 1849, la cour de cassation jugea que cet article ne pouvait s'appliquer aux cinq condamnés qui, selon elle, relevaient du droit commun.

Dans "Choses vues", Victor Hugo relate :

« Le président Louis Bonaparte inclinait à la clémence. Il était facile de traîner en longueur la révision et la cassation. L'archevêque de Paris, M. Sibour (2) successeur d'une victime, vint demander la grâce des meurtriers. Mais les phrases convenues prévalurent. Il fallait rassurer le pays, il fallait reconstruire l'ordre, rebâtir la légalité ébranlée, réédifier la confiance, et la société de cette époque en était encore là d'employer des têtes coupées comme matériaux. L'espèce de Conseil d'Etat qu'il y avait alors, consulté, aux termes de la constitution, opina pour l'exécution.

L'avocat de Daix et de Lahr, M. Cresson, vit le président. C'était un jeune homme ému et éloquent. Il parla de ces hommes, de ces femmes qui n'étaient pas encore veuves, de ces enfants qui n'étaient pas encore orphelins, et, en parlant, il pleura.
Louis Bonaparte l'écouta en silence, puis lui prit les mains et lui dit : « Je suis bien malheureux. »
Le soir de ce même jour, c'était jeudi, le Conseil des ministres s'assembla. La discussion fut longue et vive. Un seul ministre penchait du côté du président et repoussait l'échafaud. Louis Bonaparte résista longtemps. Le débat dura jusqu'à dix heures du soir. Mais la majorité du Conseil l'emporta, et avant que les ministres ne se séparassent, le garde des Sceaux, Odilon Barrot, signa l'ordre d'exécution de trois des condamnés, Daix, Lahr et Chopart. Noury et Vappreaux jeune furent commués aux galères perpétuelles.
L'exécution fut fixée au lendemain matin, vendredi. La chancellerie transmit immédiatement l'ordre au préfet de police qui dut se concerter avec l'autorité militaire, le jugement étant rendu par un Conseil de guerre.
Le préfet envoya chez le bourreau. Mais, depuis Février, le bourreau de Paris avait quitté la maison qu'il habitait rue des Marais-Saint-Martin. Il s'était cru destitué comme la guillotine. Il avait disparu.
On perdit du temps pour trouver sa nouvelle demeure, et, lorsqu'on y arriva, il était absent. Le bourreau était à l'Opéra. Il était allé voir jouer le  "Violon du diable".

Il était près de minuit. Le bourreau manquait. On dut ajourner l'exécution au surlendemain.
Dans l'intervalle, le représentant Larabit (3) auquel Chopart avait porté secours dans les barricades des barrières fut averti et put revoir le président. Le président signa la grâce de Chopart.
Le lendemain de l'exécution, le préfet de police manda le bourreau et lui reprocha son absence. « Ma foi, répondit Sanson (4), je passais dans la rue, j'ai vu une grande affiche jaune avec ce mot : "Le Violon du diable", j'ai dit : «Tiens, ce doit être drôle ! et je suis allé au spectacle. »
Ainsi une affiche de théâtre sauva la tête d'un homme.

(2) Monseigneur Sibour. Lui aussi connaitra une mort violente. Le 3 janvier 1857, il sera assassiné dans l'église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris, par Jean-Louis Louis Verger. Ce dernier sera  exécuté le 30 janvier 1857, devant la Grande-Roquette, par Jean-François Heidenreich. A remarquer le peu de jours séparant la date du crime de la date de l'exécution, 27 !                  .        

(3)] Denis, Marie, Larabit. Député de l'yonne. Directeur-adjoint du personnel au Ministère de la guerre à Paris. Mandé par le gouvernement, il alla visiter les insurgés pour les informer des offres de conciliation de ce dernier. Il échappa deux fois à la mort, une première fois à la barricade du Faubourg Saint-Antoine où l'archevêque Denys Affre fut tué à ses cotés, la seconde à la barrière de Fontainebleau, sauvé par Choppart.                      .        

(4) Victor Hugo fait une erreur puisqu'à cette époque c'est Charles-André Férey qui pratiquait les exécutions. Longtemps ignoré, il semble que ce soit le commissaire Jacques Delarue, dans son livre Le métier de Bourreau*, qui signala l'existence de cet exécuteur qui pratiqua  peu de temps. L'exécution de Daix et Lahr fut sa dernière, probablement suite au fait précité.
— d'autres sources mentionnent que le porteur de la convocation se serait trompé d'adresse, se rendant chez le fils Férey au lieu de se rendre chez son père, l'exécuteur, et que c'est ce fils qui s'était rendu au théâtre, et non le père—.

Comme les condamnations à la peine capitale avaient été prononcées par une cour militaire, c'est cette dernière qui désigna le lieu de l'exécution. Elle le fixa à la barrière de Fontainebleau (place d'Italie), remplaçant ainsi le lieu habituel des exécutions, place Saint-Jacques. C'est l'unique fois où la guillotine fonctionna à cet emplacement.

Pour l'exécution de Daix et Lahr, les autorités mobilisèrent de très importantes forces de l'ordre :
Plus de 20 000 hommes de troupe (25000 selon certaines sources, dont Victor Hugo dans "Choses vues").

En première ligne :

— Deux bataillons de gendarmerie mobile soutenus par une triple haie formée de deux régiments  d'infanterie de ligne, derrière lesquels étaient un régiment de lançiers couvert par la garde républicaine à pied et à cheval.

— Deux escouades de gardiens de Paris, divisées  en groupes, faisaient éclairer la place et toutes les rues adjacentes.

Le reste des troupes :

Sur le bd de l'hôpital, deux bataillons d'infanterie,
Sur les Gobelins, deux régiments d'infanterie légère, également massés; à la barrière de Fontainebleau, une batterie d'artillerie, mêche allumée. Victor hugo cite : « sept canons. »

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Assassinat du général Bréa et du capitaine de Mangin.
(Source : Joconde  [Catalogue collectif des musées de France] — Exposé au Musée des Ursulines, à Macon).


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A l'extrême gauche de ce plan, la barrière d'Italie (ou de Fontainebleau) où furent exécutés Daix et Lahr. A sa gauche et à sa droite, lignés en rose, les boulevards extérieurs qui marqueront la limite de Paris jusqu'au 31 décembre 1859.
Au sud de la barrière, l'ovale cerclé de points indique l'emplacement de la "Belle Moissonneuse", à Gentilly.
(Source : mercattore).

En relation avec cette affaire : Association 1851 pour la mémoire des Résistances républicaines : Témoignages de MM. Victor Schœlcher et Mathé :
http://www.1851.fr/auteurs/schoelcher/annexes_3.htm

Au su des dernières paroles de Daix sur l'échafaud, le témoignage (Lien ci-dessus) de Victor Schœlcher est troublant :

« Au nom du peuple français, je suis innocent.
Je meurs innocent pour avoir défendu la cause du général de Bréa… Je meurs pour le peuple, je meurs… citoyens, priez demain pour moi, pour ma femme, pour mes enfants…».


Daix a-t-il été un agent bonapartiste, manipulé, puis lâché par le pouvoir ?

— Sur l'exécution de Daix et Lahr voir le post de Konvoi : https://guillotine.1fr1.net/t101-articles-de-presse-journaux-gazettes


* Jacques DELARUE « Le métier de bourreau », éditions Fayard, 1979.

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Barricades de la rue Saint-Maur-Popincourt.
Matin du 26 juin 1848. Le calme avant la tempête.
(Source : Histoire par l'image).


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23 juin 1848. Prise de la barricade de la rue Fontaine au Roi et du Faubourg-du-Temple.
Par François-Ignace Bonhommé.
(Source : Histoire par l'image — Musée d'art et d'histoire, Saint-Denis (93).
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MessageSujet: Re: Bals curieux de Paris - Assassinat du général Bréa - 1849   Bals curieux de Paris - Assassinat du général Bréa - 1849 EmptySam 14 Mai 2011 - 10:24

Riche documentation, mercattore Bals curieux de Paris - Assassinat du général Bréa - 1849 680459

Très intéressant de connaître ce que fut ces bals dans lesquels régnait une ambiance si particulière Bals curieux de Paris - Assassinat du général Bréa - 1849 997337 Bals curieux de Paris - Assassinat du général Bréa - 1849 566992 affraid Suspect

Très beaux clichés de barricades Bals curieux de Paris - Assassinat du général Bréa - 1849 348277


Gaêtane Wink
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