Article en ligne du Figaro du 15 mai 2014. d'Anne-Laure Frémont
On s'ennuie pas chez certains...
La Soudanaise de 27 ans, enceinte de 8 mois, a également été condamnée à 100 coups de fouet pour «adultère» pour avoir épousé un chrétien.
«Nous vous avions donné trois jours pour abjurer votre foi mais vous avez insisté pour ne pas revenir vers l'islam. Je vous condamne à la peine de mort par pendaison». La sentence, prononcée par le juge Abbas Mohammed, est tombé ce jeudi dans un tribunal de Khartoum: Meriam Yahia Ibrahim Ishag, une jeune chrétienne de 27 ans, a été condamnée à la peine capitale pour apostasie. Cette Soudanaise, enceinte de 8 mois, risque de payer de sa vie son refus d'abandonner la religion chrétienne afin d'embrasser l'islam.
La charia, en vigueur au Soudan depuis 1983, interdit les conversions sous peine de mort. Pourtant, Meriam Yahia Ibrahim Ishag ne cesse de le clamer: «Je suis chrétienne et je n'ai jamais fait acte d'apostasie». Comme l'explique au Figaro Marie-Claude Gendron, coordinatrice Soudan pour Amnesty International France, la jeune femme a été élevée dans la foi chrétienne orthodoxe, la religion de sa mère, car son père, musulman, était absent pendant son enfance.
Dénoncée par un membre de sa famille, elle s'est fait arrêter en août dernier pour s'être mariée avec un chrétien du Sud-Soudan. Or tout mariage entre une musulmane (qu'elle dément être) et un chrétien est considéré comme un adultère; un crime pour lequel elle a également été condamnée ce jeudi à 100 coups de fouet. Ce n'est qu'en février dernier que le tribunal l'a aussi accusée d'apostasie.
Durcissement depuis la partition du pays
Selon Marie-Claude Gendron, l'apostasie a été ajoutée dans le code pénal en 1991, mais l'application de la charia s'est durcie depuis 2012, après la partition l'année précédente du pays avec le Sud-Soudan, à majorité chrétienne. Le président soudanais Omar el-Béchir avait d'ailleurs prévenu il y a quelques années: une cission du pays avec le sud ferait de la charia la «seule source de la Constitution». Mardi toutefois, le ministre de l'Information Ahmed Bilal Osmane a démenti les informations relayées par certaines ONG sur la multiplication des actes répressifs contre les minorités religieuses. «Nous vivons ensemble depuis des siècles», a-t-il lancé.
Selon les médias locaux cités par BBC Afrique, la Soudanaise pourrait être exécutée deux ans après son accouchement. Des militants cités par l'AFP estiment toutefois que si les peines de flagellation sont souvent exécutées dans le pays, celles concernant la peine de mort le sont rarement. La coordinatrice Soudan d'Amnesty explique pour sa part que jusqu'à présent, les peines pour apostasie n'ont jamais été appliquées... car les condamnés avaient fini par renier leur foi pour faire annuler leur culpabilité.
Meriam Yahia Ibrahim Ishag fera appel de la décision du tribunal, et ses avocats ont déclaré qu'elle était prête à s'adresser à la Cour constitutionnelle car, selon eux, l'interdiction de l'apostasie viole la Constitution. Ils espèrent sans doute qu'une mobilisation internationale fera pencher la balance. Le ministre britannique en charge des questions africaines, Mark Simmonds, s'est dit dans un communiqué «horrifié» par cette «sentence barbare qui témoigne du véritable fossé entre les pratiques des tribunaux soudanais et les obligations du pays en matière de droits de l'Homme». Mardi déjà, plusieurs ambassades occidentales avaient exprimé leur inquiétude face au cas de la jeune Soudanaise. «Nous appelons le gouvernement du Soudan à respecter le droit à la liberté de religion, notamment le droit à changer de foi ou de croyances», avaient indiqué dans un communiqué conjoint celles des États-unis, du Canada, de Grande-Bretagne et des Pays-Bas. Comme le rappelle la coordinatrice d'Amnesty, la condamnation de la jeune femme va notamment à l'encontre du pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Soudan a signé.
Dans son pays, la jeune chrétienne peut compter sur le soutien de plusieurs dizaines de personnes venues manifester jeudi devant le tribunal de Khartoum. «Non à l'exécution de Meriam», «Les droits religieux sont un droit constitutionnel», pouvait-on lire sur leurs banderoles. Certains se disent prêts à organiser des sit-ins jusqu'à ce que la Soudanaise soit libérée.