Premier ennemi public n°1, Pierre Loutrel, alias Pierrot-le-fou, fut membre de la Gestapo française puis une figure du grand banditisme après un passage par la Résistance. Il a traversé la période trouble de la l’occupation en France, volant, tuant, jusqu’à l’ivresse.
On a les ennemis publics que l’on mérite. La France sous l’occupation allemande, puis durant la période de la Libération a été un lieu propice à l’émergence de figures sombres, de meurtriers sans scrupules, de braqueurs alcooliques. Pierre Loutrel est de ceux-là, jusqu’à sa mort presque décevante, à l’arrière d’une fameuse traction avant Citroën, emblème de son gang.
Pierre Loutrel est né en 1916 dans un village de la Sarthe. A 15 ans, il s’embarque sur un navire marchand pour faire le tour du monde. Mais son caractère violent et instable le mène à la prison à Marseille quelques mois plus tard. Il n’en sort que pour effectuer son service militaire dans une sorte de bagne, les Bataillons d’Afrique «les Bat’d’Af».
Après cette épreuve, qui l’a visiblement marqué, il revient à Paris. Il s’accoquine avec des petits truands. Nous sommes en 1940. Vient le temps de l’occupation allemande. Loutrel y voit un moyen de développer ses activités hors-la-loi et d’exprimer sa violence. Il s’engage pour la Gestapo française, la tristement fameuse Carlingue, installée au 93 rue Lauriston à Paris. Elle est dirigée par un ancien commissaire, Pierre Bonny, reconverti dans les interrogatoires musclés, les meurtres, le racket, le marché noir et les vols au profit de la Gestapo. Ses compagnons d’armes sont des malfrats, des proxénètes, des condamnés de droit commun.
Entre 1941 et 1944, Pierre Loutrel s’enrichit. Il mène la grande vie, roule en décapotable, et se saoule au champagne au
One Two Two, un bordel de luxe parisien, en compagnie de ses compagnons d’armes, Abel Danos, dit
le Mammouth, Henri Fefeu, dit
Riton le tatoué, Georges Bouseseiche, dit
le gros Georges. Très souvent ivre, Loutrel s’avère particulièrement violent et brutal. Il se croit tout permis. Il boit beaucoup, trop, crée des incidents qu’il règle avec son P.38. Meurtrier de sang froid, multipliant les exécutions sommaires, il devient encombrant pour les Allemands qui voient en lui un individu incontrôlable.
LE GANG DES TRACTIONS AVANT
Pierre Loutrel sent lui aussi que le vent tourne. Les alliés se rapprochent. En 1944, il quitte Paris pour Toulouse, où il s’engage dans la Résistance. Il intègre le réseau Morhange, chargé de liquider les traîtres et les collabos. Il y rencontre Naudy, un as de la mitraillette. Malgré des dérapages, il est toujours couvert par ses chefs. Ses activités sont mystérieuses. Il appartiendrait aux services secrets, sous les ordres du colonel Passy. Il réapparaît en 1945 à Marseille puis rentre à Paris.
C’est la Libération. Loutrel retrouve ses anciens compagnons des pires heures et reprend ses activités de racket et de proxénétisme. À Montmartre, il croise Jo Attia, un ancien des Bat d’Af. L’homme revient de Mathausen. Ils fraternisent. Dirigés par Loutrel, trois anciens gestapistes : Danos, Fefeu et Bouseseiche ; un ancien FFI : Naudy et un ancien déporté : Attia s’unissent. La France est réconciliée !
Ces cinq hommes forment le Gang des tractions avant, spécialisé dans les braquages menés à bord d’une Citroën, les fameuses tractions avant.
À l’instar de la bande à Bonnot, le Gang des tractions se caractérise par ses règles d’or : préparation minutieuse, rapidité d’exécution, fuite et retraite dans un lieu sûr. Le gang enchaîne ainsi règlements de compte et braquages de plus en plus importants : 1946 sera une année faste. Au delà des sommes volées souvent très importantes, ce qui surprend la police c’est davantage la cadence effrénée avec laquelle le gang enchaîne les braquages aux quatre coins de la France, en Provence, en région parisienne… À peine ont-ils commis un braquage, qu’ils sont déjà en train de préparer le suivant.
C’est à cette époque que commencera un véritable chassé-croisé, une traque incessante entre les forces de l’ordre (dirigées par Roger Borniche) et le gang de tractions.
LE DÉBUT DE LA FIN
Le pouvoir est exaspéré par les méfaits du gang. Les policiers sont sur les dents. Les ordres sont formels, il faut les arrêter, coûte que coûte. La P.J. est informée que le gang doit se réunir dans un café des bords de Marne, aux
Marronniers le 25 septembre 1946. La police déploie les grands moyens dans cet environnement bucolique. Trois cent cinquante hommes de la Criminelle cernent le café. Les chefs sont présents. Mais rien ne se passe. Personne n’est au rendez-vous. L’inspecteur menace le tenancier du café qui ne sait rien quand surgit un gamin qui réclame six paquets de Gauloises. N’ayant plus rien à perdre, l’inspecteur décide de filer le gamin. L'enfant franchit le pont, longe le quai, et mène ses poursuivants à
l'Auberge, à Champigny. Les trois cent cinquante policiers lui suivent.
L’Auberge est encerclée. Après sommation, un homme sort, il est tué par les forces de l’ordre. Puis un déluge de feu s’abat sur l’Auberge. Le tenancier, croyant qu’il est attaqué par des malfrats, appelle la police de Nogent-sur-Marne. S’en suit un chaos total, la police de Nogent attaquant les hommes de la Criminelle. Bilan de l’opération : sept petits malfrats et deux dames. Dans cette confusion, le seul ténor du gang présent dans le café, Bouseseiche, a réussi à se cacher au fond d’un puits, évitant de justesse la rafle.
Les journaux se font l’écho de l’échec de l’opération mais la police poursuit sa traque, inlassablement. Pierrot le Fou est hissé au rang d'ennemi public numéro un. L’étau se resserre autour du gang. Même si aucun membre du gang n’a été arrêté, plus personne dans le milieu ne souhaite y être associé. Le premier à tomber est Henri Fefeu, cueilli à la sortie d’un bar de Montmartre.
LE CASSE DE TROP
Mais rien n’arrête Pierrot le fou, ni l’alcool, qu’il consomme à haute dose, ni la police. Leur nouvelle cible est une bijouterie de la rue Boissière à Paris. Le 6 novembre, il fait le coup seul, en état d'ivresse. Le bijoutier se défend. Il le tue. Puis il se précipite à l'arrière de la Traction avant où l'attendent Attia et Bouseseiche. Il s'affale sur la banquette. La voiture démarre. Il est sauvé. Soudain, un coup de feu : en voulant rengainer son colt, Loutrel vient de se tirer une balle dans le ventre. Fin pitoyable. «Pierrot Le Fou» meurt cinq jours plus tard. Attia, Bouseseiche l'enterrent de nuit sur une île de la Seine, près de Mantes. Il disparaît secrètement. Mais sa femme veut savoir la vérité. Les gangsters l'emmènent devant la tombe ; Bouseseiche lui colle une balle dans la nuque. Elle rejoint son fou de mari.
Pendant les trois années qui suivent, la police continuera à poursuivre un fantôme. Ses lieutenants tomberont un par un : en 1947, Jo Attia et Bouseseiche, en 1948, Naudy. Cinq jours plus tard, Danos est ceinturé dans un autobus après avoir dévalisé une chambre de bonne. Enfin, le 6 mai 1949, sur les indications d'un indic, la police exhibe les dépouilles de Pierre Loutrel. L’histoire de Pierrot le fou est définitivement close.
PIERRE LOUTREL EN QUELQUES DATES 1916 Naissance à Château-du-Loir dans la Sarthe
1941 Entre à la gestapo française, la carlingue
1944 Entre dans la résistance, réseau Morhange à Toulouse
1945-1946 Gang des tractions-avant
1946 mort en se tirant une balle dans le ventre
1949 son corps est identifié par la police
Source : http://www.13emerue.fr/dossier/pierre-loutrel