Journal « LE FIGARO », du 8 avril 1937.
LE FANTOME DU GUILLOTINÉ
TERRORISE SAINT-AUVENT
Limoges, 7 avril (par téléphone)
Saint-Auvent, bourg paisible de 1.300 habitants près de Limoges, a perdu le sommeil. Il possède une maison hantée. Voici plus d'un mois, certain soir, des bruits effroyables se déchaînèrent dans le grenier cela ressemblait tantôt au fracas de bouteilles qui roulent, tantôt à celui de chaises que l'on traîne sur un plancher. Parfois, le tumulte s'amplifiait on eût dit alors une herse dévastant le plafond, traînée par des bœufs apocalyptiques. Le village tout entier perçut le vacarme, qui dura jusqu'à 2 heures du matin. La terreur fut d'autant plus vive que la maison dans laquelle se déroulaient ces phénomènes était l'ancienne maison de Dardillac, l'assassin de deux automobilistes, guillotiné le 3 mars dernier sur le champ de foire de Limoges. Dans les esprits superstitieux, il n'y eut pas l'ombre d'un doute C'est le fantôme du guillotiné qui revient.
Pas un jour de trêve. Le premier soir, Mme Dardillac, veuve du criminel, avait elle-même éprouvé un tel effroi qu'elle alla se réfugier chez des amis, laissant la maison seule. Depuis lors, le ou les fantômes n'ont pas fait trêve un seul jour tout au plus constata-t-on une légère sourdine à son tapage nocturne depuis que Mme Dardillac a aspergé le grenier avec de l'eau bénite. Dans le village, nombreux sont, évidemment, les témoins qui ont voulu se rendre compte. M. Depoix, croix de guerre, a contrôlé toutes les issues. Quel qu'il soit, l'auteur du remue-ménage, assure-t-il, ne peut s'introduire dans le grenier par les voies normales. Deux voisines qui n'ont pas froid aux yeux, Mme Hélias et Mme Boulesteix, ont étudié longuement les bruits, circonscrit leur champ elles croient, comme presque tout le village d'ailleurs, qu'il s'agit bien de manifestations surnaturelles.
Le témoignage d'un sceptique On compte un seul sceptique il se nomme Lévêque. M. Lévêque s'est rendu sur place, l'autre soir, portant une bougie allumée. Lorsqu'il apparut, les bruits s'arrêtèrent et nul souffle hostile n'éteignit sa chandelle. Il explora les moindres recoins et ne découvrit pas même un rat. Cependant, s'il n'y avait pas de fantôme, il n'v avait pas davantage de mauvais plaisant. Et le sceptique lui-même se montre un peu troublé. Celui qui nous fait ces tours-là doit être un rude malin, avoue-t-il. Les gendarmes, en conséquence, ont été priés de coopérer à l'enquête. Mais presque tout Saint-Auvent persiste à croire que le problème dépasse leur compétence et qu'ils n'appréhenderont aucun délinquant en chair et en os.