Sasia Erlich, la première avocate à défendre un condamné à mort en FranceHabilitées à pratiquer le droit sur le tard, en décembre 1900, les femmes ont longtemps été cantonnées au droit des affaires et au droit matrimonial avant que certaines d'entre elles ne commencent à percer comme criminalistes au tournant des années 30 dans le sillage de Sasia Erlich qui aux côtés de Marcel Kahn a vainement plaidé la cause de Wladimir Zinczuk exécuté le 3 avril 1928 - on pense à Germaine Brière qui ne parvint pas elle non plus à sauver Henri-Louis Nicolas liquidé au Mans, sur la place du Vert-galant, le 27 juillet 1932, ou à Georgie Myers et Renée Jardin qui en 1939 ont elles aussi défendu Max Bloch et Eugène Weidmann sans réussir à leur épargner le couperet du bourreau.
Sasia Erlich
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Le gang des«bandits polonais»Environ 20,000 des 500,000 Polonais immigrés en France depuis 1919 pour suppléer aux carences de la main-d'oeuvre indigène causées par la guerre sont des indésirables qui ont déjà eu des démêlés avec la justice, avancent
Le Figaro du 2 novembre 1927 et
Le Gaulois du 3 à l'heure où débute aux assises de la Seine le «procès monstre» des dix-neuf «bandits polonais» que l'instruction a retenus parmi une cinquantaine de suspects comme étant les auteurs de six meurtres et soixante-huit vols avec violence dépeints dans un acte d'accusation de 450 pages que
Le Petit Parisien du 3 compare à «un roman vécu» en «concurrence à Zola».
D'une semaine à l'autre défilent à la barre 160 témoins cependant que les journaux se déchaînent contre «la facilité déconcertante (...) avec laquelle la pire lie des bas-fonds étrangers peut franchir notre frontière (...) avec de faux passeports ou sans aucun papier (...) devant les autorités débordées et impuissantes» (Félix Belle dans
Le Gaulois du 2) : «Paris est envahi par toutes les nations du monde, qui nous envoient trop souvent ce qu'elles ont de pire», récrimine par exemple Georges Claretie, dans
Le Figaro du 2, en se faisant l'écho du chauvinisme ambiant.
Si chaque inculpé qui comparaît au tribunal devant le juge Mangin-Bocquet a son défenseur, le chef des dix-neuf, Wladimir ou «Wladek» Zinczuk, 26 ans, en a deux, le chevronné Marcel Kahn, ex-avocat de Guillaume Seznec en 1924, et Sasia Erlich qui, née en 1891, devient en l'occurrence, après qu'il ait été condamné à la peine de mort le 27 novembre conjointement avec son lieutenant Julien Pachowski, la toute première avocate en France à soutenir un tel réprouvé jusqu'à l'échafaud le 3 avril 1828 - les jurés ont voué deux des complices de Zinczuk, les dénommés Gogolewski et Skopowicz, aux travaux forcés à perpétuité, et les quinze autres à des peines de trois à dix années d'emprisonnement.
«On a quelque peu plaisanté la jeune avocate Mme Erlich», a déploré Maurice Prax en éditorial dans
Le Petit Parisien du 5 avril 1828.
«Drôle d'idée (...) Mme Erlich (...) a fait son devoir. Et elle n'a pas chancelé; et elle ne s'est pas trouvée mal (...) Et pourquoi une femme ne pourrait-elle pas supporter le spectacle hideux de la guillotine?
«L'échafaud, certes, est sinistre : mais certains grabats sur lesquels agonisent de pauvres (...) gens (...) sont mille fois plus affreux (...), et ce sont bien des femmes, «de faibles femmes», qui se penchent sans peur sur ces lits maudits (...)
«La femme devant la mort est au moins aussi forte que les hommes. C'est la femme, dans le foyer où le malheur vient d'entrer, qui donne le dernier baiser au moribond, qui, maternellement, habille le mort, qui fidèlement le veille, agenouillée devant la couche funèbre, qui l'enroule enfin dans son linceul, comme elle étendrait un enfant dans le berceau.
«Et c'est la femme, sans doute, qui sait adoucir le mieux la fin d'un agonisant - et même celle d'un condamné. Elle ne dit pas de grands mots solennels à ces moments-là. Elle ne fait pas de phrases. Mais ses regards, mais ses gestes, mais quelques paroles tendres donnent une dernière chaleur au coeur qui va cesser de battre.»
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Assez en vue pendant les années 30 où elle s'affirme comme juive, sioniste même, et milite en faveur du Keren Hayessod, Sasia Erlich se confie encore brièvement à Emmanuel Car pour son article «Les avocates du désespoir» dans la revue
Détective du 15 juin 1939, puis s'éclipse pendant la Deuxième Guerre mondiale avant de refaire surface par après et assumer en 1978 l'une des huit vice-présidences de l'association France-Israël.
D'une santé robuste, elle est morte centenaire le 20 juin 1992.
P. S. L'avocat de Pachowski s'appelait Rudenko et monta avec lui, Zinczuk et Erlich dans le fourgon hippomobile d'Anatole Deibler au matin du 3 avril 1928 pour son saut de puce entre la cour d'honneur de la Santé et le boulevard Arago en face du mur aveugle du couvent des soeurs missionnaires de Saint-Joseph de Cluny, à une quinzaine de mètres de la rue Messier, le site des exécutions parisiennes depuis 1909.