Le wagon sanglant : Georges Graby et Henri Michel, 1910°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-
« Les grandes affaires criminelles de l'Essonne » Un livre de Sylvain Larue - Nemo et Nathalie MichauL'émission « L'heure du crime » du 23 juin dernier était consacrée aux « Grandes affaires criminelles de l'Essonne » et au crime de Georges Graby et Henri Michel.
http://www.rtl.fr/emission/l-heure-du-crime/ecouter/l-heure-du-crime-du-23-juin-2011-les-grandes-affaires-criminelles-de-l-essonne-7697620583
Bonne écoute !
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Coup de théâtre imminent - Le mystère du wagon sanglant est sur le point d'être éclairci.
Une personne aurait tout vu et connaîtrait l'assassin. Elle a disparu mais on est sur sa trace « Dans quarante-huit heures, j'aurai la clé du mystère », nous a déclaré, hier, le commissaire divisionnaire Palliet
Tout indique qu'un coup de théâtre est à la veille de se produire dans l'enquête poursuivie depuis dix jours au sujet de la mort affreuse de Mme Goüin, la veuve de l'ancien régent de la Banque de France.
Dans les bureaux de la première brigade, hier, les visages étaient rayonnants. M. le commissaire divisionnaire Palliet attendait la visite de M. Gridel, le juge d'instruction de Corbeil, qui reste seul chargé, nous l’avons dit, de débrouiller l'angoissant mystère.
Enfin, le juge arriva, vers trois heures, portant sous son bras une serviette bourrée de documents. Il s'enferma avec M. Palliet, loin des oreilles indiscrètes. L'entrevue se prolongea jusqu'à sept heures.
Nous abordâmes, à cet instant, M. Gridel, mais il resta impénétrable et s'éloigna sans vouloir rien dire. Quant à M. Palliet, l'air radieux, il nous fit cette déclaration significative :
- Je brûle… Dans quarante-huit heures, j'aurai la clef du mystère.
- Alors, c'est bien un crime ?
- Je ne puis rien ajouter pour l'instant… Patientez... vous ne tarderez pas à tout savoir.
Et sur ces énigmatiques paroles, il se renferma dans son bureau…
Un témoin capitalHeureusement le hasard, qui est si souvent d'un grand secours pour les journalistes, nous fit rencontrer, peu après, un magistrat, très au courant des recherches, puisqu'il est directement mêlé à l'enquête. Et celui-ci se montra moins discret. Il nous dit :
- Une personne – je ne vous révélerai pas son nom - est au courant de ce qui s'est passé. Elle sait comment Mme Goüin est morte. Elle se trouvait, le mercredi 15 décembre, dans le train 826 d'après les renseignements très précis recueillis, par la police, elle était, sinon dans !e compartiment même où la veuve de l’ancien régent de la Banque de France avait pris place, du moins à la portière intérieure, celle qui s'ouvre sur le couloir.
Cette personne a débarqué à la gare de Lyon en même temps que les autres voyageurs du train. Elle n'a pas reparu depuis, mais nous savons maintenant quelle direction elle a prise et, d'ici quelques heures, nous espérons, de sa bouche, connaitre toutes les circonstances du drame.
Et, comme nous manifestions quelque surprise, notre interlocuteur a ajouté :
- Ce que je vous dis là est l'expression de la vérité. Si Mme Gouïn n'a pas été victime d'un accident, si réellement il y a eu crime, le témoin en question doit être très documenté sur la personnalité de l'assassin.
- Mais pourquoi, avons-nous objecté, si Mme Goüin est tombée accidentellement par la portière du train en marche, la personne qui a été témoin de sa chute ne s'est-elle pas présentée pour dire ce qu'elle avait vu ?
- Pourquoi ? Vous demandez pourquoi ?... C'est précisément là le point obscur sur lequel nous espérons d'ici peu faire la lumière.
Ajoutons que M. Collin, commissaire spécial adjoint de la première brigade, a passé la journée d'hier à Fontainebleau. Il avait pour mission de rechercher auprès des employés de la gare, et aussi en ville, quels furent les voyageurs qui montèrent dans le train 826. Ses investigations n'ont pas été infructueuses puisque, dans la soirée, il avait avec M. Palliet une longue conversation.
Nous croyons savoir - en dépit de son mutisme obstiné - qu'il s'est occupé, notamment, de rechercher les deux fantassins mystérieusement apparus à M. de Ségur dans les circonstances que nous avons relatées. On compte les retrouver aujourd'hui même.
Si cette piste ne donne aucun résultat appréciable, les recherches prendront immédiatement une orientation nouvelle.
Le crime aurait été préméditéDes éléments que possède, à l'heure actuelle, M. Palliet, il semble résulter - nous avons pu l'apprendre - que l'assassinat de Mme Goüin ne serait pas dû au hasard.
Le criminel n'a agi qu'à coup sûr, sachant parfaitement que, ce jour-là, Mme Goüin avait, sur elle, une somme qu'il pouvait croire plus importante qu'elle ne l'était en réalité. Et d'ailleurs, il n'est pas prouvé que le sac à main qui, des deux côtés, a été éventré à l'aide d'un couteau, ne renfermait que de menues choses, usuelles, sans valeur.
Des indications ont pu être données, à l'assassin, sur l'emploi que Mme Goüin devait faire de son temps le mercredi 15 décembre. Elles lui auront permis de prendre ses dispositions pour accomplir sou abominable forfait. Quels seraient, en ce cas, les gens qui l'auraient documenté et qui - inconsciemment peut-être – se seraient faits ses complices ?
Cette question préoccupe, dès maintenant, M. Fortin, le procureur de la République de Corbeil.
Hier, des instructions précises ont été données, par ce magistrat, pour que certaines personnes, qui pouvaient être au courant des intentions de Mme Goüin, soient entendues sans retard.
La question des bijouxLa famille de la victime a fourni à M. le juge Gridel la description des bijoux qu'en partant pour Fontainebleau Mme Goüin avait emportés et qui d'ailleurs lui ont été vus par le cocher Martial.
Celui-ci, on le sait, conduisit la rentière de chez Mme Singer à la gare de Fontainebleau.
Ce sont tout d'abord trois bagues : l'une d'une valeur de dix mille francs en or, ornée d'un grand brillant entouré de semis de rosés et de forme marquise ; la seconde, ornée d'une grosse perle, la queue de cette perle formant un nœud Louis XVI et garnie de roses ; enfin un anneau de mariage de forme dite gourmette.
En outre, Mme Goüin portrait une chaînette en or à laquelle était attaché un médaillon dans lequel était le portrait de son mari.
Ces bijoux ont dû être volés, car on sait que, contrairement à ce qui avait été dit, les deux mains de Mme Goüin ont été retrouvées presque aussitôt après le drame.
Le juge d'instruction se propose de commencer lundi prochain l'audition des témoins. Il convoquera tout d'abord les membres de la famille et le personnel domestique. En attendant il a délivré une nouvelle commission rogatoire à M. Albanel, doyen des juges d'instruction de Paris, le chargeant de vérifier par une nouvelle enquête les allégations des employés de chemin de fer.
Parmi les témoins que M. Gridel entendra se trouve un ecclésiastique qui voyagea dans le wagon occupé par Mme Goüin et qui a demandé à déposer.
Au dernier moment, le juge d'instruction a été avisé que la rentière de la rue Vélasquez, en se rendant à Fontainebleau, devait non seulement aller visiter sa belle-sœur, mais déposer entre les mains d'un tiers une somme importante destinée à la construction d'un asile. Si ce fait-est exact, on peut supposer que le ou les coupables en avaient connaissance et qu'ils ont commis l'attentat dans le but de s'approprier cette somme, pensant que peut-être Mme Gouin la rapportait à Paris.
Exhumera-t-on le cadavre ? Il pourrait se faire que le cadavre. De Mme Gouïn fût exhumé. La demande en a été faite, hier matin, dans le cabinet de M. le juges d'instruction Albanel par le docteur Balthazard, qui a exprimé le désir de procéder à un nouvel examen des restes de la victime.
Mais M. Fortin, qui se trouvait présent, a estimé qu'après les observations très complètes et très minutieusement détaillées qu'à faites le docteur Diacre, le médecin légiste de Melun, qui pratiqua l'autopsie du corps, cette formalité judiciaire ne s'imposait pas et qu'il y avait lieu d'y surseoir, du moins provisoirement.
Le rapport de M. BertillonM. Bertillon vient de terminer le rapport détaillé qu'il transmettra très prochainement au parquet de Corbeil. Ce document sera accompagné de nombreux plans et photographies se rapportant aux examens faits sur les lieux et dans son laboratoire par le directeur du service anthropométrique.
On sait que le voile de crêpe de la victime portrait les empreinte du chauffe-pied du wagon. Munis d'un voile semblable, des employés de l'anthropométrie se sont rendus, hier, à la gare de Lyon et là, ils ont procédé à diverses, expériences, desquelles il semble résulter que, pour que les dessins du chauffe-pied pussent aussi nettement être marqués, il a fallu que l'on frappât violemment la tête de la malheureuse femme à l'aide d'un instrument, vraisemblablement; un marteau.
Ajoutons que M. Bertillon ne s'est point occupé des taches de sang relevées sur le filet. Leur examen incombe au docteur Balthazard. Toutefois, l'opinion de M. Bertillon est que ces traces sont antérieures au crime.
Chez M. GiraultParmi les personnes qui se trouvaient dans le wagon à couloir du train 826, on a cité - outre MM. Bascou, préfet de Seine-et-Marne ; Laloux, architecte ; le comte de Gontaut-Biron ; le vicomte de Brécey ; le comte Louis de Ségur et son secrétaire – le nom de M. Charles Girault, membre de l'Institut, architecte en chef du Palais des Beaux-Arts.
Nous avons rendu visite M. Girault, qui a bien voulu nous retracer ses impressions.
- J'avais pris place, à Melun, dans le wagon de première du tram, en compagnie de mon confrère, M. Laloux, architecte, avec lequel nous étions allés juger une épreuve de concours. Pour être plusà notre aise, nous montâmes dans le compartiment réservé aux fumeurs, c'est-à-dire, par conséquent - je l'ai su depuis - à l'extrémité opposée du compartiment des dames seules, qui se trouvait à l'autre bout du couloir, près du lavabo. Durant le trajet, nous n'avons rien vu d'anormal ; cependant, sous le pont de Brunoy, nous avons entendu un certain bruit qui devait provenir du fracas de la portière heurtant la maçonnerie du pont, mais notre attention ne fut pas retenue par cet incident de route auquel, sur le moment, nous n'avons pas prêté grande attention.
Ce n'est que le lendemain, en lisant les journaux, que j'ai connu la triste fin de Mme Gouin, que je connaissais personnellement, mais que je n'avais pas remarquée dans le train.
Nous demandons alors à notre interlocuteur :
- Vous n'avez rien aperçu de suspect, sous aucune forme, soit dans le couloir, soit dans le voisinage de votre compartiment ?
Absolument rien que ce que je viens de vous dire. Je sais simplement que le préfet de Seine-et-Marne voyageait avec nous. Nous avons causé avec M. Laloux, et notre attention ne fut, à aucun moment, sollicitée par quelque chose d'anormal qui aurait pu nous donner un éveil quelconque et faire naître en nous un soupçon.
Le Petit Parisien ; n° 12 110 du 25 décembre 1909°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-
L'assassinat de Mme Gouin - M. Gridel est frappé
Encore un acte d'autorité du parquet général de la SeineNous avons protesté hier, contre l'intervention scandaleuse du Garde des Sceaux dans le conflit judiciaire qui s'était élevé entre le juge d'instruction de Corbeil et le parquet de la Seine.
M. Barthou, commettant un acte véritablement arbitraire, a fait signer à M. Fallières le décret suivant qui a paru au Journal Officiel, hier matin :
Le président de la République française, sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice, décrète :
M. Dominique, juge suppléant rétribué au tribunal de Corbeil, est chargé des fonctions de l'instruction audit tribunal, en remplacement de M. Gridel, qui reprendra les fonctions de simple juge.
Ayant ainsi brisé l'obstacle- qui se présentait devant lui en la personne de M. Gridel, le procureur général, M. Fabre, a tenu à montrer une seconde fois, qu'il agissait, en maître et qu'il voulait être obéi sans réplique.
Il a fait appeler, hier, M. Fortin, procureur à Corbeil et lui a donné l'ordre de prendre un nouveau réquisitoire, enjoignant au nouveau juge d'instruction de se dessaisir de l'affaire et de renvoyer les inculpés devant la justice militaire.
C'est, sans doute, sur de tels procédés que M. le procureur général compte pour nous faire apprécier l'indépendance des magistrats.
À CorbeilLa disgrâce de M. Gridel a provoqué à Corbeil une vive émotion et l'opinion publique est toute acquise au juge d'instruction.
M. Gridel s'est rendu dans la matinée au Palais pour emporter les objets personnels qui se trouvaient dans son cabinet. Dans l'après-midi, il a pris le train pour Paris.
Son successeur, M. Dominique, a pris possession du dossier ; son rôle se bornera, d'ailleurs, à transmettre les pièces aux autorités militaires. Le procureur général ayant, en effet, donné l'ordre à M. Dominique de se dessaisir de l'instruction au 'profit de l'autorité militaire.
C'est à cette autorité qu'il appartiendra de désigner celui des deux conseils de Paris ou d'Orléans qui aura à juger les accusés.
Les deux prisonniers sont toujours à la maison d'arrêt de Corbeil. Graby a passé une nuit excellente, tandis que Michel a eu, au contraire, un sommeil des plus agités. Il ne passe de pleurer, de se lamenter ; il répète sans cesse qu'il regrette son acte.
Dans l'après-midi, M° André Hesse, défenseur de Michel, est venu s'entretenir avec son client.
On a chargé - on ne sait trop pour quelle raison - M. Balthazard, médecin-légiste, d'examiner les vêtements des deux assassins.
On espère, sans doute, que M. Balthazard démontrera scientifiquement que !es deux soldat étaient bien revêtus d'effets militaires.
Raymond Figeac, L’Humanité, n° 2 093 du 9 janvier 1910°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-
L'assassinat de Mme Gouin - Après le dessaisissementL'ordonnance rendue avant-hier soir par M. Dominique et renvoyant les soldats Graby et Michel devant les autorités militaires a été adressée au procureur général, M. Fabre et notifiée aux défenseurs, M° Henri Robert et André- Hesse.
Si, dans un délai expirant ce matin, il n'y a pas eu de la part des avocats d'opposition faite, cette ordonnance sera communiquée au ministre de la Guerre. C'est le ministre qui désignera le Conseil de guerre - Paris ou Orléans – devant lequel comparaîtront les deux coupables.
Les avocats ont annoncé leur intention de ne pas s'opposer à l'ordonnance de M. Dominique.
L’Humanité, n° 2 098 du 14 janvier 1910°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-°-
Dimanche 16. Encore un crime commis par des soldats !...Voici le second depuis que Graby et Michel ont massacré Mme Gouïn dans le train 826… À Grenoble, l'artilleur Lenordon avoue un assassinat, et à Meaux, deux hussards qui dévalisent un paysan ! … C'est beaucoup, beaucoup. Et vraiment ça devient inquiétant.
Lundi 17. Je m'explique donc pourquoi ce brave citoyen que j'ai rencontré ce matin fuyait à toutes jambes, en donnant des signes de folle terreur : il venait d'apercevoir deux militaires qui s'avançaient vers lui…
Et dame, il voulait sauver sa peau, cet homme !...
L’Humanité, n° 2 107 du 23 janvier 1910