Jean-Léon Cournayre – Le triple assassinat de Vieille-Brioude°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Le Petit Journal, n° 16 786 du 11 décembre 1908°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Le triple assassinat de Vieille-Brioude - Cournayre condamné à la peine de mort (de notre envoyé spécial)Le Puy, 14 décembre.
Dès l'ouverture de l'audience de ce matin, la parole a été donnée à M. Rodier, procureur de la République.
Après avoir retracé la vie de dévouement de l'instituteur Brihat, l'organe du ministère public lui oppose celle du criminel qui, mauvais élève d'abord, mauvais employé ensuite, fut enfin un mauvais soldat.
Et, longuement, l'avocat général examine les lourdes charges qui existent contre l'accusé. Il a nié au début de l'instruction comme il a nié à cette audience, espérant sans doute impressionner les jurés, mais ceux-ci n'hésiteront pas entre les témoignages de braves gens qui n'ont aucun sentiment d'animosité contre lui et ses stupides démentis.
Dans une émouvante péroraison, le procureur de la République s'est écrié :
« Vous parlerai-je de circonstances atténuantes ? Cet horrible forfait n'en comporte pas. Et je veux vous mettre en garde contre une théorie néfaste qui veut que les circonstances atténuante soient le résultat d'une conviction incomplète. Je vous dis : Ou Cournayre est un voleur, un incendiaire, un assassin, et vous devez répondre oui. Si c’est oui, il faut que sa tête tombe, (Vive sensation dans l'auditoire.) Ou il est innocent et vous répondrez non, et alors les portes de la prison s'ouvriront pour lui. »
À l'audience de l'après-midi, M° Vedry, du barreau de Brioude, présente la défense de l'accusé. Il rappelle d'abord aux jurés que l'accusation n'a apporté au tribunal aucune preuve, mais seulement des probabilités, et que ce n'est pas sur des probabilités que l'on peut condamner un homme. Puis, reprenant un à un les faits retenus à la charge de Cournayre, il les discute habilement. Il termine en demandant aux jurés d'acquitter si un seul doute subsiste en leur esprit.
Incident émouvantAu moment où les débats vont être clos, le président pose à l'accusé, avant de renvoyer le jury dans la salle des délibérations, la question obligatoire : « Avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ?
- Oui, je voudrais parler aux jurés, déclare Cournayre.
Un long et impressionnant silence se fait.
- Vous allez, dit l'accusé, prononcer contre moi un verdict de vie ou de mort. Eh bien, je tiens à répéter que...
Mais ce qu'il veut dire s'arrête dans sa gorge. Une sueur froide l'envahit il passe la main sur son front, puis il tombe comme une masse sur son banc. Cet incident impressionne vivement le public.
- Remettez-vous, dit doucement le président à l'accusé.
Cournayre reprend ses sens et dit avec force :
- Je voulais seulement vous dire que je suis innocent Si vous me croyez coupable, condamnez-moi. Je ne veux pas de pitié.
À six heures et demie, les jurés se retiraient pour délibérer.
La mortUne heure et demie après, il revenait avec un verdict affirmatif sans admission de circonstances atténuantes.
Cournayre a donc été condamné à la peine de mort.
Quand la terrible sentence a été prononcée, l'accusé, très pâle, s'est tourné vers les jurés et leur a crié : « Que mon sang retombe sur votre tête ! »
Le Petit Parisien, n° 11 735 du 15 décembre 1908°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Le pourvoi de Cournayre rejeté par la cour suprêmeLa chambre criminelle de la cour de cassation a rejeté hier le pourvoi formé par Cournayre contre l'arrêt de la cour d'assises de la Haute-Loire, qui l'avait condamné, le 14 décembre 1908, à la peine de mort, pour le triple assassinat commis sur l'instituteur Brihat, de Vielle-Brioude, sa femme et leur petite-fille.
Le Petit Parisien, n° 11 774 du 23 janvier 1909°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
La Presse, n° 6 137 du 1er avril 1909
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L'accusé est mort sans avoir avouéSa mauvaise réputation en faisait le coupable idéal. Mais il a toujours nié. Condamné à mort, puis envoyé en Guyane, Jean Courneyre meurt deux ans après, des rigueurs du bagne.
Jean Courneyre n'a jamais avoué. Était-il coupable ? Beaucoup en ont eu la conviction. La certitude, c'est une autre affaire. Car si les présomptions étaient abondantes, les preuves formelles ont toujours manqué. N'importe. Le 14 décembre 1908, Jean Courneyre est condamné à la peine de mort. Il doit être exécuté sur une place publique du Puy-en-Velay. Il ne le sera jamais. Partisan de l'abolition de la peine de mort, le Président de la République Armand Fallières (1906-1913), gracie systématiquement tous les condamnés à mort. Jean Courneyre échappe donc à l'échafaud. Mais pas à la mort. Transféré au bagne de Cayenne, il est affecté à la coupe de bois. Les gardiens ont dû estimer que c'était bien le moins, pour un homme condamné pour avoir tué trois personnes à coups de hache.
Du sang partoutMais la jungle de Guyane n'a qu'un lointain rapport avec les forêts d'Auvergne. Chaleur, humidité, moustiques, paludisme, dysenterie, règnent en maître. L'assassin de Vieille-Brioude n'y résiste pas longtemps. Il meurt, emporté par les fièvres, le 9 février 1910. Il expire sans jamais avoir reconnu être l'auteur du triple meurtre de Vieille-Brioude. Ce dernier remonte au 6 novembre 1907. Ce matin-là, aux aurores, un habitant du bourg se lève pour aller puiser de l'eau à la fontaine. Sur le sentier, il trébuche sur un obstacle imprévu. Un corps humain, qui baigne dans une mare de sang. Il appelle au secours, des voisins arrivent.
Ils mettront un moment à reconnaître le directeur de l'école des garçons, M. Brihat, tant son visage, fracassé à coups de hache, est méconnaissable. Ils se dirigent vers sa maison, toute proche, afin de prévenir son épouse. Ils trouvent la porte ouverte, appellent, n'obtiennent pas de réponse. À l'étage, Marguerite Brihat, âgée de 56 ans, gît, le crâne ouvert, sur le lit conjugal. À côté, sur une couchette entourée de voiles blancs, sa petite fille de 7 ans, qui se prénomme également Marguerite, paraît dormir. Mais les tâches écarlates qui maculent rideaux, parquet et mobilier environnant ne laissent aucun doute. Le légiste dénombrera onze blessures sur le corps de l'instituteur, six sur celui de son épouse, sept sur celui de la fillette.
Très rapidement, un suspect s'impose. Ancien élève du maître d'école, Jean Courneyre, âgé de 25 ans, a le profil idéal du coupable. Sa réputation de fainéant et de débauché est solidement établie. Non sans raison. Parti faire son service militaire au 52e régiment d'infanterie en ligne de Montélimar, il en est revenu lesté d'importantes dettes de jeu. Un temps, il aide son père, fermier de pêche à Brioude, à attraper les saumons qui peuplent alors l'Allier en masse. Mais sa paresse et son ivrognerie, chroniques, lassent rapidement son géniteur. Il le met à la porte. Une famille de voisins, les Mazin, le prend alors en pitié. Elle le nourrit, l'héberge. En remerciement, Jean Courneyre séduit et engrosse l'aînée, Marguerite, qui vient d'avoir 25 ans. Les deux jeunes gens se fiancent, les bans du mariage sont publiés. Mais cinq jours avant la noce, le fiancé prend le train pour Paris. Il emmène Anna, la soeur cadette, également enceinte de ses oeuvres...
Autant dire que la réputation du séducteur est faite. Sa présence à Vieille-Brioude la nuit du crime le désigne aussitôt à la vindicte populaire. Celle-ci se déchaîne. Jean Cournayre est arrêté dans le train pour Paris, qu'il a pris le matin même du crime. À son arrivée en gare d'Arvant, il manque d'être lynché par la foule. Même chose à Brioude, puis à Vieille-Brioude.
De l'argent en pocheÀ son procès, le 12 décembre 1908, devant les assises de la Haute-Loire, les témoins à charge ne manquent pas. Certains l'ont vu la veille, lors de l'incendie de la boulangerie de Vieille-Brioude. Il aurait mis le feu aux fagots entassés contre la maison, afin de détourner l'attention du cambriolage qu'il aurait tenté, à l'autre bout du village, chez un riche retraité. Ce dernier est absent cette nuit-là. Mais la lucarne devant servir d'accès, via le toit, s'avère protégée par des barreaux ; les chiens, alertés par le bruit, aboient. Jean Cournayre se serait alors rabattu, le lendemain soir, sur son ancien instituteur. Ce dernier, proche de la retraite, venait de toucher sa paye. Dans les poches de l'accusé, les gendarmes retrouvent, à peu de chose près, la somme perçue par le maître d'école. Sans travail, désargenté, Jean Courneyre est bien en peine d'expliquer la provenance de cet argent. Mais il nie farouchement le triple crime.
Ceux qui l'ont vu, cette nuit-là, se dissimuler à proximité de l'habitation du couple Brihat... « Des menteurs », clame-t-il lors du procès. Son défenseur insiste sur l'absence de preuves formelles. En vain. Le verdict tombe : c'est la mort.
Yves Le Faouhttp://www.lamontagne.fr/auvergne/actualite/departement/haute-loire/haute-loire-local/2010/01/25/l-accuse-est-mort-sans-avoir-avoue-132218.html