Sujet: La guillotine dans la littérature Lun 13 Aoû 2007 - 23:37
Et tout d'abord, puisque c'est là mon premier post... Bonsoir à toutes et tous !... je me présente, Hurlemort pour vous "desservir", Bourreau des temps modernes, professionnel de l'exécution sans tâches ni bavures (ou si peu...) spécialisé dans le raccourcissement des comptes bancaires (entre-autre...).
Mais trêve de babillage... et revenons au sujet.
Au delà de l'épouvantail judiciaire que fût la guillotine, je suis avant-tout intrigué par la place que la machine aura occupé et occupe encore dans l'imaginaire collectif. Qui ne connaît pas la guillotine... elle a même ses fans du Japon aux Etats unis !
Que d'auteurs lui auront fait la part belle, de stendhal à Chateaubriand, en passant par le démentiel Jean Lorrain ! Bien que familier du système judiciaire, c'est plutôt la guillotine en tant qu'objet fantasmatique qui m'interpelle.
Et pour cette première intervention, je me permets donc de vous conseiller sans tarder la lecture de l'excellente brochure "Les échafauds du romanesque" de Patrick WALD LANDOWSKI (Presses universitaires de Lille) qui nous propose un essai sur la place de la guillotine et par extension de la décapitation dans la littérature française du XIXème siècle. Que se soit de façon explicite ou suggérée, la littérature du XIXème s'échafaude à partir de ce singulier, appareil funèbre-vrai objet de désir qu'est la guillotine. L'auteur nous invite sur le fil des lignes à découvrir les images et les textes ciselés par les auteurs de cette époque.
A recommander fortement aux amateurs de littérature et à tout ceux qui ne se contentent pas de voir dans la guillotine un simple mécanisme de mise à mort.
Hurlemort.
Invité Invité
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Mar 14 Aoû 2007 - 18:30
Bonsoir,Hurlemort !J'aime beaucoup votre approche onirique de la machine :cheers: Suis-moi même amateur d'auteurs dits bêtement "décadents", tant au XIX° qu'au XX° siècle, comme Huysmans dans sa période satanique, Barbey, et plus près de nous Lovecraft...Ne croyez-vous pas que la fascination éprouvée par Stephen King pour la chaise électrique dans " La Ligne Verte "participe de la même démarche ? Vous recommande, dans Léon Daudet, page 759 de "Souvenirs et Polémiques", Collection Bouquins, Robert Laffont, le récit des préparatifs et de l'exécution des 3 condamnés à mort de la bande à Bonnot.Vous devriez apprécier le regard clinique de cet écrivain-médecin... A votre disposition pour poursuivre cet échange, j'aime beaucoup les écrivains, spécialement ceux qui " sentent un peu des pieds " , au figuré s'entend
CHANTAL Bourreau départemental
Nombre de messages : 290 Age : 56 Localisation : Rotselaar - Belgique Emploi : secrétaire d'un avocat Date d'inscription : 30/07/2007
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Mer 15 Aoû 2007 - 9:04
Bonjour ! Je serais intéressée par le passage que vous citez de Daudet. Mais s'il ne s'agit que d'un passage, pourriez-vous me dire de quoi parle le reste du livre ? Merci !
Invité Invité
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Mer 15 Aoû 2007 - 17:40
Bonsoir, Chantal ! Il s'agit d'un "pavé" de plus de 1000 pages , dont je vous donne ici la table des matières simplifiée : 1) Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux. 2) Député de Paris ( 1919 - 1924 ). 3) Paris vécu. 4) Le stupide XIX° Siècle. Période couverte : 1885 ( L' auteur a alors 18 ans ) à 1935 , pour la partie littéraire en tous cas. A signaler qu'il passa 2 ans en exil de 1927 à 1929, pour raisons politiques. Pour moi, c'est une mine d'or ! Et le fils Léon avait, si l'on en croit cette vieille mauvaise langue de Léautaud, "un autre talent que le père" (Alphonse) Vous suggère une visite sur Wikipedia pour en savoir plus
petite lucarne Bourreau de village
Nombre de messages : 81 Age : 46 Date d'inscription : 27/08/2009
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Ven 4 Sep 2009 - 16:55
Bonjour,
Je ne sais pas si on l'a déjà signalé sur ce forum, mais l'oeuvre de Villiers de l'Isle-Adam est riche en scène de guillotine dans ses contes. Cet auteur était fasciné par l'engin, le cérémonial de l'exécution. Il décrit la guillotine comme un "haut prie-Dieu".
itto aime ce message
piotr Charles-Henri Sanson
Nombre de messages : 2989 Localisation : Poland Emploi : MD-but I'm not working in prison ;-) Date d'inscription : 07/02/2006
Sujet: Nuit de guiillotine Dim 30 Oct 2011 - 21:22
Nombre de messages : 1849 Age : 53 Localisation : Angers(Maine et Loire) Emploi : Justice Date d'inscription : 20/02/2006
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Ven 4 Nov 2011 - 13:00
Merci aussi Piotr!
Description très précise. on y a notamment la confirmation que les aides sont en bleu de travail lors du montage. Il est également précisé que les bois sont rouges.
J'aime beaucoup la lithographie où l'on voit un ange tendre un drap en dessous de la tête du condamné pour la recueillir:
cliquer ici
_________________ Potius mori quam foedari
piotr Charles-Henri Sanson
Nombre de messages : 2989 Localisation : Poland Emploi : MD-but I'm not working in prison ;-) Date d'inscription : 07/02/2006
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Sam 14 Mar 2015 - 23:34
Nombre de messages : 1 Age : 46 Date d'inscription : 20/05/2015
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Mer 20 Mai 2015 - 18:15
Bonjour,
mon premier message pour conseiller cette histoire d'un condamné à mort célèbre (et content), Léon Léhautier, aux éditions lenka lente.
Nemo Fondateur
Nombre de messages : 2002 Age : 42 Date d'inscription : 27/01/2006
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Jeu 21 Mai 2015 - 1:49
Ayant écrit son histoire dans un livre, je puis affirmer que Léauthier n'a pas été condamné à mort. Envoyé au bagne à vie, il est mort abattu au bout de quelques mois lors d'une révolte.
_________________ "Les humains, pour la plupart, ne se doutent de rien, sans envie ni besoin de savoir, ça leur va comme ça, ils croient avoir de l'emprise sur les choses. - Mh... pourquoi en avoir fait un secret ? Ils peuvent comprendre, ils sont intelligents... - Une personne, sûrement, mais en foule, on est cons, on panique comme une horde d'animaux, et tu le sais."
piotr Charles-Henri Sanson
Nombre de messages : 2989 Localisation : Poland Emploi : MD-but I'm not working in prison ;-) Date d'inscription : 07/02/2006
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Lun 28 Sep 2015 - 21:22
piotr Charles-Henri Sanson
Nombre de messages : 2989 Localisation : Poland Emploi : MD-but I'm not working in prison ;-) Date d'inscription : 07/02/2006
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Sam 25 Mar 2017 - 16:10
piotr Charles-Henri Sanson
Nombre de messages : 2989 Localisation : Poland Emploi : MD-but I'm not working in prison ;-) Date d'inscription : 07/02/2006
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Lun 26 Avr 2021 - 14:04
itto aime ce message
Titange Exécuteur cantonal
Nombre de messages : 159 Age : 78 Localisation : Montréal Date d'inscription : 18/04/2021
Sujet: Constant Guignard Dim 16 Mai 2021 - 3:44
Formidable «Constant Guignard» de Jean Richepin dans ses Morts bizarres de 1877, et malheureusement si peu connu :
Les époux Guignard, mariés par amour, désiraient passionnément un fils. Comme si ce petit être tant souhaité voulait hâter l'accomplissement de leurs vœux, il vint au monde avant terme. Sa mère en mourut, et son père, ne pouvant supporter cette mort, se pendit de désespoir.
* * *
Constant Guignard eut une enfance exemplaire mais malheureuse. Il passa son temps de collège à faire des pensums qu'il ne méritait pas, à recevoir des coups destinés à d'autres, et à être malade les jours de grande composition. Il finit ses études avec la réputation d'un cafard et d'un cancre. Au baccalauréat, il fit la version latine de son voisin, qui fut reçu, tandis que lui-même était expulsé des examens pour avoir copié.
* * *
De si malencontreux débuts dans la vie eussent rendu mauvaise une nature ordinaire. Mais Constant Guignard était une âme d'élite, et, persuadé que le bonheur est la récompense de la vertu, il résolut de vaincre la mauvaise fortune à force d'héroïsme.
Il entra dans une maison de commerce qui brûla le lendemain. Au milieu de l'incendie, comme il voyait son patron désolé, il se jeta dans les flammes pour sauver la caisse. Les cheveux grillés, les membres couverts de plaies, il parvint au péril de sa vie à enfoncer le coffre-fort et à en retirer toutes les valeurs.
Mais le feu les consuma dans ses mains. Quand il sortit de la fournaise, il fut appréhendé au collet par deux sergents de ville; et un mois après on le condamnait à cinq ans de prison pour avoir essayé de s'approprier, à la faveur d'un incendie, une fortune qui ne courait aucun danger dans un coffre-fort incombustible.
* * *
Une révolte eut lieu dans la maison centrale où il était. En voulant secourir un gardien attaqué, il lui passa un croc-en jambe et le fit massacrer par les rebelles. Du coup on l'envoya pour vingt ans à Cayenne.
Fort de son innocence, il s'évada, revint en France sous un autre nom, pensa qu'il avait dépisté la fatalité et se remit à faire le bien.
* * *
Un jour, dans une fête, il vit un cheval emporté qui entraînait une voiture droit dans le fossé du rempart. Il se jette à la tête du cheval, a le poignet, tordu, la jambe cassée, une côte enfoncée, mais réussit à empêcher la chute inévitable. Seulement, l'animal rebrousse chemin, et va s'abattre au milieu de la foule, où il écrase un vieillard, deux femmes et trois enfants. Il n'y avait personne dans la voiture.
* * *
Dégoûté cette fois des actes d'héroïsme, Constant Guignard prit le parti de faire le bien humblement et se consacra au soulagement des misères obscures. Mais l'argent qu'il portait à de pauvres ménagères était dépensé au cabaret par leurs maris; les tricots qu'il distribua à des ouvriers habitués au froid leur firent attraper des fluxions de poitrine; un chien errant qu'il recueillit donna la rage à six personnes du quartier; et le remplaçant militaire qu'il acheta pour un jeune homme intéressant vendit à l'ennemi les clefs d'une place forte.
* * *
Constant Guignard pensa que l'argent fait plus de mal que de bien, et qu'au lieu d'éparpiller sa philanthropie, il valait mieux la concentrer sur un seul être. Il adopta donc une jeune orpheline qui n'était point belle, mais qui était douée des qualités les plus rares et qu'il éleva avec toutes les tendresses d'un père. Hélas! il fut si bon, si dévoué, si aimable pour elle, qu'un soir elle se jeta à ses pieds et lui confessa qu'elle l'aimait. Il essaya de lui faire comprendre qu'il l'avait toujours considérée comme sa fille, et qu'il se croirait coupable d'un crime en cédant à la tentation qu'elle lui offrait. Il lui démontra paternellement qu'elle prenait pour de l'amour l'éveil de ses sens, et il lui promit d'ailleurs qu'il obéirait à cet avertissement de la nature en lui cherchant au plus vite un époux digne d'elle. Le lendemain, il la trouva couchée en travers de sa porte, un couteau dans le cœur.
* * *
Pour le coup, Constant Guignard renonça à son rôle de petit manteau bleu, et se jura que dorénavant, pour faire le bien, il se contenterait d'empêcher le mal.
À quelque temps de là, il fut mis par le hasard sur la piste d'un crime qu'un de ses amis allait commettre. Il aurait pu le dénoncer à la police ; mais il aima mieux tenter d'entraver le crime sans perdre le criminel. Il se mêla donc intimement à l'action qui se préparait, parvint à en saisir tous les fils, et attendit le moment précis de tout déjouer en arrangeant tout. Mais le coquin qu'il voulait ménager vit clair dans son jeu, et combina l'affaire de telle sorte que le crime fut commis, le criminel sauvé, et Constant Guignard arrêté.
* * *
Le réquisitoire du procureur général contre Constant Guignard fut un chef-d'œuvre de logique. Il rappela toute la vie de l'accusé, son enfance déplorable, ses punitions, son expulsion des examens, l'audace de sa première tentative de vol, sa complicité odieuse dans la révolte de la maison centrale, son évasion de Cayenne, son retour en France sous un faux nom. À partir de ce moment surtout, l'orateur atteignit le plus haut degré de l'éloquence judiciaire. Il stigmatisa cet hypocrite de bonté, ce corrupteur de ménages honnêtes, qui pour assouvir ses passions envoyait les maris au cabaret boire son argent, ce faux bienfaiteur qui cherchait par des présents nuisibles à capter une popularité malsaine, ce monstre caché sous le manteau d'un philanthrope. Il approfondit avec horreur la perversité raffinée de ce scélérat qui recueillait des chiens enragés pour les lâcher sur le monde, de ce démon, aimant le mal pour le mal, qui risquait de se faire estropier en arrêtant un cheval emporté, et pourquoi? pour avoir l'épouvantable jouissance de le voir se ruer dans la foule et écraser des vieillards, des femmes, de pauvres petits enfants. Ah! un tel misérable était capable de tout! Sans nul doute il avait commis bien des crimes qu'on ne connaîtrait jamais. Il y avait mille raisons de croire qu'il avait été complice de ce remplaçant acheté par lui pour trahir la France. Quant à cette orpheline qu'il avait élevée et qu'on avait trouvée un matin tuée à sa porte, quel autre que lui pouvait l'avoir assassinée? Ce meurtre était à coup sûr l'épilogue sanglant d'un de ces drames infâmes faits de honte, de débauche et de fange qu'on ose à peine remuer. Après tant de forfaits il n'était même pas besoin de s'appesantir sur le dernier crime. Ici, malgré les dénégations impudentes de l'accusé, il y avait évidence absolue. Il fallait donc condamner cet homme avec toutes les rigueurs de la loi. On punissait justement, et on ne saurait trop punir. On avait affaire non-seulement à un grand criminel, mais à un de ces génies du crime, à un de ces monstres de malice et d'hypocrisie qui font presque douter de la vertu et désespérer de l'humanité.
Devant un pareil réquisitoire, l'avocat de Constant Guignard ne pouvait plaider que la folie. Il le fit de son mieux, parla de cas pathologiques, disserta savamment sur la névrose du mal, représenta son client comme un monomane irresponsable, comme une sorte de Papavoine inconscient, et conclut en disant que de telles anomalies se traitaient à Charenton plutôt que sur la place de la Roquette.
Constant Guignard fut condamné à mort à l'unanimité.
* * *
Des hommes vertueux que la haine du crime rendait féroces, furent transportés de joie et crièrent bravo.
* * *
La mort de Constant Guignard fut comme son enfance, exemplaire mais malheureuse. Il monta sur l'échafaud sans peur et sans pose, la figure tranquille comme sa conscience, avec une sénérité de martyr que tout le monde prit pour une atonie de brute. Au moment suprême, sachant que le bourreau était pauvre et père de famille, il lui annonça doucement qu'il lui avait légué toute sa fortune, si bien que l'exécuteur ému s'y reprit à trois fois pour couper le cou de son bienfaiteur.
* * *
Trois mois plus tard, un ami de Constant Guignard apprit en revenant d'un lointain voyage la triste fin de cet honnête homme dont il connaissait seul les mérites. Pour réparer autant qu'il le pouvait l'injustice du sort, il acheta une concession à perpétuité, commanda une belle tombe en marbre et écrivit une épitaphe pour son ami. Il mourut le lendemain d'un coup de sang. Néanmoins, les frais ayant été payés d'avance, le guillotiné eut son sépulcre. Mais l'ouvrier chargé de graver l'épitaphe prit sur lui de corriger une lettre mal formée sur le manuscrit. Et le pauvre homme de bien, méconnu pendant sa vie, gît dans la mort avec cette épitaphe à perpétuité :
CI-GÎT CONSTANT GUIGNARD HOMME DE RIEN
Nemo, itto, smic77230 et serg14 aiment ce message
Nemo Fondateur
Nombre de messages : 2002 Age : 42 Date d'inscription : 27/01/2006
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Dim 16 Mai 2021 - 12:22
C'est une histoire aussi épouvantable qu'excellente ! Merci !
_________________ "Les humains, pour la plupart, ne se doutent de rien, sans envie ni besoin de savoir, ça leur va comme ça, ils croient avoir de l'emprise sur les choses. - Mh... pourquoi en avoir fait un secret ? Ils peuvent comprendre, ils sont intelligents... - Une personne, sûrement, mais en foule, on est cons, on panique comme une horde d'animaux, et tu le sais."
smic77230 Monsieur de Paris
Nombre de messages : 1444 Age : 44 Date d'inscription : 04/12/2019
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Dim 16 Mai 2021 - 13:06
L'acharnement du destin (ou la poisse) jusqu'au bout...... On peut parler de malédiction à ce stade.
Nemo aime ce message
itto Exécuteur cantonal
Nombre de messages : 169 Age : 76 Localisation : La Ferté Gaucher Emploi : Hoplothérapeute Date d'inscription : 08/08/2014
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Dim 16 Mai 2021 - 16:17
Bien les derniers topics!!
CARNIFEX Monsieur de Paris
Nombre de messages : 1849 Age : 53 Localisation : Angers(Maine et Loire) Emploi : Justice Date d'inscription : 20/02/2006
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Lun 17 Mai 2021 - 13:40
Guignard, un nom bien porté.
Cette histoire n'est pas vraie, j'imagine (et j'espère).
_________________ Potius mori quam foedari
Coupe-Coupe Bourreau départemental
Nombre de messages : 279 Age : 71 Date d'inscription : 14/08/2012
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Lun 17 Mai 2021 - 14:22
Ben non !
Il s'agit bien d'un Conte d'Humour noir du romancier, écrivain et poète Jean Richepin
Quoique la Guigne, cela existe réellement et j'en connais un rayon, mais à ce point-là....
Titange Exécuteur cantonal
Nombre de messages : 159 Age : 78 Localisation : Montréal Date d'inscription : 18/04/2021
Sujet: Le «géant» Weidmann de Michel Tournier Dim 23 Mai 2021 - 1:15
Quelqu'un pourrait-il m'indiquer la taille et le poids exacts d'Eugène Weidmann en qui Michel Tournier magnifie un «géant» d'«un mètre quatre-vingt-onze» et «cent dix kilos» dans son Roi des Aulnes où Abel Tiffauges, de concert avec rien moins que «cent mille» curieux, est entraîné à son exécution à moitié ratée par un exécrable quatuor de mégères de sa connaissance :
Édition Folio :
Page 151 :
9 décembre 1938. Les journaux sont pleins de l'arrestation, à La Celle-Saint-Cloud, dans sa villa «La Voulzie», de Weidmann, un Allemand que l'on soupçonne d'avoir assassiné sept personnes.
Page 155 :
18 décembre 1938. L'instruction du procès de Weidmann (...) est en cours (...) Le bonhomme mesure un mètre quatre-vingt-onze et pèse cent dix kilos.
Pages 185-191, passim : 17 juin 1939. Une force obscure contre laquelle j'ai vainement lutté m'a incliné à céder aux supplications de Mme Eugénie qui voulait que je la mène avec des voisines (...) à Versailles où devait avoir lieu l'exécution de Weidmann. L'ignoble fébrilité dont ces femmes donnaient le spectacle aurait certes suffi à me détourner de cette expédition si par aberration l'idée m'en était venue, mais quelque chose de fatal m'imposait ce rendez-vous avec le géant aux sept crimes à l'instant de sa mort (...)
Mme Eugénie et ses amies ont insisté pour partir dès neuf heures du soir afin de s'assurer des places de premier choix (...) Dès le départ j'ai été exaspéré par le caquet insignifiant et venimeux des quatre commères qui surchargeaient la voiture (...)
Dès les abords de la ville, on sent qu'il se passe quelque chose. Non seulement la foule des grands soirs anime les rues et les trottoirs, mais il flotte dans l'air comme une complicité crapuleuse (...)
Je parviens non sans peine à placer la voiture rue du Maréchal Joffre, et nous poursuivons à pied. De minute en minute la cohue augmente. Des embouteillages obstruent les rues. La place d'Armes, face au Château, et la place de la Préfecture ont été transformées en parkings. Les deux gares dégorgent des flots de voyageurs au rythme des arrivées des trains. Mais ce sont encore les cyclistes qui dominent, avec une forte proportion de (...) tandems (...)
À minuit une longue exclamation salue l'extinction des becs de gaz. L'obscurité, trouée par les phares des voitures, les lampes de poche et les lanternes à acétylène, est pleine de rires, de jurons et de gloussements, dominés par la plaisanterie grasse d'un titi ou recouverts par un concert d'avertisseurs. Je me laisse remorquer en grommelant par mes quatre commères formées en cordée que mène une Mme Eugénie déchaînée. Nous progressons dans ce grotesque équipage vers la place Saint-Louis et ses trois bistrots qui flambent de tous leurs feux. L'habileté et l'acharnement de Mme Eugénie nous valent un guéridon et cinq chaises à l'une des terrasses qui encombrent la totalité des trottoirs. Ce n'est pas assez. Notre cheftaine de cordée n'a de cesse qu'elle n'ait juché son fauteuil sur le guéridon, et que nous ne l'ayons hissée à grand-peine sur cet échafaudage branlant. Cette fois elle trône au-dessus de la mêlée, comme la divinité des Hautes Oeuvres qui vont s'accomplir. Ses trois compagnes et moi, nous avons fort à faire pour protéger le guéridon que chaque mouvement de foule menace de balayer, et nous ne voyons vraiment que les chevilles éléphantines et les charentaises de feutre à agrafes de Mme Eugénie. Autour de nous, ce n'est plus qu'un vaste pique-nique. On déballe des victuailles, on saucissonne, des sandwichs et des canettes de limonade circulent par-dessus les têtes dans l'odeur grasse des friteuses. Vers une heure du matin, la bière vient à manquer presque simultanément dans les trois bistrots. Il y a un mouvement de mauvaise humeur, puis on se rabat sur le gros rouge (...) Mme Eugénie extrait de son cabas de ménagère deux bouteilles thermos, une paire de lorgnettes de théâtre et un vaste châle dont elle s'enveloppe. Puis elle nous distribue du café chaud.
À deux heures une poignée de gendarmes s'efforce de faire évacuer l'emplacement devant la prison Saint-Pierre où doivent se dresser les bois de justice. La bousculade est brève mais brutale; une femme est foulée aux pieds. Les gendarmes abandonnent le terrain, mais des gardes mobiles interviennent à leur tour, et la troupe finit par occuper le quadrilatère sacré. Les remous violents provoqués par des mouvements de troupes se sont propagés jusqu'à notre terrasse. Des chaises ont été culbutées, deux hommes rendus furieux par l'attente et le vin ont roulé au milieu des tables, cramponnés l'un à l'autre. Il a fallu plusieurs fois faire un rempart de nos corps pour éviter le pire à l'observatoire de Mme Eugénie. Mais toute la bonne humeur s'en est allée. La foule hargneuse ne comprend plus pourquoi on la fait attendre. Elle en veut enfin pour son argent. Soudain trois syllabes scandées d'abord de façon sporadique sont reprises sur un rythme rageur par cent mille gosiers : Co-mmen-cez, co-mmen-cez, co-mmen-cez! Suis-je vraiment le seul à me sentir écrasé par l'infamie de ces gens? Pourquoi ces militaires qui entourent le lieu du crime imminent ne tirent-ils pas dans le tas, ou mieux ne nettoient-ils pas toute cette purulence humaine au lance-flammes? Enfin un Ahhhhhh! immense et prolongé succède à l'air des lampions. C'est, nous explique Mme Eugénie du haut de son observatoire, qu'un fourgon noir tiré par une haridelle s'approche en cahotant sur les pavés. Une lampe à acétylène accrochée à un poteau et secouée par des rafales fait bondir les ombres de deux hommes qui en extraient des madriers et commencent à assembler les pièces de la Grande Veuve. Le silence est formidable, traversé par les coups de maillets et les grincements des chevilles. Moi, le front appuyé au faux marbre du guéridon, j'entre en agonie. Mais il me faut encore entendre la voix de Mme Eugénie qui laisse tomber par-ci par-là des mots lourds comme des pierres : «Bascule, boîte à son, lunette, couperet», puis c'est l'annonce qu'une lumière tremblote dans la masse noire des bâtiments de la prison, et qu'on va enfin sonner à pleine gorge l'hallali du grand solitaire aux abois. Mais non, il faut encore attendre, et la foule gronde à nouveau, s'étire et se rassemble, menace de tout emporter. Le ciel commence à blêmir à l'est quand le portail de la prison s'illumine. Un groupe de petits hommes noirs en sortent, poussant devant eux un géant dont la chemise blanche met une tache lumineuse dans la pénombre. Les bras liés derrière le dos, Weidmann ne peut avancer qu'à pas menus, parce que ses jambes sont entravées. Un gros soupir de satisfaction soulève la foule. Les petits hommes noirs sont au pied de la machine à tuer. Weidmann est porté sur l'échafaud par quatre aides, comme un grand gisant du Moyen Âge (...)
Sur un geste d'Henri Desfourneaux, les aides font basculer la grande statue blême et la précipitent tête première vers le carcan. Mais que se passe-t-il? L'engrenage des gestes de mort paraît troublé. On s'affaire autour du supplicié. La bascule était mal ajustée. Le grand corps a manqué dans sa chute la «lunette» où son cou devait se loger, et il gît sur la bascule à demi recroquevillé. On l'empoigne par les oreilles, on le tire par les cheveux. C'est grotesque... c'est intolérable. Cliquetis du couperet qui s'élève par à-coups entre les montants. Sifflement. Le sang jaillit à flots. Il est quatre heures trente-deux minutes.
Accroupi sous le trône de Mme Eugénie, je vomis de la bile.
Dernière édition par Titange le Lun 24 Mai 2021 - 0:26, édité 1 fois
Nemo Fondateur
Nombre de messages : 2002 Age : 42 Date d'inscription : 27/01/2006
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Dim 23 Mai 2021 - 3:50
Il faudrait pour savoir la taille exacte de Weidmann (le poids n'en fait pas partie) consulter un des registres d'écrou de la prison Saint-Pierre de Versailles. Je tâcherai de le faire un jour ou l'autre - je n'en ai pas ressenti l'usage lors des recherches sur Desfourneaux, tout ayant été dit sur l'affaire Weidmann dans les précédents livres écrits à ce sujet, du moins le croyais-je.
Roger Colombani parle, lui, d'1m80 pour tout de même 118 kilos.
Dans tous les cas, ça me semble ridiculement trop. Aucune photo de Weidmann ne donne l'impression d'une armoire à glace gigantesque ou d'un hercule de foire : c'est, à titre de comparaison, sensiblement la morphologie (taille et poids) d'Arnold Schwarzenegger au top de sa forme de body-builder dans les années 1980 (quoique, pour être honnête, si on regarde cette photo de Schwarzy en complet https://i.pinimg.com/originals/cd/ff/30/cdff302c2f0e41b2200122fe833da38d.jpg, on se rend compte qu'un costume bien taillé peut dissimuler aisément un physique de titan).
Cependant, je reste sceptique. Si on compare à un autre célèbre criminel de la même période, Gorguloff, la presse n'a jamais manqué de mentionner l'allure colossale de l'assassin de Doumer, peut-être là encore en exagérant sa taille réelle (des témoignages parlent là encore de 1m90 environ), mais on voit bien dans le box sur les photos du procès ou celles de son arrestation une évidente grande brute, chose qui ne transparaît pas à mon sens sur les images de Weidmann.
Quand on voit la photo de l'exécution, et qu'on sait qu'Henri Sabin (à gauche sur la photo, avec un béret) mesurait 1m71 - au service militaire - et que Georges Martin (à droite, tête nue) 1m66 - lui aussi à vingt ans - et que nous sommes au minimum deux décennies après la date de leur conscription, on peut supposer que Weidmann n'était pas spécialement bien plus grand qu'eux. Vu qu'il s'agit d'un homme de trente ans assez athlétique, et même si je sais que ce n'est qu'une approximation et non une certitude, je dirais que Weidmann mesurait au mieux 1m75 pour 70-80 kilogrammes, et c'est déjà plus que raisonnable par rapport à la moyenne de l'époque.
On est vraiment très loin du descriptif de Tournier, et le récit contient pas mal d'imprécisions. Les traditionnels coups de maillet, quatre aides pour le porter sur la bascule, à demi recroquevillé, le couperet qu'on hisse AU MOMENT DU SUPPLICE... Le côté "raté" de l'exécution est vrai, mais relatif : au vu de plusieurs clichés, on voit que la bascule s'est bloquée à mi parcours et qu'il a fallu avancer le corps d'Eugen pour l'installer dans le carcan sans disposer de cette aide de la planche mobile quand elle joue parfaitement. Mais on parle là d'un délai d'une seconde au mieux. La vidéo du supplice permet nettement de voir à quel point une exécution est une chose exceptionnellement rapide. (Je vais probablement me répéter, et l'on verra sans doute mon témoignage comme une exagération car ce n'était qu'une reconstitution, mais le tournage auquel j'ai participé l'an dernier m'a clairement édifié sur la réalité de l'exécution capitale pour les bourreaux. Ca va hyper vite et cela demande une synchronisation totale - et au demeurant presque impossible - pour que le condamné soit bien positionné sur la bascule, bien maintenu sur celle-ci, qu'il ne soit pas trop avancé ou trop reculé au niveau du cou dans la lunette, etc.)
_________________ "Les humains, pour la plupart, ne se doutent de rien, sans envie ni besoin de savoir, ça leur va comme ça, ils croient avoir de l'emprise sur les choses. - Mh... pourquoi en avoir fait un secret ? Ils peuvent comprendre, ils sont intelligents... - Une personne, sûrement, mais en foule, on est cons, on panique comme une horde d'animaux, et tu le sais."
itto Exécuteur cantonal
Nombre de messages : 169 Age : 76 Localisation : La Ferté Gaucher Emploi : Hoplothérapeute Date d'inscription : 08/08/2014
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Dim 23 Mai 2021 - 19:46
Bigre....
Menotté,il ne va pas se sauver avec cette escouade de Képis!!!!!!!
Titange Exécuteur cantonal
Nombre de messages : 159 Age : 78 Localisation : Montréal Date d'inscription : 18/04/2021
Sujet: Re: La guillotine dans la littérature Lun 24 Mai 2021 - 0:31
Réponse impeccable de Nemo, à parachever un jour par le chiffre précis du registre d'écrou qui devrait se situer entre 1m70 et 1m75 en effet, très loin du 1m91 de Tournier qui flirte là, dans l'immédiate avant-guerre, avec le mythe du surhomme cher aux nazis chez qui son Tiffauges s'en va poursuivre sa carrière comme garde-chasse sur le domaine d'Hermann Göring à Rominten puis comme précepteur dans une napola en Mazurie.
Il m'aurait étonné que les accrocs à l'exécution de ce Weidmann colossal, exagérés en proportion, échappent à l'examen de cet archiviste minutieux, du couperet dramatiquement hissé in extremis au fracas des maillets qui sont déjà absents du coffre à outils des bourreaux à la fin du XIXe siècle si l'on en croit la description que Georges Clemenceau fait du supplice d'Émile Henry dans La Justice du 23 mai 1894 : «Le fourgon qui porte les bois de justice se range le long du mur de la prison (...) et (...) aussitôt commence un transport d'objets dont on ne saisit pas bien la forme. Ce sont des boîtes étranges, des pièces de fer ou de bois, des accessoires de toutes sortes, qui prennent place sur le trottoir, où on les dispose dans un ordre déterminé (...) Peu à peu, les pièces étalées sur le sol prennent une signification (...) On me fait remarquer qu'on n'enfonce pas un clou. Rien que des vis. Pas un coup de marteau. C'est beau le progrès!»
À réduire pareillement à 1,000 environ, ou peut-être 2,000, le magma des «cent mille» spectateurs de Tournier qu'Eric Sevareid estime grossomodo à 600 dans l'International Herald Tribune du 18 juin, au-delà des quelque 200 ou 300 rassemblés sur la place Louis-Barthou même à la porte de la prison, une hypertrophie que la psychiatre Catherine Carré-Orengo a imputé à un «lynchage médiatique» de Weidmann par les journalistes : «Dans l'affaire Weidmann, ce «lynchage médiatique» tout au long de l'instruction et du procès va aller jusqu'à faire fantasmer par la postérité la présence à l'exécution (...) d'une foule hystérique, bruyante, débordant le service d'ordre mais qui en fait n'était pas là. Il y avait au grand maximum 300 personnes (...) le 17 (...) au matin, place Louis-Barthou», ce que démontre irréfutablement le petit film documentaire tourné du haut d'une maison adjacente et qu'on peut visionner sur internet.
- À savourer pleinement l'amusante parenthèse de Nemo sur Arnold Schwarzenegger dans son «costume bien taillé»; non chacun n'a pas ce look irrésistible au sortir de sa nuit de sommeil...
Titange Exécuteur cantonal
Nombre de messages : 159 Age : 78 Localisation : Montréal Date d'inscription : 18/04/2021
Sujet: À Furnes en Belgique en 1918 Mer 26 Mai 2021 - 0:36
Que je sache à l'emploi de l'usine Daimler de Puteaux, comme mécanicien, depuis avril 1915, Henri Desfourneaux était-il de l'expédition d'Anatole Deibler à Furnes en Belgique pour y châtier Émile Ferfaille, en mars 1918, comme François Sureau l'y envoie en 2007 dans son roman L'Obéissance ?
Ou n'est-ce pas plutôt son vieux parent Léopold Desfourneaux, né en 1853, qui a participé à cette équipée avec Louis Rogis et Ernest Deschamps ?
Peut-être que j'aurais la réponse à ces questions dans le Desfourneaux de Sylvain Larue s'il était disponible à Montréal mais je ne l'y trouve nulle part, ni dans les librairies ni dans la quarantaine de succursales de la bibliothèque municipale ni même à la Bibliothèque Nationale du Québec, où les ouvrages de l'éditeur De Borée sont du reste assez peu nombreux, et je vais par conséquent me le procurer par l'entremise du prospère Amazon.
Photo tirée du Voyage de la Veuve, téléfilm de Philippe Laïk sur l'expédition d'Anatole Deibler en Belgique en 1918.
Dernière édition par Titange le Sam 7 Aoû 2021 - 7:37, édité 1 fois