LA GUILLOTINE À DRAGUIGNANLes bois de justice sont partis de la gare de Lyon hier par le train de 2 h. 35. Ils sont dirigés sur Draguignan, où doit avoir lieu une double exécution capitale, celle de Simon et Barillot, condamnés à mort le juillet dernier.
On se rappelle leur crime : Le 17 décembre 1894, Simon et Barillot, après avoir longuement prémédité l'assassinat qu'ils allaient accomplir, s'introduisirent chez une vieille logeuse, rue du Baigneur, à Marseille, qu'ils savaient être seule à ce moment.
La malheureuse femme, infirme, et incapable, par suite, d'opposer à ses agresseurs la plus faible résistance, fut terrassée par ces bandits, qui la bâillonnèrent, puis l'étranglèrent, après l’avoir à demi assommée.
Ils avaient agi avec une telle rapidité que la victime n'avait proféré aucun cri et que l’attention des voisins n'avait pas été éveillée.
Ils purent donc en toute tranquillité fouiller les meubles et inspecter les tiroirs. Ils s'emparèrent d'une somme de 600 francs et de divers bijoux, puis partirent.
Ce n’est que le lendemain au petit jour que le crime fut découvert par le mari de la victime, que son métier de garçon boulanger contraignait à rester la plus grande partie de la nuit hors de son logis.
Simon et Barillot furent arrêtés grâce aux orgies auxquelles ils se livrèrent et qui fatalement attirèrent sur eux les soupçons de la police.
À l'audience des assises des Bouches-du-Rhône, où ils avaient comparu le 26 mars, l'un et l'autre firent des aveux complets et ils furent condamnés il la peine de mort.
L'arrêt qui les avait frappés fut cassé au mois d'avril. On s'était aperçu, un peu tardivement, que l'un des jurés ayant siégé dans le procès avait encouru autrefois une condamnation.
Or, cette circonstance entraînait l'annulation.
L'affaire fut renvoyée devant la Cour d'assises de Draguignan, qui prononça, une seconde fois, un double arrêt de mort contre les coupables.
M. Deibler, exécuteur des hautes œuvres, a quitté Paris à dix heures du soir.
Le Petit parisien, n° 6 896 du 14 septembre 1895
La prison de Draguignan======================================================================================================
DOUBLE EXÉCUTION CAPITALE À DRAGUIGNAN
(de notre correspondant particulier)Draguignan, 16 septembre.
Ce matin, à cinq heures, a eu lieu la double exécution capitale de Simon et de Barillot, les deux assassins de la femme Eudoxie Sauvère.
On se rappelle encore les circonstances dans lesquelles le crime avait été commis. La victime tenait un hôtel garni dans la rue du Baignoir, n° 13, à Marseille. Barillot était attaché à la maison en qualité de garçon de chambre. Il se lia bientôt avec Simon, qui était un locataire de la maison. Simon était marié et père de quatre enfants, il ne vivait pas avec sa femme. Simon aidait Barillot dans sa besogne, l'accompagnait dans ses courses, dans les buvettes, il était en un mot son ami intime.
Dans la nuit du 17 décembre 1894, le nommé Buisson, autre locataire, en rentrant à l'hôtel, constata que tout était fermé, que Barillot avait disparu, que Simon avait abandonné ses vêtements dans la chambre commune, et que, dans la cuisine fermée à clef, une lampe brûlait encore. Il frappa vainement à plusieurs reprises à la porte de la chambre de la femme Sauvère, puis, étant convaincu, par suite d'une conversation que Barillot et Simon avaient tenue devant lui, qu'un crime avait été commis, il partit aviser le fils Sauvère, qui accourut aussitôt et réussit à ouvrir la porte de la cuisine.
Le cadavre de la femme Sauvère replié sur lui-même gisait dans un réduit servant de placard, la face et les paupières tuméfiées.
La mort était le résultat de l'asphyxie par strangulation. Le vol avait été le mobile du crime.
Toussaint Simon est âgé de trente-neuf ans, il est né Ligny (Meuse), Il avait été délaissé par sa famille en 1883 et était journalier à Marseille au moment du crime. Il a déjà subi plusieurs condamnations pour vols, coups et blessures et menaces de mort.
César Barillot est âgé de vingt-huit ans, il est né à Montroud (Jura) ; il était au service de la victime. Il a aussi plusieurs condamnations pour vols dont une à cinq ans de réclusion.
Telle est la biographie des deux criminels condamnés à mort une première fois par la Cour d'assises des Bouches-du-Rhône le 26 mars 1895.
Simon et Barillot ont dû comparaître le 26 juillet devant la Cour d'assises du Var, l'arrêt du 26 mars ayant été annulé par la Cour de cassation.
Pour la deuxième fois, la peine de mort fut prononcée contre eux.
Le Président de la République, après examen du dossier, n'a pas cru devoir gracier ces deux criminels. C'est donc l'exécution de cette sentence qui amène aujourd'hui Deibler dans nos murs.
Les bois de justice sont restés en gare et n'ont été transbordés qu'au moment du montage de la machine.
L'hôtel où Deibler et ses aides sont descendus ne voulant pas les héberger, on a d0 faire réquisition et obliger ainsi l'hôtelier à les recevoir.
L'animation est très grande dans la ville. Un nombre considérable d'étrangers sont arrivés dans la journée et dans la nuit.
LES PRÉPARATIFSDès deux heures du matin, une foule compacte envahit la place du Champ-dc-Mars, où se trouve déjà un bataillon du 111° qui fait le service d'ordre avec la gendarmerie et la police.
Une foule compacte est également sur le boulevard de l'Esplanade, autour de la prison, où des factionnaires avaient été placés pour empêcher la foule de se masser.
À trois heures du matin, le fourgon dans lequel sont placés les bois de justice vient se ranger sur la place du Champ-de-Mars, où doit se faire la double exécution. Les aides déchargent les bois, et le montage de la machine commence aussitôt et s'exécute rapidement sous les yeux de Deibler qui surveille minutieusement ce travail lugubre.
Les sinistres préparatifs se font à la lueur blafarde d'une lampe qui projette une clarté vacillante sur le lieu de l'exécution, autour duquel fourmille déjà une foule immense.
Dans le carré formé par la troupe, nous remarquons un grand, nombre de journalistes et fonctionnaires. Le montage terminé, Deibler fait fonctionner plusieurs fois le couperet, tandis que les aides achèvent les derniers préparatifs et placent à côté de l'échafaud le panier dans lequel seront jetés les corps des deux suppliciés et le seau dans lequel tomberont les têtes de ces malheureux.
Après ce travail, les aides quittent leurs blouses, revêtent leurs redingotes noires et se rendent avec Deibler à la prison dans le fourgon qui doit amener les condamnés escortés par la gendarmerie.
LE REVEIL DES CONDAMNESLe réveil des condamnés avait eu lieu le matin à trois heures et demie.
Simon a appris sans trop d'émotion que sa dernière heure était venue. Barillot était moins ferme, néanmoins il n'a pas eu de défaillance.
Les condamnés ont ensuite entendu la messe dite dans la chapelle de la prison par l'abbé Gautier, aumônier, et ont même communié.
Les condamnés ont montré ensuite un sang-froid imperturbable jusqu'au bout. Deibler a alors pris livraison des condamnés. La toilette s'est faite ensuite sans difficulté.
À cinq heures dix, le fourgon amenant les condamnés, escorté par toutes les brigades à cheval de l'arrondissement, s'arrête au pied de l'échafaud.
À ce moment il fait grand jour et la foule est énorme. Il y a des personnes sur les arbres du Champ-de-Mars et sur les toits des maisons environnantes.
L'EXPIATIONBarillot descend le premier. Il est pâle et muet. L'abbé Perrimond l'assiste et lui présente le crucifix que le patient embrasse.
Les aides le saisissent et le poussent sur la bascule.
La lunette s'abat, Deibler appuie sur le déclic. Le couteau tombe avec un bruit sec et le corps et la tête sont jetés dans le panier.
Le couteau est aussitôt essuyé, la machine est lavée. Simon descend alors à son tour du fourgon.
En descendant du marchepied, il s'est écrié d'une voix forte : « Je demande pardon à la société du crime que j'ai commis ! Je vais l'expier J'espère qu’elle me pardonnera. »
L'abbé Gautier, qui l'assiste, lui présente la croix, que Simon embrasse.
Les aides se saisissent ensuite du deuxième patient. Une seconde après, les deux cadavres étaient réunis dans le panier et Simon et Barillot avaient expié leur crime.
Il est alors cinq heures quinze. Simon et Barillot ont été inhumés au fond de l'emplacement du nouveau cimetière, dans un recoin.
Le Petit parisien, n° 6 899 du 17 septembre 1895Draguignan - Place du Champ-de-Mars, lieu de l’exécution de Toussaint Simon et César Barillot