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 Arezki El Bachir - 1895

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MessageSujet: Arezki El Bachir - 1895   Arezki El Bachir - 1895 EmptyVen 12 Oct 2012 - 18:52

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Charles-Henri Sanson
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MessageSujet: Re: Arezki El Bachir - 1895   Arezki El Bachir - 1895 EmptySam 13 Oct 2012 - 16:33

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Charles-Henri Sanson
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MessageSujet: Re: Arezki El Bachir - 1895   Arezki El Bachir - 1895 EmptySam 13 Oct 2012 - 17:34

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Adelayde
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MessageSujet: Re: Arezki El Bachir - 1895   Arezki El Bachir - 1895 EmptySam 13 Oct 2012 - 22:17


Arezki u Lbachir – Un bandit d’honneur

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Bandit d’honneur, il a défrayé la chronique à la fin du XIXe siècle, dans la région de Yakouren, du Tamgout et de l’Akfadou.

Les registres d’état-civil indiquent qu’Arezki Lbachir (1) est né « vers 1859 » à Bou-Hini. Lors de son arrestation à la fin de l’année 1893, il avait «peut-être quarante ans » (Violard, p. 146). Il est le fils de El Bachir ou Ali Naït Ali et de Tassadit Tadjibat ; il appartient à la tribu des Aït-Ghobri.En dehors des documents d’état-civil (2), les informations écrites les plus précises à son sujet sont rapportées par Emile Violard dans ses deux ouvrages (3) (1895 et 1895/1998) qu’il a sans doute écrits entre la fin 1893 et 1894, au moment du démantèlement du groupe d’Arezki Lbachir et de celui de Abdoun*. L’auteur, qui a enquêté sur le terrain et a rencontré Arezki dans sa prison de Tizi-Ouzou, a une position très critique vis-à-vis de l’administration coloniale. Son ouvrage Le banditisme en Kabylie (1895) est la source principale (4) de la présente notice.Arezki Lbachir a dû, de son vivant déjà, entrer dans la légende puisque Violard éprouve le besoin de préciser : « Je ne rapporterai, ici, que les anecdotes dont j’ai, sur les lieux mêmes, vérifié l’authenticité » (p. 123). Les longues pages que lui consacre Violard révèlent un personnage aux multiples facettes.


Une jeunesse difficile

La Kabylie fut conquise en 1857, mais l’autorité française y fut encore sérieusement ébranlée lors de l’insurrection de 1871. Cette période correspond à l’enfance et à l’adolescence d’Arezki Lbachir. La répression de l’insurrection de 1871 fut d’une extrême sévérité et ses conséquences n’épargnèrent aucune région de la Kabylie. La vie d’Arezki fut donc, à l’image de celle de l’écrasante majorité de ses compatriotes : « D’abord berger, puis cireur de bottes à Alger, garçon de bain maure, manœuvre, bûcheron, petit khamès à Azazga » (Violard, p. 117).


L’entrée au maquis

C’est à la suite de démêlés avec la police et la justice française qu’Arezki prit le maquis. Son cas était loin d’être isolé : la Kabylie a connu, à la fin du XIXe siècle, une vague de banditisme qui inquiéta sérieusement les autorités françaises, en particulier le gouverneur Jules Cambon. Sur la nature du délit qui incita Arezki à prendre le maquis, les sources divergent ; Jean Brune, qui ne cite pas ses sources, affirme qu’il s’agit d’un meurtre : « Arezki alla s’engager comme manœuvre chez un entrepreneur de Fort-National. C’était un bon ouvrier. Un jour, il se prit de querelle avec un employé de l’entreprise et le tua. Pour échapper aux gendarmes, il prit le maquis » (Brune, 1948).
Pour Violard, il s’agit d’un vol, commis en 1887, dans : « la villa Régina, occupée par un médecin, le Docteur Geutner, à Mustapha Supérieur. Surpris par les agents de police, il réussit néanmoins à s’échapper ; mais dénoncé par ses complices [...] Areski crut opportun de gagner la forêt. La Cour d’assises d’Alger le condamna, de ce chef, à vingt ans de travaux forcés par contumace » (p. 118).
Pourtant, lors de son procès, alors qu’il se savait condamné à mort, Arezki revendique tous les meurtres qu’il a commis et en explique les raisons, mais il rejette catégoriquement les accusations de vol (Cf Annexe).


Un brigand chevaleresque et facétieux maniant la parole et les armes

Aussi bien la presse de l’époque (La Dépêche algérienne du 3 février 1895) que Violard décrivent Arezki Lbachir comme un homme au physique ingrat: « Areski a bien le type bestial que les journaux illustrés ont reproduit : tête ronde, pommettes saillantes, lèvres épaisses, nez camard, barbe rude et grisonnante, regard faux et cruel, teint bistré. Il est vêtu d’une veste et d’un large pantalon bleu comme en portent les Turcos, une haute chéchia rouge est enfoncée sur la nuque. Il a peut-être quarante ans » (Violard, p. 146).D’origine très modeste — Jean Brune affirme même que ses origines sont « obscures » —, son premier atout fut la parole :
« Il n’acquit une certaine prépondérance sur ses coreligionnaires, dit Violard, que par son bagout extraordinaire, sa loquacité merveilleuse et ses réparties cocasses » (p. 117).

A la parole, s’ajoutèrent, après l’entrée au maquis, les armes. Il y a peut-être une certaine exagération dans la description, mais Violard affirme que :
« il était possesseur d’un fusil donné par l’ancien gouverneur Tirman à Saïd-ou-Ali, le fameux tueur de panthères [...] et il vantait à tout propos la précision de cette arme à laquelle il tenait plus qu’à sa femme, disait-il cyniquement [...] Indépendamment de son fusil, Areski était armé de deux révolvers, d’un poignard et d’un couteau empoisonné. Il portait une ceinture pouvant contenir cinquante cartouches qu’il faisait toujours lui-même car il n’accordait qu’une confiance relative à ses meilleurs compagnons. On affirme que certains habitants de la région lui fournissaient des quantités prodigieuses de munitions » (p. 119-120).
La parole et les armes, awal d wuzzal disait la tradition kabyle pour qualifier tout homme d’honneur. Car « le brigand n’est pas vulgaire », dit Violard (p. 125), « malgré ses nombreuses « fredaines », il eut néanmoins de fort beaux gestes et de grands mouvements de générosité » (p. 123).

Violard dresse un portrait assez précis du personnage ; plusieurs traits y sont soulignés, souvent avec humour. Il y a d’abord le rapport d’Arezki à la violence, son « maniement » de la violence, pourrait-on dire. Il faut préciser que cette violence était ciblée : elle ne touchait pas les Français mais l’administration coloniale à travers ses relais autochtones (présidents de douar, amins nommés par l’administration, caïds…).
« Areski n’allait jamais seul, il divisait sa bande en deux, la première moitié marchait à 300 mètres en avant de la seconde, le capitaine se tenait au centre avec ses lieutenants. Lorsqu’il y avait une vengeance à exercer, un président de douar ou un mouchard à envoyer au paradis de Mahomet, c’était toujours lui qui se chargeait de la besogne. Il opérait d’ailleurs en artiste, tuant loyalement, par devant, après avoir averti son monde, [...] souvent, il assista à l’enterrement de ses victimes » (Violard, p. 126).

La parole et les armes, certes, mais à condition de savoir s’en servir, disait le code de l’honneur. La loyauté était la condition première que posait ce code dans l’exercice de la violence : ne jamais abuser de la victoire que l’on pouvait avoir sur son adversaire (car il était supposé être un pair; dans le cas contraire, le cycle de violence, qu’elle soit physique ou symbolique, ne pouvait être engagé sous peine de déshonneur). Il était aussi impératif d’agir dans le face à face; tuer son adversaire par derrière était une infamie. Cette loyauté ne se cantonnait pas, pour Arezki, dans l’exercice de la violence. Violard rapporte plusieurs anecdotes (gestes de générosité, restitution par Arezki d’objets volés à leurs propriétaires, etc.).

Enfin, chez Arezki, loyauté allait souvent de pair avec courage :
« Un président de douar avait été tué ; sur dénonciation d’un cousin de la victime, l’autorité s’était emparée d’un Kabyle du douar et l’avait emprisonné. Areski, informé de l’arrestation, se rendit en plein marché de Tizi- Wuzu, chercha et rejoignit le dénonciateur; puis, devant plus d’un millier d’indigènes, il le traita de lâche, de vendu, de fils de chienne, et il ajouta : — Tu vas, dès aujourd’hui, te rendre chez l’Administrateur, tu lui diras que tu as menti, que je suis le seul auteur de ce meurtre que, si dans quarante-huit heures, l’innocent n’est pas relaxé, je tuerai l’Administrateur et le dénonciateur. Vingt-quatre heures après, le Kabyle était en liberté » (Violard, p. 125).

Arezki Lbachir ne cultivait pas seulement les qualités d’homme d’honneur : il était aussi facétieux. Violard évoque « ses réparties cocasses » et rapporte plusieurs anecdotes dont il affirme avoir vérifié la véracité. Les journalistes l’avaient taquiné, y compris durant son procès (La Dépêche algérienne du 03/02/1895) ; mais lui aussi savait taquiner l’administration coloniale avec une élégance remarquable :
« M. Robe, bâtonnier de l’Ordre des avocats, a conté, en pleine séance du Conseil général, qu’un juge de Tizi-Ouzou (5) reçut un matin, la visite d’un Kabyle propre, s’exprimant en termes corrects. L’indigène venait lui donner des renseignements sur la bande d’Arezki. Le magistrat prit des notes et remercia chaleureusement son visiteur.
Le soir-même, le chaouch du tribunal lui apportait une carte ainsi libellée :
Areski El Bachir — remercie Mr le Juge X … de lui avoir accordé audience et le prie de croire qu’il se souviendra, à l’occasion, de la courtoisie avec laquelle il a été reçu par lui » (Violard, p. 134).
Il faut préciser que ces échanges d’amabilités entre Arezki Lbachir et l’administration française n’avaient pas lieu seulement dans les bureaux de Tizi-Ouzou ou d’Alger mais aussi au maquis ; car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Arezki entretenait d’excellentes relations avec les agents locaux de cette administration.


Un bandit garant de la sécurité

La position de l’administration vis-à-vis d’Arezki Lbachir n’était pas homogène : au niveau central, il était l’ennemi à abattre : ce fut le Conseil général d’Alger qui vota, lors de sa session d’octobre 1892, la mise à prix de la tête d’Arezki (125 000 francs ; Violard, p. 130) ; ce fut aussi Cambon qui prit la décision d’organiser — nous y reviendrons — l’expédition au cours de laquelle Arezki fut arrêté (Violard, p. 159) ; mais l’administration locale, nécessité oblige, lui était beaucoup moins hostile. Il comptera même, en son sein, de solides alliés.

Plusieurs faits rapportés par Violard rendent compte de la nature de ces relations. Il faut d’abord souligner que la clandestinité d’Arezki était toute relative car il lui arrivait de descendre à Tizi-Ouzou en plein marché, au vu et au su de tous, y compris des gendarmes qui avaient son signalement (Violard, p. 106). Par ailleurs, bien qu’ayant pris le maquis, il entretenait des relations, en bonne et due forme, avec les colons:
« Un colon avait loué sa concession à Areski, quand l’administrateur lui reprocha cet acte, le Monsieur répondit :
— Si je louais aux autres Kabyles, je serais mal payé, les colons ne me paieraient pas du tout, Areski, au contraire paie très largement et entretient admirablement mes terres » (Violard, p. 144-145). Il lui arriva aussi — les circonstances étaient sans doute exceptionnelles — de rencontrer l’administrateur en plein maquis. Ce fut lorsque sa tête fut mise à prix.« Il attendit M. Michaud, administrateur d’Azazga, qui revenait un matin de la chasse, et l’aborda sans autre préambule :
— Dépose ton fusil sous cet arbre, j’ai à te causer longuement, je suis Areski. Mr. Michaud, tout d’abord estomaqué, se remit bien vite et fit jouer les batteries de son arme.
— Ne t’amuse pas à cela, tu es père de famille et je ne veux pas qu’il t’arrive malheur. En même temps, il lui montra un gros buisson, distant d’une trentaine de mètres, d’où sortaient une demi-douzaine de canons de fusil. Il avait plu la nuit, la terre était mouillée ; le prévenant Areski se dévêtit de son burnous, l’étendit sur le gazon et, après avoir prié l’administrateur de s’asseoir, il prit place à son côté ; puis, longuement, il lui causa, lui donnant des détails sur sa vie, sur sa bande, s’engageant à laisser là son métier de brigand si le gouverneur voulait lui accorder l’aman.
— En somme, qu’avez-vous à me reprocher vous autres, Français? demanda-t-il? Ne suis- je pas au mieux avec les colons et ai-je jamais porté aucun tort ? Au contraire, je débarrasse le pays d’un tas de fripouilles indigènes, ce que vos gendarmes n’ont jamais pu faire. Pourquoi me traquer ainsi et mettre ma tête à prix? Je fais la police dans les douars, j’assure la sécurité dans la forêt et je protège les agents de l’administration qui ne me sont pas ouvertement hostiles » (Violard, p. 130). Ce fut sans doute ce rôle de police parallèle joué par Arezki qui faisait de lui un interlocuteur incontournable.

« Des détrousseurs kabyles arrêtaient fréquemment la voiture d’Azeffoun à Azazga et détroussaient les voyageurs. Comme personne ne se hasardait plus à tenter le voyage, l’entrepreneur du routage demanda une entrevue à Areski et, celui-ci moyennant une subvention mensuelle de 100 francs, promit d’assurer la sécurité de la voiture. En effet, depuis cette époque, les voyageurs n’ont jamais été inquiétés et le service postal s’est fait très régulièrement » (Violard, p. 131 à 132).
En dehors de ces liens rendus nécessaires puisque Arezki jouait ce rôle de police parallèle, on soulignera qu’il entretenait aussi de bonnes relations avec l’administration des forêts car, nous dit Violard :« Avant de devenir le brigand que nous connaissons, Areski avait été employé en qualité de chef de chantier par l’administration forestière d’Azazga. Depuis lors, cette administration entretient avec lui d’étroites relations » (p. 138).

Enfin, Arezki avait d’excellents rapports avec M. Faure, instituteur à Yakouren, qui avait comme élève le fils d’Arezki ; on peut même parler d’une solide amitié :
« Madame Faure [institutrice elle aussi] blanchissait le linge du Capitaine et de ses lieutenants; et, lorsque l’administration eut mis à prix la tête d’Arezki, elle remit des armes à Mr. Faure dans le but de l’arrêter. Mr. Faure s’empressa de les distribuer, avec les munitions aux amis d’Areski. Faure fut envoyé en disgrâce dans la région de Constantine. Plus tard, on l’arrêta [...] Il comparaîtra prochainement devant les assises d’Alger (6) ) » (Violard, p. 139-140).
Il s’agit là d’un cas de complicité avérée que l’administration pensait sans doute pouvoir utiliser pour arrêter Arezki. D’autres exemples le prouvent.


Un contre-pouvoir potentiel


Tous ces détails mettent en relief deux faits :
- Les rapports entre l’administration française et la Kabylie n’obéissaient pas à une division manichéenne; cette administration était traversée par des lignes de clivage.
- A la différence de la famille Abdoun*, dont l’opposition revêtait un caractère nettement plus radical, Arezki Lbachir a sans cesse défié l’autorité coloniale sans pour autant la remettre en cause. Partant de ce dernier constat, la sévérité avec laquelle l’administration poursuivit Arezki peut paraître disproportionnée; en effet pourquoi traquer de manière aussi implacable un bandit qui n’avait jamais inquiété l’administration française et qui dirigeait sa violence contre les siens ? Arezki s’était d’ailleurs lui-même posé cette question. En fait, cette sévérité n’était en rien disproportionnée : la vague de banditisme qui avait secoué la Kabylie en cette fin de siècle inquiétait les autorités coloniales en haut lieu (notamment les gouverneurs généraux Tirman, puis surtout Cambon) et, au niveau central, les ministres de la Justice et de l’Intérieur (7) ; elle les inquiétait en raison de sa dimension sociale et de ses implications politiques potentielles.

Ce qui inquiétait dans le personnage d’Arezki, ce n’étaient pas « ses fredaines » mais le soutien indéfectible que lui apportait la population :
« Les indigènes d’ailleurs l’encourageaient, lui créaient des alibis parce qu’il avait pris la douce habitude d’escoffier proprement amins, notables et complices de cette autorité qui les tyrannisait et les ruinait » (Violard, p. 121).
Maurice Colin confirme les mêmes faits :
« … Après cela, il ne faut pas s’étonner que pendant plus de trois ans, son autorité [i.e. celle d'Arezki] ait, dans presque tout le territoire des trois communes mixtes d’Azeffoun, du Haut Sebaou et de la Soummam, supplanté l’autorité de l’administration française. Il s’y était taillé un véritable royaume dans lequel plus de 160 000 Kabyles ne songeaient plus à discuter ses ordres ou ses caprices » (Colin, 1899 : 22).
Il s’agissait donc nettement d’un contrepouvoir, potentiel, car Arezki n’en mesurait pas ou n’en appréhendait pas la dimension politique. Enfin, un dernier fait inquiétait par-dessus tout l’autorité coloniale : il s’agissait de la très forte capacité de mobilisation attribuée à Arezki Lbachir :
« Si ce dernier avait été marabout, et si, à l’époque de la fusion les Abdoun l’avaient voulu, le Kébir du Sébaou [i.e. Arezki] eût pu grouper plus de 20 000 hommes prêts à combattre. Mais on disait à Areski — et les Abdoun affirmèrent sur le Coran — que le drapeau de la révolte ne pouvait être confié qu’à un marabout. Sans cet esprit de jalousie, l’insurrection éclatait, formidable, surprenant l’administration, qui n’était pas sur ses gardes » (Violard, p. 122-123).
Violard prend soin de préciser en note infrapaginale (p. 122, note 1) que :
« ce chiffre [de 20 000 hommes] a été constaté dans les rapports du sous-préfet de Tizi- Wuzu ».

Ces bandits d’honneur, par delà leur parcours individuel, jouaient en réalité un rôle de catalyseur. La mémoire collective les hisse d’ailleurs au rang de héros.
Les autorités françaises avaient donc parfaitement compris que la région, bien que brisée et broyée par l’insurrection de 1871, n’était pas « pacifiée » : l’implacable répression consécutive à 1871 n’avait pas réussi à la soumettre.
C’est la lecture politique qui a été faite de ce banditisme qui explique l’importance de l’expédition menée en Kabylie la fin de l’année 1893 ; cette expédition était destinée principalement à arrêter Arezki Lbachir et les Abdoun. « Prenez ces bandits vivants autant que possible, dit Cambon » (Violard, p. 159).


Une fin tragique


L’expédition de novembre 1893 qui permit l’arrestation d’Arezki Lbachir (et d’Ahmed ou Essaïd ou Abdoun) n’était pas la première. En 1891, une première tentative pour arrêter Arezki Lbachir avait échoué :« la plupart des agents kabyles [mobilisés pour la circonstance] prêtèrent leur concours aux malfaiteurs » dit Violard (p. 106).

En 1892, pendant sa session d’octobre, le Conseil général vota la mise à prix (125 000 francs) de la tête d’Arezki. Enfin, entre octobre 1892 et novembre 1893 (à une date que Violard ne précise pas), l’administrateur d’Azazga, Michaud, tenta de l’empoisonner par l’intermédiaire du colon Reiber ; celui-ci ayant refusé de coopérer, l’administrateur fit appel à Tassadit, l’épouse d’Arezki (internée à Alger mais libérée pour la circonstance) ; l’opération échoua (p. 155-156).Une autre tentative dans laquelle devait être impliqué M. Crouzet, agent de la sûreté à Alger, fut également déjouée par Arezki (p. 157).

En 1893, la bande d’Arezki prenait des proportions inquiétantes, elle « grossissait chaque jour. Le Capitaine refusait du monde. Il fallait maintenant, pour être admis, se faire présenter par deux bandits bien en cours et payer 150 francs » (Violard, p. 147).La répression devait sans doute se préparer mais elle fut précipitée par une expédition punitive que mena la bande d’Arezki (avec d’autres bandes) contre le village de Tabarouzt, situé dans la commune mixte d’Azeffoun. Trois habitants de ce village auraient fourni des renseignements sur la bande d’Arezki et c’est dans ce village qu’eut lieu l’accrochage qui coûta la vie au fils de Abdoun. Le village fut alors attaqué de nuit en novembre 1893 et incendié.
« Cet acte de brigandage exaspéra au plus haut point la population kabyle qui descendit en masse de la montagne pour réclamer la punition des coupables. Le sous-préfet de Tizi-Wuzu se rendit aussitôt à Alger, exposa la situation grave au gouverneur et obtint d’organiser sous son entière responsabilité une nouvelle campagne » (Violard, p. 159).
Cette exaction fut une erreur fatale à Arezki et aux Abdoun, car elle leur aliéna le soutien de la population; celle-ci les a, en quelque sorte, livrés à l’administration. La décision de leur arrestation fut prise au plus haut niveau : ce fut le gouverneur Cambon qui donna à M. Lefébure, sous-préfet de Tizi-Wuzu, l’autorisation d’organiser l’expédition, car ce fut une véritable expédition :
« On mit sous ses ordres [de M. Lefébure] les administrateurs d’Azeffoun, du Haut Sebaou, Michelet et de la Soummam, leurs adjoints, les cavaliers et les goumiers des communes mixtes, les brigades de gendarmerie de la région, deux compagnies de zouaves et un demi-peloton de Spahis. De plus, on arma de fusils « Le Faucheux » des Kabyles chez lesquels Areski avait « travaillé » soit en volant, soit en assassinant soit en violant. Les marabouts ayant prétendu qu’Areski ne pouvait être tué avec du plomb, l’administration fit fabriquer des balles d’argent qu’elle remit aux tireurs les plus renommés, à ceux qui avaient à leur actif quelques cadavres de lions ou de panthères. Et ce fut en plein hiver, le 25 novembre 1893, par un froid rigoureux, au milieu des tourbillons de neige que l’on commença les opérations » (Violard, p. 161).

Les bandes, isolées des villages qui leur étaient solidaires, furent alors traquées. A la différence des Abdoun qui optèrent pour une résistance unifiée, Arezki proposa la dislocation des groupes ; cette erreur tactique lui fut fatale : il dut se rendre.
« Le Roi des forêts, dit Violard, qui tant de fois avait fait preuve de courage se rendit lâchement au Caïd Belkacem du village de Seddouk, près d’Akbou. Belkacem qui était l’ami d’Areski, hésitait à l’arrêter. Mais le bandit le pria avec tant d’insistance qu’à la fin, le Caïd s’exécuta. Belkacem, pour ce haut fait d’armes, a été promu officier de la légion d’honneur, il a reçu, en outre, une prime de 20 000 francs » (Violard, p. 164).

Le procès d’Arezki Lbachir eut lieu à la Cour d’assises d’Alger les 1er, 2 et 3 février 1895, l’accusé fut défendu par maître Langlois. Il fut condamné à mort par la Cour d’assises d’Alger le 4 février 1895 et exécuté avec cinq autres le 14 mai suivant (9).L’arrestation et la condamnation d’Arezki Lbachir et d’Ahmed ou Essaïd ou Abdoun ne mirent pas fin au banditisme en Kabylie puisque Violard précise dans la conclusion de son ouvrage (donc très probablement fin 1894) :
« En ce moment, sur les lieux mêmes où les Areski et les Abdoun ont travaillé, les bandes se réorganisent; les brigands, tout d’abord surpris par la furia apportée dans la répression, reprennent assurance et recrutent les conscrits. Le sous-préfet de Tizi-Ouzou, encouragé par un premier succès, réclame, ces jours derniers, une nouvelle expédition (10) » (p. 169). Cette forme de banditisme n’est pas née au XIXe siècle, elle est ancienne et constitutive de l’ensemble des sociétés méditerranéennes; pratiqué dans ce contexte nouveau créé au XIXe siècle par la domination française, ce banditisme a été, en Kabylie, l’ultime parade, le dernier baroud d’honneur livré par une société qui avait, momentanément, épuisé toutes ses cartouches.
D. ABROUS, in DBK in Hommes et Femmes de Kabylie


Notes :

1. Son vrai nom devait sûrement être Arezqi-u-Lbacir; il a été dénommé « Areski Ben El Bachir » par Colin (1899, p. 21), Déjeux (1978, p. 45) et dans les documents des Archives nationales de Paris oh tout un dossier lui est consacré (BB18-1913.3001A92, Areski Ben El Bachir »).

2. L'enquête de terrain a été menée par Mohamed Mezari, étudiant de magister à l’Institut de langue et culture amazigh de l’Université de Bgayet.

3. Les ouvrages de Violard sont bien documentés car toutes les données qu’il livre, en particulier pour l’aspect judiciaire, sont confirmées par les dossiers des Archives nationales de Paris (voir dossiers BB18- 1913.3001.A92 et BB1968-920.A94 « Répression du brigandage en Kabylie »).

4. Les renvois de la présente notice référent donc, sauf indication contraire, à ce livre.

5. A propos de cette visite de courtoisie, Violard (1988: 28, note n° 1) rectifie : « Dans Le banditisme en Kabylie, je disais qu’Areski s’était présenté à un juge d’instruction de Tizi-Ouzou. C’était une erreur. Areski fut reçu par le Procureur général d’Alger, le mémorable Flandin, ami de Reinach. »

6. La comparution de ces complices européens est confirmée par les documents des Archives nationales de Paris, voir série BB18-1913.3001.A92, lettre n° 826 du 1EL avril 1895 adressée par le procureur général au ministre de la Justice : « Seize individus, dont plusieurs Européens, accusés de complicité pour recel ont été acquittés.

7. Voir l’importante correspondance échangée entre le procureur général d’Alger et les ministres de la Justice et de l’Intérieur à propos de « Areski Ben El Bachir et de sa bande qui désolaient la Kabylie », notamment les lettres : n° 3397 du 17 octobre 1892, n° 1971 du 4 novembre 1892, n° 728 du 6 juin 1894, n° 3001-A92 du 26 juin 1894, n° 826 du 1°’ avril 1895, n° 2266 du 14 août 1895.

8. Aujourd’hui, deux associations perpétuent le nom de Arezki ou Lbachir, l’une dans son village natal, Aït Bouhini, l’autre à Azazga, ville dans laquelle il a été exécuté. Cette dernière propose d’ailleurs que la place où fut guillotiné Arezki avec cinq de ses compagnons porte le nom de Arezki ou Lbachir.

9. Sur ce procès, voir Archives nationales de Paris, Dossier BB18 1968 – 920A94, lettre n° 826 du avril 1895 et lettre n° 2266 du 14 août 1895, adressées par le procureur général au ministre de la Justice; voir aussi Violard 1895/1998. Les actes de décès d’Arezki et de ses compagnons sont enregistrés à la mairie d’Azazga.

10. Ces faits sont confirmés par la lettre n° 2266 du 14 août 1895 (Archives nationales de Paris) : le procureur général informe le ministre de la Justice d’une nouvelle expédition destinée à « arrêter les derniers partisans des bandes de malfaiteurs qui opéraient sous la direction du nommé Areski Ben El Bachir, condamné à mort par la Cour d’Assises d’Alger le 4 février 1895 et exécuté avec cinq autres le 14 mai suivant ». Cette expédition, organisée le 27 juillet 1895 à Azazga, ne parvint pas à arrêter Mohamed ou El Hadj ou Abdoun.


Bibliographie :

- AGERON (Charles-Robert) : 1968 – Les Algériens musulmans et la France, t. I., PUF, Paris.« (Chapitre : La crise algérienne et la sécurité », p. 552 à 564).

- BRUNE (Jean) : 1948 – « Maquis Kabyle : Arezki El Bachir, le Fra-diavolo kabyle », Le Journal d’Alger, (quotidien) du 13 novembre.

- CAMBON (Jules) : 1918 – Le gouvernement général de l’Algérie, (1891-1897), Paris, Librairie Champ ion/Alger, Librairie Jourdan.

- COLIN (Maurice) : 1899 – Questions algériennes, Paris, Éditions Larose (Chapitre : « Banditisme et sécurité en Kabylie », p. 21 à 27).

- De/EUX (Jean) : 1978- « Un bandit d’honneur dans l’Aurès de 1917 à 1921 : Messaoud Ben Zelmat », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 26, p. 35 à 54.

- La Dépêche algérienne (quotidien) du 3 février 1895.

- DESMONTÈS (Victor) : 1923 – L’Algérie économique, t. II : « Les populations algériennes », Alger, Imprimerie algérienne.

- HUGOLIN : [1896]- Le banditisme en Algérie. Les causes de l’insécurité, moyens pratiques pour la faire disparaître, ce que l’on n’a pas encore dit, conseils aux colons. Mostaganem, Impr. E. Balland, 191 p.

- EACOSTE – DUJARDIN (Camille) : 1995 – « Du banditisme comme faire-valoir de la virilité socialisée en Kabyle ». Actes du Colloque de Bastia : « Banditisme et violence sociale dans les sociétés méditerranéennes » (Bastia, 27 au 29 mai 1993), Revue d’études corses, 21= année, n° 40-41, p. 59-75. — ROBIN (Colonel) : L’insurrection de la Grande Kabylie, Paris, Éditions Henri-Charles Lavanzelle, s.d. (en particulier le chapitre XIII).

- VIOLARD (Emile) : 1895 – Le banditisme en Kabylie, Paris, Éditions Albert-Savine.

- VIOLARD (Emile) : 1895/1998 – Areski, Abdoun Co;Beni-Flick, Beni-Haçaïn et colons, Imprimerie Baldachino/ Laronde-Viguier, Alger, 1895. Réédité en 1998 sous le titre : Areski, Abdoun er Cie, Hors-la-loi et bandits d’honneur en Kabylie à la fin du rwo siècle, par les Éditions Echo-Plus, Alger, 80 p.- TAGMOUNT (Azedine) : Arezki Oulbachir ou l’itinéraire d’un juste, Alger, ENAL, 1984, 182 p.


Archives :

Archives nationales de Paris :- Dossier BB18.1913 – 3001 – A92, « Areski Ben El Bachir »
- Dossier BB18.1968 – 920 – A94, « Répression du brigandage en Kabylie ».


Annexe :

Le second ouvrage Violard (1895/1998), presque entièrement consacré au procès, accorde une place importante à la comparution d’Arezki : « Areski comparaît seul sous un burnous d’éclatante blancheur, sur la tête une chéchia toute neuve. Le bandit a soigné la mise en scène. Il est accusé, pour son compte personnel, de quatre assassinats et de plusieurs vols individuels. Il parle assez correctement le français mais refuse de répondre dans cette langue. Aussi, le président des Assises, Me d’Andrée de Renouard, un magistrat d’une probité et d’une intelligence peu commune dans le monde des magistrats, désigne-t-il Me Kellerman, interprète très érudit, pour assister Areski et, plus tard, ses auxiliaires.

Interrogatoire : Areski dit : « J’ai tué, je le reconnais et je revendique hautement la responsabilité des meurtres que la société française me reproche. Mais je repousse avec la dernière énergie l’accusation de vol qui pèse sur moi.
Je suis entre vos mains et entre les mains de Dieu, faites de moi ce qu’il vous plaira : d’avance, je m’incline devant votre verdict. Je dois cependant, à la veille de la mort, proclamer la vérité sans restriction et sans lâcheté. [...]

Si j’ai pris la forêt, à qui la faute ?… A l’Administration; mon père était propriétaire de cent cinquante hectares de terre; il avait des oliviers, des figuiers; il pouvait faire des céréales. Petit à petit, il a été dépouillé par les Domaines, par les agents forestiers, par les amins alliés aux administrateurs des communes mixtes. A ces gens-là, il faut sans cesse donner de l’argent, des moutons, des chèvres, des volailles. Mon père et mon grand-père ont toujours refusé : j’ai suivi leur exemple. Alors commença contre notre famille une guerre sourde, acharnée de la part de ces prévaricateurs.
Avant de prendre la forêt, j’étais riche; je possédais des terres labourables ; j’avais des troupeaux. Depuis mon incarcération, on a assassiné mon père, on a séquestré ma femme, on a pris mes biens. Mon enfant n’a plus rien, c’est un paria. Voulez-vous en faire un bandit ? [...] . Non, je ne suis pas un voleur! J’ai tué ceux qui étaient payés par l’administration pour me livrer; ceux qui ont causé ma ruine. J’ai supprimé mes ennemis » » (Violard, 1998 : 16-18).

Au-delà de la défense individuelle de son client, ce sera Me Langlois qui expliquera les raisons profondes de ce banditisme :
« Très sobrement, Me Langlois montre le banditisme enfanté par notre société moderne, par les fautes administratives accumulées depuis soixante ans [...]. « Areski, c’est le porte-parole de ce pays que nous n’avons pas su comprendre et que nous avons stupidement opprimé. Areski, c’est la Kabylie tout entière qui vient vous dire : Ce n’est pas en faisant couler des flots de sang sur l’échafaud d’Azazga que vous transformerez nos mœurs et nos coutumes. Vous n’avez pu nous amener progressivement à ce que vous appelez la ‘civilisation’, vous avez désagrégé la société kabyle sans rien mettre à la place de nos Kanouns détruits. » [...]
Maître Langlois conclut : « Areski n’est pas le malfaiteur présenté par l’avocat général, c’est le révolté kabyle et ses crimes qu’il revendique courageusement sont des crimes politiques » (Violard, 1998 : 30, 33).

« Hommes et Femmes de Kabylie Dictionnaire Biographique de la Kabylie »


http://printemps2001.unblog.fr/2010/02/11/arezki-u-lbachir-un-brigand-chevaleresque/

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MessageSujet: Re: Arezki El Bachir - 1895   Arezki El Bachir - 1895 EmptySam 13 Oct 2012 - 22:21


Arezki El Bachir Le « Robin des Bois » Algérien

qui a combattu vaillamment ceux qui lui ont confisqué ses terres et ses biens.

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Lors de son procès, il explique au juge les raisons qui ont fait de lui un bandit d'honneur :
« J'ai tué, je le reconnais et je revendique hautement la responsabilité des meurtres que la société française me reproche. Mais je repousse avec la dernière énergie l'accusation de vol qui pèse sur moi.

Je suis entre vos mains et entre les mains de Dieu, faites de moi ce qu'il vous plaira : d'avance, je m'incline devant votre verdict. Je dois cependant, à la veille de la mort, proclamer la vérité sans restriction et sans lâcheté. […] Si j'ai pris la forêt, à qui la faute ?… A l'Administration : mon père était propriétaire de cent cinquante hectares de terre; il avait des oliviers, des figuiers; il pouvait faire des céréales. Petit à petit, il a été dépouillé par les Domaines, par les agents forestiers, par les amins alliés aux administrateurs des communes mixtes. A ces gens-là, il faut sans cesse donner de l'argent, des moutons, des chèvres, des volailles. Mon père et mon grand-père ont toujours refusé ; j'ai suivi leur exemple. Alors commença contre notre famille une guerre sourde, acharnée de la part de ces prévaricateurs.

Avant de prendre la forêt, j'étais riche; je possédais des terres labourables ; j'avais des troupeaux. Depuis mon incarcération, on a assassiné mon père, on a séquestré ma femme, on a pris mes biens. Mon enfant n'a plus rien, c'est un paria. Voulez-vous en faire un bandit ? […] . Non, je ne suis pas un voleur ! J'ai tué ceux qui étaient payés par l'administration pour me livrer; ceux qui ont causé ma ruine. J'ai supprimé mes ennemis. »


L’injustice féroce de l’ordre établi

C’est en 1895 que le premier ouvrage sur le banditisme en Kabylie, écrit par Emile Violard, sort à Paris. La presse française de l’époque salue, presque à l’unanimité, les investigations d’un écrivain qui veut comprendre. « Emile Violard ne s’est pas contenté de nous montrer le banditisme algérien, ce qui eût été insuffisant : il nous explique les causes. D’après lui, en effet, le banditisme est, en Algérie, beaucoup plus le produit des vices de notre administration que de causes locales dont l’auteur ne nie d’ailleurs pas l’existence. Ainsi, entreprenant de narrer les hauts faits d’Arezki El-Bachir, il exhibe les dessous de l’administration algérienne, qui sont loin d’être séduisants », estime le journal ‘’le Petit Caporal’’.

Emile Violard, digne héritier des Lumières françaises, s’élève dans ses écrits contre l’injustice féroce de l’ordre établi ; il se dresse contre un système plus fort que lui tout en sachant que son combat est perdu d’avance. Mais l’Histoire sait toujours retenir le nom de ces hommes qui dépassent le temps, leur appartenance, leur clan et qui vont à l’essentiel : cette quête éperdue de l’humanité même quand la folie prend le dessus sur la raison.

Pour expliquer ses écrits et ses prises de position, Emile Violard s’imprègne de la culture et des traditions kabyles. « En Kabylie, lorsqu’un jeune homme demande la main d’une jeune fille, aussitôt après les accordailles, il se fait un devoir d’apporter ses cadeaux, consistant, le plus ordinairement, en verroteries, en essences, en parfums, en remèdes divers, en antidotes contre les maléfices. Jamais, à quelque classe qu’il appartienne, il n’oublie d’offrir à la douce vierge dont il veut faire sa femme, une boîte de « Hab El-Barris » ou « pilules de Paris », au protiodure de mercure, par crainte d’une postérieure syphilis ! … Et c’est vous, tas de prétendus civilisés, qui avez l’aplomb de toucher à cet être naïf, à ce prévoyant de l’avenir ! » écrit Emile Violard en décembre 1894.

Ainsi, il va raconter dans les détails les épopées d’Abdoun et d’Arezki El-Bachir qui sera exécuté avec ses compagnons à Azazga dans l’après-midi du 14 mai 1895. « De quel côté sont les civilisés ? Où sont les sauvages ? Nous avons tout bouleversé en ce pays : le chef de bureau arabe a pris les femmes ; l’administrateur civil s’est emparé des terres (…). L’Arabe, a naturellement regimbé. Alors, on l’a écrasé d’impôts, on l’a roué de coups (…). Quand au Kabyle, on a déchiré ses kanouns, on a supprimé sa djemâa, on lui a laissé le choix entre l’exil, la mort ou la révolte », avoue Emile Violard.

« Hors-la-loi et bandits d’honneur kabyles du XIXème siècle » est un livre à parcourir car il nous restitue dans une époque difficile qui porte en elle tous les germes des révoltes à venir, tous les espoirs d’un monde meilleur où l’homme est réconcilié avec lui-même.


http://devildz.org/forum/showthread.php?19193-Arezki-El-Bachir-Le-Robin-des-Bois-Alg%E9rien&p=43382

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MessageSujet: Re: Arezki El Bachir - 1895   Arezki El Bachir - 1895 EmptySam 13 Oct 2012 - 22:23

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MessageSujet: Re: Arezki El Bachir - 1895   Arezki El Bachir - 1895 EmptyMer 17 Oct 2012 - 17:20


REFLEXIONS SUR LE BANDITISME EN ALGERIE A LA FIN DU XIXème
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« A propos de la Grande Kabylie (1890-1895) » par Alain Sainte-Marie
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Bandits de grand chemin ou bandits d'honneur ?


La distinction n'a d'intérêt que par la valeur symbolique attachée au bandit d'honneur, incarnation de la résistance à un ordre contesté. On n'acquiert cette stature que par quelques traits remarquables : la longévité, le prestige - chef de bande de préférence -, l'audace, le pouvoir, le contrôle d'une région et l'exercice de fonctions quasi régaliennes.

Arezki El Bachir et Ahmed Ou Said Abdoun fournissent l'exemple de deux cheminements.

Arezki El Bachir (1) est un simple manoeuvre, un ouvrier maçon kabyle émigrant pour vivre à Alger où il commet, en 1890, un vol avec effraction dans une villa de Mustapha Supérieur. Poursuivi par la police, il se réfugie tout naturellement dans sa région natale où la vaste forêt de Yakouren-Akfadou offre un asile sûr. Puis il tue l'amin de Moknéa qui, pour le compte de la justice française, le serrait de trop près. Dès lors il ne lui reste plus qu'à essayer de survivre le plus longtemps possible au maquis.

L'histoire de Ahmed Ou Said Abdoun est, elle aussi, traditionnelle. Une rivalité de village entre les familles Abdoun et Achabou, un président de douar (Béni Djenad el Bahr) assassiné ; Abdoun est accusé de ce meurtre par un membre de la famille ennemie et, sans doute à tort, à la suite d'un procès bâclé, il est condamné à mort en 1884. Sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité. Il la purge à Cayenne d'où il s'évade en 1887, après une première tentative en 1886. Recueilli par un bateau anglais, il trouve refuge à Panama. Grâce à un pécule accumulé en travaillant au percement du canal, il passe aux Antilles et de là, via Londres et Gibraltar, il gagne le Maroc puis la Kabylie. Cet exploit, qui traduit une prodigieuse force de caractère, n'est pas exceptionnel (2). Avant tout il doit assouvir sa vengeance et, le 26 juin 1889, il tue son dénonciateur. L'honneur sauf, il ne lui reste plus qu'à prendre le maquis pour échapper à la fois à la justice française et à la vengeance de la famille rivale. La sienne est solidaire et son frère Mohamed Ben El Hadj Ou Abdoun et son neveu l'y rejoignent.

On trouve donc là un crime d'honneur, qui ferait le bandit d'honneur, une manifestation de justice privée tout à fait normale, voire quasi obligée, en fonction des coutumes locales. C'est ce que plaide, en 1895, M° Langlois au procès de Ahmed Ou Said Abdoun : "Là-bas, comme en Corse, il y a des rivalités de famille à famille... qui dégénèrent en vendetta et ne s'achèvent qu'avec le fusil... Venger un parent n'est pas un crime... ne pas le faire serait une lâcheté... mais ces querelles peuvent se vider sans effusion de sang par l'intervention de la djemaa et le désintéressement pécuniaire de la famille de la victime. L'intervention française dans la querelle Abdoun-Achabou a tout faussé" (3).

Autour d'Arezki d'une part et des frères Abdoun d'autre part s'agglutinèrent d'autres réfractaires (4). Les deux bandes d’abords distinctes opérant dans deux cantons voisins ; les Béni Djenad et les Béni Ghobri, finirent par fusionner.

Si l'on veut durer au maquis, il faut s'assurer la complicité d'une grande partie de la population environnante et pour cela respecter quelques règles qui forment le code du bandit d'honneur :
- ne s'attaquer qu'à ceux qui sont impopulaires par leur richesse mal acquise (propriétaires exploitant leurs métayers, usuriers...) ou parce qu'ils représentent l'autorité (amin, gardes-champêtres ou forestiers, gendarmes..) ;
- prévenir la tentation de la dénonciation, peu honorable certes mais tentante quand une forte prime est promise, en châtiant impitoyablement les mouchards ;
- se créer une légende, une aura, par des largesses, des bravades, quelque acte audacieux qui ridiculise l'adversaire ;
- faire régner une certaine forme de loi, de sécurité, où un maximum de gens, éventuellement colons et agents français locaux, peuvent trouver leur compte.

Pour cela il punit les défaillances au sein de sa bande et pourchasse les bandits isolés, voire les bandes organisées qui voudraient chasser sur son territoire sans respecter sa déontologie.

Et voilà, s'il dure et fait parler de lui, que naît, s'amplifie et se prolonge au delà de la mort du héros, la légende sans laquelle il ne serait pas de bandit d'honneur, légende construite et propagée par toute une littérature surtout orale.

L'épopée donne une image embellie du héros tant au physique (5) qu'au moral. Tout naturellement le fier combattant est un justicier et un séducteur. Il fait battre les coeurs et on lui prête maintes aventures y compris, ô prodige ou horreur, avec des Européennes. Arezki ben Bachir règne en maître... sur tous les environs d'Azazga, rançonnant sans pitié les riches, punissant les délateurs et ne dédaignant pas de consoler la veuve et l'orpheline, surtout lorsqu'elles sont jeunes et jolies" (6). L'insolence d'Arezki... en est arrivé à un tel point que ceux qui apprennent ses exploits par les journaux, croient à un pur roman. Il joue très bien en effet son rôle de héros classique. Généreux envers les uns, il n'est impitoyable que pour les vilains et les manants qui se rebiffent. Dédaignant d'avoir recours à des émissaires pour porter ses ordres, il va lui-même signifier ses commandements sur les marchés. Il frappera bientôt monnaie. En attendant il a établi sur ses terres le droit de jambage, se contentant des femmes mariées pour le moment" (7). En outre, il se présenterait en redresseur des torts des amins, voire de certains administrateurs de commune-mixte (08).

Dans l'inconscient collectif il est encore plus que cela : il est le champion d'une cause, l'incarnation d'une résistance.


Valeur réelle et valeur symbolique du bandit

Dans le jeu de cache-cache avec le gendarme, l'opinion kabyle est du côté du bandit, mais il serait bien superficiel de ne retenir que cet aspect. Certes il déjoue, il nargue les forces attachées à sa perte et le récit oral amplifie ses exploits, mais surtout la majeure partie de la population s'identifie à sa cause, en fait le champion de la résistance à l'autorité extérieure et étrangère et s'enhardit de son exemple.

Pour les autorités françaises, nul doute : l'indiscipline grandit en Kabylie dans les années 1892-1893, "les Kabyles deviennent arrogants", les refus de payer impôts et amendes ou d'assister les fonctionnaires français se font plus nombreux. Après l'échec d'une tentative de ratissage des forêts de Yakouren et de Tamgout, on a l'impression d'une révolte larvée, de se trouver "en présence d'un véritable état insurrectionnel d'une partie des populations kabyles" (9). D'abord parce qu'il y a échec, ensuite parce que toute intervention massive et prolongée de la force armée vivant sur le pays mécontente les populations. "Quand ils partirent, ils n'avaient pris aucun bandit mais le douar était ruiné et quelques Kabyles exaspérés iront probablement grossir, à la première occasion, le bataillon des outlaws" (10). Tout cela est bien connu depuis le développement contemporain des guérillas et "guerres subversives" qui, par bien des aspects, sont des extensions du banditisme d'honneur, ce qui nous amené tout naturellement à "la cause nationale".

Actuellement nul doute que pour nombre d'Algériens les bandits fameux, encore présents dans les mémoires, n'aient été des résistants à la domination française, des formes primitives, fractionnées du nationalisme algérien. Aussi bien Bouzian El Kalai des Béni Chougran, mort en 1876 (11), que Messaoud Ben Zelmad dans les Aurès, mort en 1921 (12), en passant bien sûr par les frères Abdoun et Arezki El Bachir.

Pour les contemporains ils représentent surtout une résistance aux lois et aux autorités françaises. Poursuivis le plus souvent pour s'être conformés à un code d'honneur coutumier, ils sont donc les champions de cette coutume que les Français cherchent à réduire, à supprimer et où les Kabyles voient, à juste titre, un élément fondamental de leur particularisme. En outre, selon l'orientation donnée au récit, selon tel détail de leur biographie, ils s'inscrivent dans le cours de l'évolution historique ou dans le cadre des modifications apportées par la colonisation. Amezian Mansour, tué près de Dellys en 1874, est présenté comme le chef de l'une des bandes réfugiées dans les forêts de Kabylie après l'échec de la révolte de 1871. Arezki serait un déclassé, sa famille aurait dû vendre ses terres sur les poursuites du fisc mis en branle par le service forestier (13) dont les rigueurs sont responsables de bien des assassinats de gardes-forestiers.

Le bandit doit, de toute manière, faire face en permanence aux agents locaux de l'autorité : administrateurs français et, subordonnés à eux, les chefs investis de village, de douars ou de tribus : amins, adjoints indigènes ou présidents. Ceux-ci oscillent entre deux attitudes : fermer les yeux sur les exactions et risquer de se faire destituer ou tout au moins de se faire rappeler à l'ordre par leurs supérieurs, par la presse coloniale ; ou faire du zèle et risquer leur vie. C'est loin d'être une vue de l'esprit. Arezki répond personnellement de la mort de trois amins trop attachés à sa perte. Le commissaire-délimitateur Sicard qui opère dans la commune mixte d'Azeffoun pendant les années 1892 et 1893 fournit de précieux témoignages :

- Sur les meurtres d'amin :

"Pendant notre séjour chez les Béni Flick, du 13-6 au 25-7-1892, trois grands crimes ont été commis et cela en plein jour. Le premier qui a eu lieu à côté de l'important marché des Béni Djenad a été l'attaque à main armée de toute une famille ; le deuxième a eu lieu dans la tribu des Zerkfaoua et le troisième chez les Béni Ghobri. Ces deux derniers crimes ont entraîné la mort de deux amins qui nous étaient dévoués, aussi les indigènes hésitent-ils à accepter ces fonctions et s'ils s'y décident c'est avec l'intention bien arrêtée de ne pas s'occuper de police générale qui attirerait sur eux et les membres de leur famille de grandes vengeances" (14).

- Et sur l'état d'esprit des populations :

"Depuis 26 ans que nous travaillons en territoire indigène, nous n'avions pas encore rencontré de tribus refusant d'exécuter les ordres qui leur étaient donnés. Il a fallu que nous allions à Ighil N'Zekri pour cela" (15).

Les relations avec les Européens sont relativement complexes d'autant qu'il faut faire, dans ce cas, la part de l'habileté d'Arezki qui ménage les quelques Européens qui se trouvent dans le secteur -gardes-forestiers, instituteurs pressant les élèves kabyles de fréquenter les écoles d'Azazga et de Yakouren et colons. Du reste il y aurait trouvé quelques appuis et parmi les 16 individus accusés de complicité par recel (fourniture de vivres et de poudre) et tous acquittés pour avoir agi par crainte, figurent trois Européens. Il faut aussi faire la part des arguments polémiques d'une partie de la presse d'Algérie en campagne contre l'administration, ses théories et ses procédés, au nom d'un thème qui revient périodiquement : l'insécurité (16).

Cette presse, ces traités, ces pamphlets contribuent eux aussi à donner un aspect symbolique, une dimension mythique aux « hors-la-loi » qui mettraient en péril la colonisation et donc la présence française en Algérie, non que les régions qu'ils tiennent soient "vitales" - en fait il s'agit des régions les plus déshéritées, les moins accessibles donc les moins colonisées - mais parce qu'ils maintiennent vivant l'esprit de résistance sans compter qu'ils offrent un refuge à tous ceux qui sont en délicatesse avec les autorités françaises : voleurs ou meurtriers, déserteurs ou insoumis.

Toute action prolongée et/ou spectaculaire d'une bande est prétexte à une campagne où, selon l'époque, les lieux ou les tendances on règle ses comptes avec l'administration militaire ou civile, accusée de faiblesse sinon de complaisance, avec les chefs "indigènes" suspects à priori, avec les missionnaires anglais anti-français par essence et qui fourniraient des armes de contrebande, avec les juifs dont les pratiques usurières poussent les Algériens à la révolte (17) etc. Pour attirer l'attention et augmenter l'inquiétude les articles des journaux ont souvent des titres alarmants : "Rébellion en Kabylie" annonce l’Akhbar dès le 12 décembre 1891. On réclame des réformes pour mettre fin à l'insécurité : soit des mesures de police - extension de sa responsabilité collective, châtiments exemplaires -, soit des réformes qui varient suivant les auteurs du réseau serré de brigades de gendarmerie à des refontes de la justice, du code forestier, du régime de la propriété...

Mais en premier lieu il s'agit de mettre fin à l'action des bandes armées, de dégonfler "les légendes bouffonnes", la thèse d'une partie de la presse (‘’La Vigie algérienne’’, entre autres) étant que le rôle et l'étoffe d'Arezki ont été volontairement forcés pour masquer l'incurie et les complaisances de l'administration. Thèse reprise, pour d'autres raisons, lors du procès de la bande par le réquisitoire du Ministère public qui s'efforce de démontrer qu'il ne s'agit que d'un vulgaire détrousseur de grand chemin, assassin à ses heures, mais en aucun cas d'un héros épique. Forçant quelque peu la note, la Vigie algérienne rapports ce réquisitoire en ces termes :

On vous a dit que l'accusé était "un héros", une manière de paladin moyenâgeux et silvestre armé pour défendre le faible et le juste, un Fra Diavolo chevaleresque, un Don Juan flirteur, un Bellacoscis vengeur, une riche nature, un chic type. Eh bien ! Des blagues ! Il faut en rabattre. C'est une fripouille, un voleur vulgaire, un assassin qui joue du fusil pour détrousser les passants, un gibier de potence quoi ! (18).

Ce procès a lieu en janvier 1895, plus d'un an après l'arrestation d'Arezki-Abdoun et de la plupart de leurs compagnons. Fin novembre 1893, profitant de la tension croissante entre villageois et bandits, craignant que l'agitation ne dégénère en une véritable révolte, une grande battue est lancée par le préfet d'Alger avec le concours de 300 tirailleurs, spahis et paysans armés : Avec l'autorisation de M. le Gouverneur général Cambon, M. le Préfet Laroche et M. Lefebure sous-préfet à Tizi-Ouzou, organisent une expédition mixte composée de civils et de militaires. Les premiers sous les ordres des administrateurs de leurs adjoints et des présidents indigènes. Ils commandaient à un certain nombre de Kabyles armés pris dans chaque village parmi ceux qui avaient eu le plus à souffrir des bandits et qui remplissaient le rôle de traqueurs. Ils donnaient tous les renseignements utiles et aidés des gardes forestiers et gendarmes n'hésitaient pas à s'emparer des bandits qui leur tombaient sous la main" (19).

Le 24 décembre 1894, à Seddouk, canton d'Akbou, Arezki est capturé par un adjoint indigène. A la fin janvier, 45 bandits, pour la plupart membres de la bande Arezki Abdoun, ont été tués ou arrêtés ; la bande est pratiquement anéantie même si certains ne seront capturés qu'en juin 1894, voire en juillet 1895. Leur procès occupe en 1894 deux sessions d'assises, l'une en janvier février, l'autre en mars. Arezki est condamné à mort le 26 janvier, Ahmed Ou Said Abdoun le 5 février. Au total sont prononcées 18 condamnations à mort dont 6 commuées aux travaux forcés à perpétuité, 14 aux travaux forcés à temps, 6 à la réclusion, 3 à des peines d'emprisonnement et il y a 16 acquittements. Parmi les prévenus "quelques uns sont morts pendant... leur détention par suite de phtysie soit par le typhus" (20).

Le 14 mai 1895, Arezki et Abdoun et quatre de leurs compagnons sont exécutés publiquement à Azazga ; le 19 sont guillotinés à Port-Gueydon deux membres de la bande dite des Béni Hassain (21). Ces exécutions publiques sont destinées à avoir un effet salutaire pour la sécurité. Si l’on en croit leur répétition, la dissuasion n'est pas si évidente (22). Quatre des condamnations à mort non commuées ont été prononcées par contumace et concernaient : Amar ou Merai, fidèle lieutenant d'Arezki qui s'était taillé une réputation de férocité, Said Ou Mohand, Mohamed Ou Tahar, et Mohamed Ben El Hadj ou Abdoun, frère d'Ahmed Ou Said Abdoun.

En juillet 1895, pour capturer les derniers partisans de la bande de malfaiteurs qui opéraient sous la direction du nommé Arezki Ben El Bachir (23) est montée une expédition comprenant des cavaliers des communes mixtes et des "auxiliaires volontaires pris parmi les indigènes de la région". Le 27 juillet leur présence est signalée par des indicateurs dans la forêt de Bou Halaiou non loin du village d'Agraredj, dans le canton d'Azazga. Cernés, ils se défendirent énergiquement, deux auxiliaires furent tués puis ils succombèrent sous le nombre à l'exception d'Abdoun qui, bien que sans doute blessé, réussit à s'enfuir (24).


Un combat sans espoir, ou le bandit artisan de sa propre fin
II lui faut déjà du talent et de la chance pour échapper aux premières poursuites, constituer une bande et devenir suffisamment redoutable pour acquérir les dimensions d'un bandit d'honneur. Là s'ouvre une période qui lui est favorable et qui peut durer plusieurs années. Par l'admiration et la terreur qu'il inspire, il peut compter sur de nombreuses complicités et sur le respect de la loi du silence. Et, tant que son rayonnement ne dépasse pas une région d'intérêt médiocre, les moyens mis en place pour le neutraliser restent limités ou inadaptés. Mais peu à peu, et d'une manière quasi inexorable, la situation du bandit se dégrade.

D'abord par ce que l'on pourrait appeler l'élargissement du cercle des représailles. Dès le départ, s'il s'agit d'une prise de maquis à la suite d'un meurtre, une famille, un clan, voire une tribu ont une vengeance à tirer. Puis, quelque prudente que soit leur démarche, les bandits volent et tuent ceux qui leur résistent, ceux qui les poursuivent, et de nouvelles familles sont attachées à leur perte (25).

Ce sont parmi ces familles que les administrateurs cherchent et trouvent des auxiliaires. Lorsqu'Amziam Mansour tombe, son refuge a été dénoncé. C'est Sidi Mohammed Ben Khedda, président du douar-commune de Sidi Saada qui arrête Bouzian El Kalaï. Des auxiliaires "arabes" aident à détruire en 1877 la bande de Bou Guerra dans les environs de Demmapes (Constantinois) (26). L'opération n'est cependant pas sans risque puisque quatre d'entre eux auraient été assassinés par la famille de Bou Guerra dans les quinze jours qui suivirent (27). Deux des victimes d'Arezki auraient été armées par l'administrateur d'Azazga avec mission de l'abattre, mais Arezki, prévenu, se porte avec audace, en plein jour, au devant d'eux, tue l'un et blesse grièvement l'autre (28).

Le plus souvent la tête du "hors-la-loi" est mise à prix. La récompense peut être tentante quand, la bande affaiblie par des morts au combat et des arrestations, le risque de représailles est fortement atténué. Des bergers, rémunérés par une prime, contribuent à la fin de Bournesrane (1920) et de Ben Zelmat (1921) dans les Aurès.

Des mesures sont prises pour que le bandit ne puisse plus se sentir comme un poisson dans l'eau dans la région qu'il contrôle et mettre fin que parents et amis lui apportent à l'aide. Les parents et amis des bandits n'écoutaient plus rien. Ils refusaient de payer les amendes et même l'impôt. Les ennemis des bandits étaient non seulement exposés à être volés ou tués mais encore ils étaient astreints à toutes les corvées imposées au douar."(29).

L'Akhbar du 16-3-1892 signale que dans la lutte contre le banditisme kabyle on a déporté dans la région de Bône les familles (47 personnes) des principaux chefs. L'épouse d'Arezki semble avoir été transférée à Alger et Arezki tue, le 16-7-1892, l'amin de Bou Hini, son village natal, qu'il rend responsable de la déportation de sa femme.

Autre aspect qui tend à dégrader les relations entre villageois et bandits: le talent de séducteur de ces derniers. C'est ainsi que le 4 janvier 1893, El Bachir Ou El Hadj Abdoun, le neveu des frères Abdoun, est tué dans une embuscade en se rendant chez sa maîtresse à Tabarourt (30). Embuscade tendue par des agents kabyles recrutés par l'administrateur de la CM. d'Azeffoun. Arezki et Abdoun organisent une première expédition punitive contre Tabarourt dans la nuit du 3 au 4 juillet 1893 "attaquant et incendiant plusieurs maisons du village, tuant ou blessant quatre des habitants", mais apparemment ils s'étaient trompés de cible d'où une deuxième opération de représailles le 13 novembre 1893. Le lendemain l'amin de Tifrit à la tête d'auxiliaires s'attaque à la bande et est tué. En peu de temps la vendetta s'est considérablement élargie.

Né souvent de la vendetta, le banditisme ne la dépasse guère. Si son action peut conforter les résistances locales à la domination externe, elle n'a pas de mobiles politiques précis. Il procède parfois d'un refus de la justice française, de la conscription - voir l'ampleur des désertions et de l'insoumission pendant la guerre 1914-18 qui alimentent de nombreuses bandes - mais il n'est en aucun cas r l'embryon d'un soulèvement national, le point de départ d'une insurrection générale. Peut-être faut-il voir en Belkacem Krim, à partir de 1947, le premier maquisard de la lutte de libération nationale algérienne qui, tout naturellement, englobera les bandes qui se trouvaient en 1954 dans les Aurès ou en Kabylie.

Tous les caractères du banditisme que nous avons relevés pour la Kabylie de la fin du XIXème siècle se retrouvent, proches ou identiques d'un bout à l'autre de la Méditerranée dès qu'il y a exercice d'une vengeance privée, qu'elle réponde ou non à des normes coutumières, dès qu'il y a possibilité de prendre le "maquis". Le bandit sicilien ou calabrais renvoie au Rif, aux Aurès ou à la Kabylie, le Corse appartient à la même famille avec le Grec, le Turc, le Druze ou l'Albanais... En fait, plus largement, ces caractères se retrouvent partout et toujours dans l'histoire de l'humanité dès qu'une autorité extérieure, nationale ou non, et impopulaire, pèse sur des communautés d'habitants qui peuvent trouver des possibilités naturelles de fuite, de refuge : la montagne, la forêt ou le maquis, le marais ou le désert...

Nombreuses sont simplement les variations sur le thème, en fonction du contexte.


NOTES

(1) Son nom est diversement écrit. On trouve aussi Arezki ben Bachir ou ben el Bachir. Il est né en 1857 à Bou Hini, village des Béni Ghobri.

(2) F. CHAVERIAT, Huit jours en Kabylie, Paris, 1889, signale (p.101) de semblables évasions et retours en Algérie. On trouve d'autres indications dans les avis de recherche du Mobacher. Le numéro du 21 juillet 1877 indique plusieurs évasions survenues en Guyane le 1-7-1876, le 12-9-76, le 19-9-76 (dont un originaire des Flisset el Bahr) et 8-12-76. Certains réussissent à regagner l'Algérie. Le Mobacher du 30-8-1879 annonce l'arrestation à Aïn Beida d'un forçat évadé de Guyane en 1877 après avoir purgé 10 ans de bagne. Sur les 35 bandits arrêtés ou tués en Kabylie de décembre 1893 à janvier 1894, trois sont des évadés de Cayenne, et pour l'un d'entre eux à deux reprises. Ali Ou Bâta du douar Zerkfaoua, tué le 25 janvier 1894, s'en serait même évadé dès 1870.
L'Akhbar du 19-1-1891 mentionne une trentaine d'évadés de Cayenne présents en Algérie que la rumeur publique européenne gonfle démesurément on parle de 800, voire de 900 forçats en rupture de ban.

(3)La Vigie algérienne du 27-1-1895.

(4) Un rapport du Parquet du Procureur général d'Alger au Garde des Sceaux (Archives Nationales, Paris, BB 18-1968, 920 A 94) du 6 mars 1894 fournit des renseignements sur 35 membres de ces bandes. La plupart ont pris le maquis, la forêt plus exactement, à la suite d'homicides ou de tentatives d'homicide. A côté du crime passionnel, voire du parricide, on trouve de véritables vendettas, impliquant parfois plusieurs membres d'une même famille : Saïd Bien Mohamed Ou Hassain a "gagné la forêt après avoir tué, pour venger le meurtre, de son frère et de son cousin, deux des parents du meurtrier". D'autres n'ont commis que de menus larcins qui leur valent trois mois à un an de prison et préfèrent quand même échapper à la justice, le cas extrême est celui deMohamed Ou Ali Ou Boudjemaa, poursuivi pour tentative d'homicide, avait rejoint les bandits". On ne trouve qu'un seul tirailleur déserteur.

(5) Les journalistes qui assistent au procès d'Arezki ne peuvent cacher leur déception devant son physique quelconque et son aspect fruste.

(6) L'Akhbar du 22-10-1892.

(7) P. TROLARD, La sécurité en Algérie, Alger 1893, p.3.

(08) E. MALLEBAY, Cinquante ans de journalisme, Alger 1938.

(9) Rapport du Procureur générai d'Alger au Garde des Sceaux, 26 juin 1894 (A.N.BB 181968,
3001 A 92) ; à moins qu'elles ne soient "terrorisées par les tentatives audacieuses d'Arezki et de sa bande" qui sévissent sur les territoires des communes mixtes de Dellys, Azeffoun, Azazga et Fort National, ce qui n'est en fait que deux aspects d'une même situation (lettre du ministre de l'Intérieur, 4 novembre 1892, A.N.,BB 18 1968).

(10) P. TROLARD, op.cit.

(11) N. BENDEDDOUCHE, Bouzian el KalaT, mémoire de sciences politiques, Alger 1976.

(12) J. DEJEUX, Un bandit d'honneur dans l'Aurès de 1917 à 1921 : Messaoud Ben Zeimad, Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée, 1978, n° 26, pp. 35 à 54.

(13) E. MALLEBAY, op.cit.

(14) Rapport d'ensemble sur les Béni Flick, A.N. Aix-en-Provence, loi de 1887, M 202-41.

(15) M 205-48.

(16) Tout tableau de l'insécurité fait une large part au banditisme. Cf. Ch. R. AGERON, Les Algériens musulmans et la France, Paris, 1968, pp.552-56I et G. MEYNIER, l’Algérie révélée (premier quart du XXe siècle), thèse Histoire, Nice, 1979, pp. 1461 et suivantes, qui donnent de nombreux exemples de bandes opérant en Algérie, y compris en Kabylie, pendant la période 1914-1918.

(17) Un bel exemple de la violence de ces libelles est fourni par E. VIOLARD, Banditisme en
Kabylie, Paris, 1895.

(18) Numéro du 27-1-1895.

(19) SICARD, Rapport d'ensemble des Béni Hassaïn, A.N., M 221-104.

(20) A.N., BB 18-1968, rapport du Parquet du Procureur général d'Alger au Garde des Sceaux, 1er avril 1895.

(21) La bande des Béni Hassaïn semble avoir été distincte de celle d'Arezki-Abdoun. Le membre le plus ancien, condamné pour homicide "sous l'autorité militaire", tenait la forêt depuis 17 ans, un autre depuis 6 ou 7 ans, lors de leur arrestation au début janvier 1894.

(22) Le 19 janvier 1891 a eu lieu une triple exécution publique à Isserville. L'année précédente, le 24 février, l'administrateur de la CM. de Daily s fait cerner dans son repaire "le malfaiteur kabyle Aberkane de Tikobaïn, qui depuis quelque temps troublait la contrée" et qui est tué sur place etc..

(23) Lettre du Procureur général d'Alger au Garde des Sceaux, 14 août 1895, A.N., BB 18-1968, 920 A 94. Une autre lettre du 3 avril 1895 (BB 18 1990, 93 A 95), nous apprend que Amar Ou Merai et Said Ou Mohamed sont accusés d'avoir tué ou blessé pour les voler deux Kabyles, le 21 mars 1895, près de Port-Gueydon.

(24) Nous ne savons pas ce qu'il est devenu.

(25) Arezki El Bachir et sa bande sont prévenus de 25 assassinats, 7 meurtres, 11 tentatives d'assassinat, 2 incendies volontaires, 2 vols qualifiés et une séquestration.

(26) "Cette aide s'explique par les rancoeurs des victimes du banditisme ; d'autre part cette aide est nécessaire pour déjouer les ruses de leurs coreligionnaires". Le Mobacher, 15-11-1877.

(27) Exemples à l'appui, P. TROLARD, op.cit. p. 54, explique que "tout indigène qui dénonce ou aide à capturer un malfaiteur est un condamné à mort ; un jour ou l'autre, il tombera sous les coups de la vendetta".

(28) Lettre du ministre de l'Intérieur, 4 novembre 1892, A.N., BB 18-1968.

(29) SICARD, rapport sur les Béni Hassaïn, A.N., M 221-104.

(30) Un jeune homme se vante d'être l'auteur du coup de feu décisif. En récompense il est nommé président de douar. Le 2 mai 1893 il est assassiné à 12 km de Port Gueydon par la bande d'Arezki.


http://www.cg06.fr/cms/cg06/upload/decouvrir-les-am/fr/files/rr82-1982-04.pdf

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