Le romancier Pierre Zaccone est l'auteur de
Histoire des Bagnes, depuis leur création jusqu'à nos jours (1876).
Dans cet ouvrage, il consacre un article à un forçat qu'il nomme
Bordelet, condamné à mort et exécuté en 1838 pour le meurtre d'une religieuse.
Une gravure de l'exécution de ce Bordelet figure en illustration de son texte. Cette gravure se trouvait déjà en
1845 dans un ouvrage de Maurice Alhoy
Les bagnes, histoire, types, mœurs, mystères, mais sans mention de l'exécuté.
La voici :
Pierre Zaccone a donc repris cette gravure
trente ans plus tard, en ajoutant le nom de Bordelet. Or, ce Bordelet fait étrangement penser à
Baudelet, également
forçat, exécuté en
1838, à
Brest, pour l'assassinat d'une religieuse. Les similitudes entre
Bordelet et
Baudelet sont trop nombreuses pour ne pas y voir qu'un seul homme :
Baudelet. Effectivement, Bordelet n'existe pas, l'exécution du forçat à laquelle Pierre Zaccone déclare avoir assisté est celle de
Joseph Baudelet. Et l'histoire de Baudelet n'est pas celle qu'il décrit, la presse de l'époque l'a présenté d'une façon totalement différente.
Doué d'une imagination très fertile, Pierre Zaccone a écrit de nombreux livres d'aventures. De cette importante production, seul émerge encore aujourd'hui son
Histoire des bagnes où son imagination se fait parfois encore remarquer !
* Les dossiers de grâce des condamnés à mort, de René Habib, confirment que l'accusé était bien
Baudelet. Et il figure au
Palmarès de Sylvain Larue.
Journal des débats politiques et littéraires, du 01-04-1838.
(Source : gallica.bnf.fr)
Le tribunal maritime de Brest avait à juger, le 26
(1) de ce mois, un forçat accusé d'avoir assassiné, dans l'hôpital du bagne, la vénérable sœur Sainte-Malch, sans que l'on sût attribuer à ce crime aucune sorte de motif…
M. Sauré, capitaine de vaisseau, présidait le tribunal. Telle était l'affluence des spectateurs et la difficulté de maintenir l'ordre, qu'il y eut des banquettes brisées dans l'intérieur par les spectateurs qui y étaient montés, et des carreaux cassées par des curieux cramponnés en dehors des fenêtres.
Voici le résumé des faits exposés par M. Roelle, commissaire-rapporteur, après l'audition des témoins.
Depuis longtemps, la sœur Sainte-Malch était chargée de la direction et de la surveillance de l'hôpital, fonctions dont elle s'acquittait avec un zèle et un dévouement admirables.
Joseph Baudelet, condamné aux travaux forcés à temps pour meurtre commis sur la personne de sa femme, avait servi dans les hôpitaux depuis le 5 juillet 1834 jusqu'au 30 août 1837, jour où il fut renvoyé pour injures et menaces envers la sœur Sainte-Malch.
Baudelet est un très bon cuisinier, et depuis son renvoi les malades se plaignaient de la mauvaise préparation de leurs aliments. La malheureuse Sainte-Malch, toujours pieuse et dévouée, mit de coté toute crainte et tout souvenir des injures, et malgré la répugnance de M. le commissaire des hôpitaux à écouter les nombreuses sollicitations et promesses de Baudelet, celui-ci rentra au service de la cuisine le 30 octobre dernier. Depuis ce jour, s a conduite n'avait donné lieu à aucun reproche.
Le 5 mars, à trois heures de l'après-midi, Baudelet remit à la couturière un grand couteau de cuisine pour le faire aiguiser de suite ; il dit même : «[
J'en aurais bien trois ou quatre à repasser, mais faites toujours arranger celui-là. »
A cinq heures environ la sœur eut besoin de prendre au grenier quelques objets de service. Elle s'y fit accompagner par deux hommes. L'un était le condamné Guibal, et l'autre était Baudelet. GuibaI remarqua quelque chose de hagard dans les traits de ce dernier. Ils redescendirent tous les trois presque aussitôt. La sœur recommanda à un infirmier de tenir des sacs prêts pour le lendemain, et elle rentra un instant à la cuisine pour faire préparer par Baudeiet le modeste souper des religieuses.
Leroi, l'un des servants, était encore sous le hangar, tout près de la porte de la cuisine qui était entr'ouverte, lorsqu'il accourut au cri de la religieuse qui venait d'être frappée. Baudelet ferma la porte précipitamment. Un horrible spectacle frappa les yeux de Leroi.
La sœur était étendue près de la table, baignée dans son sang, morte. Baudelet était encore armé du terrible et fatal couteau qu'il avait fait aiguiser deux heures auparavant. Il menaça de l'en frapper : ses yeux étaient effrayants. Le témoin se rapprocha de la porte; le meurtrier s'en aperçut, lui mit sur le cou la pointe du couteau, en disant qu'il allait le tuer s'il cherchait à s'échapper : la résistance était impossible.
Pensant qu'il allait fuir ou périr de la main de ce forcené, Leroi prit la résolution de mourir ou de lui échapper. Il parvint à se rapprocher doucement de la porte, qui heureusement n'était fermée qu'au verrou. L'ouvrir et fuir en criant
au meurtre ! fut l'affaire d'un instant.
Aux cris de Leroi, le condamné Edouard se précipita dans la cuisine, il fut frappé d'horreur en voyant la sœur Sainte-Malch étendue et baignée dans son sang. Joseph Baudelet l'examinait et la retournait. A ces mots :
«
Joseph, qu'avez-vous fait ? » il regarde Edouard avec une figure effrayante et le menace du couteau qu'il tenait à la main. Edouard recula un moment, mais s'étant emparé d'un morceau de bois et revenant sur ses pas il trouva Baudelet étendu près de la sœur et respirant à peine. L'assassin venait de se frapper lui-même d'un coup de couteau à la gorge mais cette blessure n'était pas mortelle comme celle faite à la religieuse, dont le cou ne tenait plus que par la colonne vertébrale. Le blessé fut transporté à l'hôpital du bagne.
Il reprit ses sens, et comme il lui était impossible de parler, il se servit d'un crayon pour communiquer ses idées. Après le pansement, il recouvra l'usage de la parole, ses idées étaient parfaitement nettes et lucides. «
J'avais, dit-il, depuis deux ou trois jours le projet d'en finir je lui ai dit que nous péririons tous les deux. Rentré avec elle dans la cuisine, où je suis parvenu à l'isoler avec moi, j'ai saisi un couteau semblable à celui qui m'est présenté, mais que je n'avais point préparé à cet effet, et ai commis le crime. »Sept jours après, le 12 mars, il déclara encore que ce n'était que peu de jours avant son action qu'il s'était déterminé à faire périr la sœur avec lui.
Dans de telles circonstances, M. le rapporteur a conclu à l'application de l'art. 502 du Code pénal.
Me Grivart a fondé la défense de l'accusé sur une espèce d'aliénation mentale dont il serait atteint depuis le 1er janvier.
Le tribunal, après une courte délibération, a condamné Baudelet à la peine de mort, et a ordonné que l'exécution aurait lieu sur l'esplanade du bagne.
* Le Palmarès mentionne également la date du
26. Dans les
Dossiers de grâce des condamnés à mort, de René Habib, il est indiqué la date du
20 ?
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EXÉCUTION DE BAUDELET
Journal des débats politiques et littéraires, du 11-04-1838.
(source : gallica.bnf.fr)
— On écrit de Brest, le 10 avril :
« Le forçat Baudelet, condamné à mort par le tribunal maritime de Brest, pour avoir assassiné la sœur Saint-Malch, avait fait appel à la clémence royale. L'approche de la Saint-Philippe lui faisait concevoir une venge espérance de salut.
Lorsque Me Grivard, son défenseur, lui donna lecture de la demande en grâce, la vue de nombreuses personnes qui entouraient son cachot sembla lui causer une pénible distraction. Un instant après, l'avocat lui tendit la main en signe d'adieu, et à cette étreinte, ému jusqu'aux larmes, Baudelet répondit par des témoignages de gratitude, exprimés avec douceur et sentiment.
Ce matin, la nouvelle s'est répandue que le Roi avait rejeté le pourvoi du meurtrier. La réponse du ministre était ainsi conçue :
«
Sa majesté a décidé que la justice aurait son cours. » L'exécution avait été fixée pour cinq heures du soir.
— Dès l'heure de midi, un peuple immense se pressait déjà dans les rues qui avoisinent le bagne. Toutes les grilles du port avaient été fermées.
A quatre heures, les troupes de la garnison et de la marine étaient échelonnées sur l'esplanade de la Corderie-Haute. Dès l'heure de midi, un peuple immense se pressait déjà dans les rues qui avoisinent le bagne.
Trois mille forçats étaient parqués entre une double haie de gardes-chiourme ayant devant eux, à une trentaine de pas, deux pièces d'artillerie chargées à mitraille. L'instrument du supplice était placé en face de la porte extérieure du bagne. Le sac destiné à recevoir la tête du patient fixait les regards des curieux et derrière gisait un tombereau recouvert d'une toile funèbre, marquée d'une croix : c'était le char de la mort.
Enfin la dernière heure a sonné et un détachement de gendarmerie s'est aussitôt dirigé vers le cachot du condamné, qui n'était séparé de l'échafaud que par le bel édifice qui sert de prison à 4.000 forçats. L'abbé Bucail assistait le malheureux et lui montrait le ciel. A l'aspect du détachement, Baudelet a cherché des prétextes pour reculer le moment fatal. Il a demandé le commissaire pour lui recommander ses gardiens. Il s'est attaché à son banc et a repoussé les deux exécuteurs. Enfin le sarrau rouge lui a été mis au cou, ses chaînes ont été brisées et il a marché d'un pas ferme, assisté de son confesseur qu'il n'écoutait pas.
Arrivé au bas de la rampe, il a souri, a tiré la langue, et a couru tout d'un élan jusqu'aux degrés de l'échafaud. Son teint était animé; ses mouvements étaient brusques. Quand le bourreau l'a attaché à la planche, il s'est plaint que la courroie lui faisait mal. Une seconde après il n'existait plus.
Ce spectacle avait attiré plus de dix mille personnes, toutes les femmes étaient aux fenêtres, et l'on apercevait une foule d'hommes montés sur les toits. Les carabines des gendarmes et des agents de surveillance étaient chargées.
Tous les forçats étaient à genoux, !e bonnet à la main. A cinq heures vingt minutes, on ne voyait plus personne sur l'esplanade du bagne, et des expériences de galvanisme se faisaient à l'amphithéâtre de la marine sur le corps du supplicié. »
Note: quelques blogs reprennent la version de Pierre Zaccone pour l'exécution de Bordelet/Baudelet.
Lire l'ouvrage de Pierre Zaccone : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6115200z.r=histoire+des+bagnes.langFR