Il faut mettre une chose au point : "Le Carnet noir du bourreau" - dont la lecture inspire sans le moindre doute votre question - n'est pas une autobiographie fiable à 100%. Elle contient une foule d'informations authentiques et parfaitement dignes de foi, mais d'autres sont largement interprétées par l'auteur à partir d'autres livres publiés par le passé.
Alors, pourquoi Desfourneaux n'a pas eu d'ennuis à la Libération ? Tout simplement parce que l'enquête - car il y a bien eu investigations - a démontré qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre le bourreau pour avoir rempli ses fonctions.
En 1943, Obrecht et les frères Martin ont démissionné pour deux raisons : primo, parce qu'on les a avertis d'une probable recrudescence d'exécutions politiques, secundo - et ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase -, parce qu'ils étaient insuffisamment payés. Sans remettre en question leur écœurement croissant au fil des mois, ils auraient pu aussi démissionner dès la première exécution du 28 août 1941. Mais il a fallu l'accumulation des exécutions politiques associées à ces soucis financiers pour que les aides décident de rendre leur tablier. Mieux payés, ils auraient peut-être poursuivi leur besogne quelques mois de plus, qui sait ?
Je souligne qu'en 1958, les aides Bernoud et Ribour ont démissionné quelques heures avant de devoir pratiquer la toute première exécution d'un Algérien condamné par un tribunal militaire en France métropolitaine. Obrecht, lui, est resté à son poste les années suivantes, comme Desfourneaux quinze ans plus tôt. D'ailleurs, quelle est la différence fondamentale entre la vingtaine de résistants guillotinés entre 1941 et 1943 et la vingtaine de révoltés Algériens guillotinés en France entre 1958 et 1961, à part notre façon de considérer qui est dans le camp des "gentils" et qui est dans le camp des "méchants" ?
Au passage, dans les colonies occupées par la France (Indochine, Nouvelle-Calédonie, Algérie), on a souvent condamné et décapité des rebelles : ceux-ci avaient presque tous commis des crimes et des attentats, faisant bien d'eux des criminels de droit commun aux yeux de la justice, mais il ne faut pas se leurrer, ce sont leurs convictions politiques qui les ont conduit à la mort. A-t-on jugé par la suite leurs exécuteurs, notamment l'équipe basée à Alger ? Non. Le fallait-il ? Chacun est libre d'avoir une opinion à ce sujet.
En toute période, les exécuteurs ont dû obéir aux ordres. C'est sur la base de cet argument que la plupart des dignitaires et criminels de guerre nazis ont tenté de justifier l'injustifiable, je le sais. Mais les exécuteurs n'occupent pas des fonctions créées uniquement durant un régime fasciste. Pour être exact, il faut préciser qu'en Allemagne, les exécuteurs des arrêts criminels du IIIe Reich ont dû, eux, rendre des comptes, mais à la différence de Desfourneaux, non seulement, le nombre de leurs "patients" politiques se comptait par centaines, voire milliers, mais en outre, ils sont tombés sous la juridiction de tribunaux d'occupation étrangère - l'un des exécuteurs, jugé hélas pour lui par un tribunal d'U.R.S.S., sera même exécuté à son tour. Reichhart, mentionné par Pier, a fait tout de même quelques années de prison pour ses exécutions durant la guerre.
Les bourreaux ne sont pas des rouages flambants neufs d'une monstrueuse entreprise d'extermination systématique comme l'a été la Shoah. Depuis la création de leur poste, ils sont là pour tuer les gens condamnés à mort par un tribunal, que ce soit un tribunal criminel légitime ou bien un tribunal d'exception, toujours pour des faits qui tombaient sous le coup de la loi.
Sous l'Ancien Régime, en 1766, Charles-Henri Sanson a décapité Lally-Tollendal parce qu'il avait perdu des batailles et que c'était intolérable pour un chef de guerre. La même année, il a aussi décapité le chevalier de la Barre pour avoir soi-disant profané une croix et commis un blasphème. Sous la Révolution, le même Sanson a guillotiné une foule d'anonymes condamnés suite à de simples soupçons et dénonciations.
On pourrait considérer que la punition est disproportionnée par rapport au "crime" mais il suffit de regarder l'actualité pour comprendre qu'en 2020, les mentalités n'ont pas changé. On insulte une religion ? Les fidèles appellent à la mort de l'impie. On gère une crise sanitaire n'importe comment, des people appellent à la générosité depuis le confort de leurs maisons de nantis ? Le peuple crée le hashtag #2020guillotine...
Ce ne sont peut-être que des mots, mais cela reflète clairement l'état d'esprit : ceux qui enfreignent une loi, qu'elle soit véritable ou simplement un affront à la morale ou au bon sens, doivent aux yeux des gens être punis.
Il est inexact de considérer que Desfourneaux ait embauché "des gens qui n'avaient rien à voir avec sa fonction". D'ailleurs, Anatole Deibler avait agi de même quarante ans avant lui.
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, après le décret Crémieux de 1870, il y avait encore des exécuteurs ou des fils d'exécuteurs ayant appris le métier auprès de leur père et qui auraient, légitimement, solliciter une place au sein de l'équipe de M. de Paris, mais au fil des années, les anciens titulaires sont morts, et leurs descendants n'avaient pas forcément envie de continuer sur la lignée paternelle. A mesure qu'il a perdu ses aides chevronnés et riches de plusieurs décennies de pratique, Anatole Deibler a donc embauché des gens en qui il avait confiance. Il se fiait aux caractères et à sa propre appréciation : il avait besoin d'assistants robustes - pas forcément des colosses -, pas hypersensibles, un peu adroits de leurs mains - donc souvent travaillant comme ouvriers - et si possible discrets. C'est ainsi qu'il a recruté son beau-frère Louis Rogis, chaudronnier puis chauffeur sur bateau-mouche, Robert Martin, qui était le filleul de son épouse, ses neveux Desfourneaux, Obrecht et Sabin, son ami Deschamps, architecte...
Desfourneaux, solitaire par nature, avait moins d'amis que son oncle Deibler, et une famille moins vaste parmi lesquels recruter des aides. Il a donc proposé les places à des voisins - plusieurs habitants de son immeuble, notamment - et des connaissances, sur les mêmes critères que son oncle Deibler : des hommes assez forts en caractère pour ne pas craquer en conduisant des criminels à la mort, solides, adroits et discrets. Certains ont refusé directement, d'autres ont tenté l'expérience une seule fois. Les dernières années de sa vie, son équipe n'était composée que de gens "extérieurs" à la profession : Perruchot, Ribour, Bernoud et Guyot. Et le fait-même que Guyot soit réputé violent me semble digne d'être remis en question...
PS : je vous en supplie, Vivier, relisez-vous avant de poster.
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"Les humains, pour la plupart, ne se doutent de rien, sans envie ni besoin de savoir, ça leur va comme ça, ils croient avoir de l'emprise sur les choses.
- Mh... pourquoi en avoir fait un secret ? Ils peuvent comprendre, ils sont intelligents...
- Une personne, sûrement, mais en foule, on est cons, on panique comme une horde d'animaux, et tu le sais."