1826. Une double exécution capitale, place de Grève, à Paris
Sur cette place de Grève (place de l’Hôtel-de-Ville-Esplanade de la Libération, aujourd’hui, Paris 4ème), les supplices les plus divers se sont déroulés pendant plus de 500ans, bûcher, potence, épée, écartèlement, roue, guillotine.
En cette année 1826, 111 condamnés à mort subirent la décapitation par la guillotine selon le Palmarès des exécutions capitales, de Sylvain Larue, et 111 selon le Compte général de l’administration de la justice criminelle en France.
Articles transcrits du Journal l’Etoile.
Les N. B. ne sont pas du journal.
Mardi, 25 avril 1826
COUR D’ASSISES DE PARIS
Assassinat du changeur Joseph
Les deux italiens Malagutti et Ratta, accusés d’être les auteurs de cet assassinat, ont comparu aujourd’hui devant la cour d’assises. Tous deux sont nés à Bologne. Le premier est âgé de 23 ans. Il a déjà été condamné dans son pays à une détention de huit mois pour avoir tué un homme. Le second, âgé de 19 ans, travaillait à l’imprimerie royale comme ouvrier. Sa physionomie est moins repoussante que celle malagutti.
Leur physionomie forme un contraste frappant avec le crime qui leur est imputé. Malagutti est vêtu d’un habit noir ; c’est un jeune homme d’une haute stature ; ses cheveux sont noirs et tombent en désordre sur son front ; ses yeux, baissée ; lancent à droite et à gauche sur l’auditoire des regards obliques ; sa figure ; qui conserve tous les caractères de la tranquillité, n’a rien qui annonce une âme féroce. L’accusé parait souffrant.
Ratta est plongé dans une morne stupeur ; ses yeux ne quittent point le plancher. Sa figure est assez belle ; mais ses joues sont creuses ; de longs cheveux noirs bouclés relèvent la pâleur de son front ; il porte une veste brune fort propre ; sa cravate blanche est mise avec une certaine symétrie.
D’après l’acte d’accusation Malagutti conçut le projet de voler un changeur et en fit part à son camarade, dans ce dessein ils coupèrent le grillage en fer d’une boutique de changeur ; mais on s’en aperçut et les précautions que l’on prit firent échouer leur projet.
Malagutti imagina de tuer et de voler un changeur du Palais-Royal, et Joseph fut choisi parce qu’il avait remarqué que le soir cet homme était souvent seul. Malagutti, serrurier-mécanicien, fabriqua deux stylets et en donna un à Ratta. Ils se promenèrent plusieurs jours dans le Palais-Royal avant de trouver l’occasion de mettre à exécution leur dessein. Enfin ils se présentèrent chez Joseph, dont l’épouse et la domestique étaient absentes ; ils demandèrent s’il voulait changer les pièces d’or, il y consentit. Malagutti tira maladroitement des pièces de monnaie de sa poche, et en laissa tomber quelques unes ; en s’empressant de les chercher. Joseph se courba et dit : voilà un gros là-bas. A ce moment malagutti le saisit par la main, l’entraîna du coté de l’arrière-boutique, et le frappa de plusieurs coups de stylet.
Joseph pousse des cris, Malagutti lui met la main sur le bouche, et dit à son camarade (pecci, frappe. Ratta, après avoir pris les précautions pour ne soit être vu et entendu du dehors, court sur Joseph et lui donne plusieurs coups de stylet.Enfin, Malagutti porte un coup de stylet sur le bas-ventre de la victime, qui tombe évanouie en poussant un long soupir. C’en est assez, je lui ai donné le coup de grâce, dit Malagutti ; il faut prendre l’or. Ratta s’empara de 19 rouleaux de 1000 fr. chacun.
Pendant l’instruction de ce procès les accusés ont avoué être les auteurs du crime qu’on leur reproche. Aujourd’hui ; tout en persistant dans leurs aveux, ils ont prétendu n’avoir pas eu envie de tuer le changeur Joseph ; s’ils se sont armés de stylets c’était pour lui faire peur ; Ratta dit que s’il a frappé c’est qu’il était hors de lui-même et incapable de comprendre ce qu’il faisait.
Ratta n’a pas voulu voir les stylets qu’un huissier lui a présenté par les reconnaître. Sur le bureau où l’on dépose les pièces de conviction, on remarque une meule que malagutti avait fait creuser au centre pour cacher l’or qu’ils avaient volé.
L’accusation a été soutenue par M. l’avocat-général Jaubert.
Malagutti et Ratta ont été condamnés à mort.
N. B. Le changeur Joseph ne fut que blessé lors de cette agression criminelle. Plus tard, il intervint auprès de la justice en faveur des accusés.
Malagutti n’a manifesté aucune émotion en entendant son arrêt, et parait ignorer le sort qui leur est réservé ; Ratta verse quelques larmes, et regarde son compagnon avec un air de reproche.
A leur arrivée dans la prison, les deux condamnés paraissaient abattus. On les a séparé. Ils ont tous deux exprimé l’intention de se pourvoir en grâce.
Malagutti et Ratta se sont pourvus ce matin en cassation. Leur pourvoi sera soutenu par M. Mongalvi, avocat aux conseils. Ces deux condamnés se sont aussi pourvus en grâce. A deux heures, ils ont été transférés à Bicêtre (*)
(*) Bicêtre (Val-de-Marne - 94) : A cette époque, les condamnés à mort attendaient leur exécution dans cette prison d’où ils rejoignaient ensuite Paris.
C’est également d’ici que partaient les chaînes de condamnés pour les bagnes.
Décision de la Cour de cassation.
Extrait du
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation rendus en matière criminelle : N° 101. Rejet des pourvois des nommés Malagutti et Ratta, en cassation de l’arrêt de laCour d’assises du département de la Seine, en date du 24 avril 1826, qui les a condamné à la peine capitale, pour crime d’assassinat suivi de vol.
Du 19 mai 1826.
NOTICE ET MOTIFSMalagutti et Ratta, condamnés à mort pour crime d’assassinat suivi de vol, par arrêt de la cour d’assises du département de la Seine, du 24 avril 1826, présentaient pour moyen de cassation le fait qu’un témoin ouï aux débats, et qui professait la religion hébraïque, n’avait pas prêté serment
more judaico (*) mais suivant la formule prescrite par l’article 217 du Code d’instruction criminelle. Le pourvoi a été rejeté par les motifs développés dans l’arrêt dont la teneur suit :
Ouï le rapport de M. le baron Bernard, conseiller ; la lecture du mémoire des demandeurs ; les observations de Maitre Montgalvi, leur avocat, et les conclusions de M. Laplagne-Barris, avocat général ;
« Attendu que si les témoins qui professent une autre religion que celle de l’Etat peuvent demander à être admis au serment prescrit par leur culte, on ne saurait en conclure que ces témoins, quelle que soit leur religion, lorsqu’avant leur déposition ils ont été admis à prêter le serment prescrit par la loi, n’aient pas accompli l’obligation qu’il leur était imposée, et n’aient pas donné à la société et aux accusés la garantie que le législateur a voulu leur assurer en les obligeant d’affirmer leur déclaration sous la foi du serment ;
Que quand il serai vrai que, dans l’espèce, un témoin, quoique juif de religion, aurait prêté serment en la forme ordinaire, sans réclamation de sa part, il n’en aurait pas moins été pleinement satisfait au voeu de l’article 317 du Code d’instruction criminelle ;
Attendu d’ ailleurs que la procédure est régulière en la forme, et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constans,
La Cour rejette &c. (
*)
More judaïco. Conforme à la coutume juive. A cette époque, il était souvent imposé à un citoyen français, mais de religion autre que catholique, de prêter serment selon un protocole propre à sa religion. C’était une discrimination flagrante, déconsidérée par beaucoup de juifs. Elle fut totalement supprimée en 1846.
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N. B Par une curieuse coïncidence, le jour où Malagutti et Rasta allaient être exécutés, le changeur Joseph décédait.
Journal
L’Etoile. Dimanche 28 mai.
Hier, à dix heures, une foule considérable s’était rassemblée devant la porte du changeur Joseph, dont nous avons annoncé la mort, et qui dit-on avait été empoisonné. Les souvenirs des lettres anonymes, qui avait été adressées au sieur Joseph, donnaient une apparence de vérité à ces bruits populaires. D’autres prétendaient que sa mort avait été occasionnée par l’émotion violente que lui avait fait éprouver l’annonce de l’exécution prochaine des deux Italiens.
D’après des renseignements plus exacts, il parait qu’il a succombé à une fausse fluxion de poitrine, provoquée par des travaux excessifs. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle, qui s’est en quelques instants répandue dans la capitale, a vivement frappé tous les esprits. Peut-on ne pas être étonné en effet de cette étrange coïncidence entre la mort des deux ans et celle de leur victime.
Aujourd’hui, on doit procéder à une autopsie juridique qui éclaircira les doutes.
COMPTE-RENDU succinct de l’autopsie réalisée sur le changeur Joseph :
«
Aucune lésion intérieure n’a donné lieu de croire que sa mort fût la suite des blessures qu’il avait reçues ; aucune trace de poison n’a réalisé le soupçon d’un nouveau crime. A la suite d’une longue course, le sieur Joseph, déjà très échauffé de ses travaux de la veille, avait commis l’imprudence de boires deux verres d’orgeat à la glace, et telle est la cause à laquelle les médecins ont attribué sa courte et foudroyante maladie. »Journal
L’Etoile. Dimanche, 28 mai.
Hier, à sept heures trois quarts, Rata et Malagutti ont été transférés de Bicêtre à la Conciergerie, dans des voitures séparées. Ratta, en arrivant, fumait sa pipe et paraissait fort tranquille. A onze heures, lecture leur a été faite de l’arrêt qui a rejeté leur pourvoi en cassation ; ils se sont jetés tout-à-coup dans les bras l’un de l’autre, se sont embrassé, et demandé mutuellement pardon.
Malagutti a sollicité avec beaucoup d’insistance la faveur de voir les deux changeurs, Joseph et Roland, pour obtenir d’eux leur pardon. On lui a répondu que Joseph était malade…
Les deux italiens ont déjeuné ensemble avec du macaroni ; et ; après leur repas, ils ont demandé que leurs vêtements fussent distribués aux plus nécessiteux. D’après un usage que commande la religion et l’humanité, les condamnés, dès le moment où ils arrivent à la Conciergerie, sont constamment assistés par des prêtres, auxquels est confié la douloureuse mission de les préparer à la mort.
Malagutti et Ratta sont restés jusqu’à quatre heures moins un quart, avec MM. Cetta et Franceschi, leurs confesseurs, dans la chambre qui servait autrefois de parloir aux avocats.. Vers deux heures, l’avant-greffe de la prison, salle vaste et obscure dans laquelle se font les affreux préparatifs, que, par, une étrange corruption de mots, on est convenu d’appeler la
toilette des condamnés, a commencé à se remplir d’un nombre assez considérable de personnes avides de contempler un spectacle plus déchirant peut-être que celui du dernier supplice. La foule se compose de gardiens et employés de la maison, des individus nécessaires en pareil cas, de quelques prisonniers, et de curieux privilégiés, admis en très petit nombre.
A quatre heures, au bruit monotone des conversations engagées dans les divers groupes qui s’étaient formés, un coup de sonnette a fait accéder le plus grand silence. L’heure est arrivée. La porte s’ouvre ; et tous les regards sont fixés sur le malheureux patient ; le souvenir du crime qu’il va bientôt expier s’efface presque devant l’intérêt et la compassion qu’inspirent sa jeunesse.
Malagutti s’avance seul ; il marche d’un pas ferme, précédé du prêtre qui doit le quitter à l’échafaud. Sa figure est pâle ; il promène avec une tranquillité apparente, ses regards sur la foule qui l’entoure et se presse autour de lui. Assis sur une sellette de bois, placée vis-à-vis le dernier guichet, il est dépouillé de la camisole de force qu’il portait depuis sa condamnation.
Le silence le plus morne règne dans l’assemblée. Pendant les préparatifs assez longs, qui consistent à lui lier les pieds et les mains, à lui ôter ses habits et à couper le col de sa chemise , le prêtre continue ses exhortations. Malagutti parait plus agité, mais son émotion est loin d’égaler celle du vénérable ecclésiastique. souvent même il parait distrait, et tournant la tête à droite et à gauche, il fixe des yeux hagards sur les personnes les plus rapprochées de lui ; il parle à voix basse aux exécuteurs entre les mains desquels il vient d’être livré.
Ratta s’avance à son tour d’un pas précipité ; plus jeune que son complice ; il parait fort attentif aux exhortations de son confesseur. Après qu’il a été livré à son tour aux exécuteurs et qu’il a subi les mêmes préparatifs, un second coup de sonnette annonce que tout est prêt… La porte fatale s’ouvre ; il passe le premier, Malagutti le suit. Arrivé sur le seuil il s’arrête…et s’adressant à la foule : « Pardonnez-moi, dit-il, priez
les autres de me pardonner aussi ; pardonnez-moi, M. le directeur, je demande pardon à Dieu et aux hommes… pardonnez-moi ! »
Dix minutes après les deux patients étaient déjà au pied de l’échafaud. Ratta, le plus jeune des deux, a reçu le premier coup fatal. Trois minutes environ se sont écoulées entre son exécution et celle de Malagutti, qui, pendant cette horrible agonie, n’a cessé de s’entretenir avec son confesseur.
L’affluence des curieux était immense. Dès le matin, l’échafaud était dressé sur la place de Grève ; la multitude encombrait cette place, plusieurs heures avant le moment de l’exécution, et une foule d’hommes du peuple était assis sur les parapets.
Après l’exécution, la charrette, qui revenait de la place de Grève, a été un instant obligé de s’arrêter sur le quai aux Fleurs. Là, on a vu plusieurs individus monter sur les roues, et, entraînés par une curiosité inexplicable, chercher à entrouvrir le panier qui contenait les deux cadavres !...
Moulage de la tête de
Virgilio Malagutti, et son crâne. Provenance :
Musée Delmas-Orfila-Rivière, de l’institut d’anatomie de Paris.
Ce musée se trouvait rue des Saints-Pères, Paris 6ème. Il ne peut plus être visité. Jean-François Dhainaut et le généticien Axel Khan, présidents successifs de l’Université Paris-Descartes, propriétaire du musée, s’en sont débarrassés. Les collections ont été cédées à la faculté de Médecine de Montpellier. Elles contenaient notamment des cires anatomiques du
Musée anatomique et ethnologique de
Pierre Spitzner, installé à Paris en 1856, et devenu par la suite musée forain itinérant. Ce musée avait été fondé en 1856 sous le nom de
Grand musée anatomique et ethnologique. Collection vendue aux enchères en juin1985 au
Nouveau Drouot, à Paris.