mercattore Monsieur de Paris
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| Sujet: Modeste LOUCHARD, parricide, 1877, exécuté à Evreux Mer 20 Juil 2022 - 21:24 | |
| Relation de l’affaire Modeste Louchard, parricide (matricide) en 1877, et guillotiné à Evreux (Eure - 27) le 18 mars 1878. Exécuteur :Nicolas Roch, 65ans. Extrait du livre de Georges Grison Souvenirs de la prison de la Roquette, éditeur E. Dentu, Paris, 1883. 340 pages
La suite (transcription) :
Au mois de mars 1877, un crime horrible était découvert dans un petit village de l’Eure. Un berger, nommé Emmanuel Modeste Louchard , âgé de vingt-sept ans, avait coupé sa mère en morceaux, avec une serpe aiguisée tout exprès, avait fait cuire la tête dans un four afin de la rendre méconnaissable, et avait enfoui les tronçons du cadavre au fond d’une marmite recouverts d’herbes et de branchages, espérant faire disparaître à jamais les traces de son horrible forfait.
Quelques jours après, et alors que la disparition de la victime commençait à faire naitre des soupçons, un passant ayant remarqué des traces sanglantes auprès de la marnière, ne craignit pas de descendre au fond de ce gouffre, qui a plus de quarante mètres de profondeur, et il en rapporta…un bras affreusement mutilé. Louchard, que, dans le village, on avait surnommé « le méchant Louchard », tant sa cruauté était proverbiale, fut arrêté, jugée, et, malgré ses dénégations, condamné à la peine de mort. Comme homme il était peu intéressant. Mais son exécution présenta plusieurs particularités qui firent grand bruit. C’est à ce titre que nous la reproduisons ici.
L’annonce de l’exécution avait été faite prématurément plusieurs fois . Ainsi, la ville d’Evreux était-elle tout en émoi. Chaque nuit, plusieurs centaines de personnes se rendaient à la plaine du Bel-Esbat, champ de manoeuvre d’infanterie, situé au sud-ouest de la ville et lieu désigné pour l’exécution. C’est là, en 1861, qu’est mort Panceline qui avait souillé et tué un enfant — comme [bWelker[/b]. C’est là qu’avait été fusillé, deux ans auparavant, le condamné militaire Jodon. C’est là que devait mourir le berger Louchard.
Cette fois on était certain qu’il n’y avait pas d’erreur possible. M. Roch était arrivé à six heures et s’était rendu à l’hôtel du Grand Cerf, son dîner l’attendait. Il avait eu une entrevu avec le commissaire central, M. Legout, qui lui avait annoncé que le traditionnel panier d’osier ne remplirait pas cette fois son office, attendu que l’administration avait fait les frais d’une bière. On savait que M. Roch avait résisté, objectant la difficulté de faite tomber juste le corps, de la bascule dans cette bière étroite et basse ; faisant remarquer l’horreur que pourrait causer une fausse manoeuvre, si le tronc sanglant roulait à terre aux yeux de tous. On ajoutait qu’il n’avait cédé que devant un ordre formel.
On savait tout cela et la curiosité en avait redoublé. Non seulement Evreux, mais des environs, de cinq à six lieues à la ronde, les paysans étaient accourus et se disposaient à passer la nuit sur la place de Bel-Esbat. Louchard, lui, était bien calme. Avec son intelligence épaisse et bornée, il était resté dans son idée fixe que, n’ayant pas avoué, il ne pouvait être mis à mort. Imbu, comme beaucoup de gens, du préjugé que l’exécution de l’arrêt doit être accomplie dans les quarante jours, il avait compté les journées une à une, et, le 9 mars au soir, il avait eu un grand soupir de soulagement - Je suis sauvé, s’était-il dit ; maintenant, je ne puis plus être guillotiné !… Bien mieux, on va me gracier, me gracier complètement, me remettre en liberté… Que j’ai bien fait de nier toujours !… Et avec cette pensée consolante, son appétit, déjà formidable, avait redoublé. Il avalait à son repas jusqu’à six gamelles de soupe, la pitance de deux ou trois prisonniers; et comme cela ne lui suffisait pas encore, avec l’argent que lui avait donné sa famille, il achetait des supplément à la cantine. Sa voracité stupéfiait tout le monde dans la prison.
A trois heures du matin, M. Roch, son gendre M. Berger, et deux autres aides, partirent avec leur fourgon pour Bel-Esbat. Arrivés là, ils se mirent en devoir de dresser la machine d’une foule ana cesse grossissante, que des piquets d’infanterie avait peine à contenir, et qui attendait avec impatience le moment de l’expiation. On se montrait de loin la funèbre machine et, à coté, la bière — une boîte formée par six feuillards de peuplier, à peine dégrossis — qui qui avait causé le débat. Nous disons de loin, car le cercle avait été fait immense, et des ordres avaient été donnés pour que personne ne pût le franchir. Les représentants de huit grands journaux parisiens, venus tout exprès à Evreux, ont rencontré eux-mêmes de très grandes difficultés auprès de M.le procureur de la République Lelu, qui donnait les consignes, et ne voulait faire - contrairement à l’usage - d’exeption pour personne.
A cinq heures, le fourgon part pour la prison, distante de six-cent mètres environ. On avertit Louchard. C’est inutile. - Je le savais, dit-il. En effet, il avait passé une épouvantable nuit, et à plusieurs reprises M. le docteur Buisson, appelé pour le soigner, avait craint une congestion cérébrale. Comment avait-il été prévenu ? nous l’ignorons. Nous ne voulons reproduire que pour mémorielle bruit d’après lequel M. le procureur de la République, lui-même, serait allé le voir, dimanche soir, pour le préparer à l’idée de la mort. Cette révélation aurait causé une épouvantable commotion au malheureux, qui croyait en sa prochaine mise en liberté, et un quart d’heure auparavant parlait à son gardien de ses projets d’avenir et du plaisir qu’il aurait à revoir ses moutons et son chien. Nous le répétons, nous ne mentionnons cela que pour mémoire, n’osant croire à la réalité de cette aggravation de peine non prévue par la loi.
Quoiqu’il en soit, Louchard savait qu’il allait mourir, et ce fut les traits convulsés qu’il écouta les confessions de son confesseur, M. l’abbé Douin, vicaire de Saint-Thorin, aumônier de la prison. On offre du café, de l’eau-de-vie ; il refuse, et ne prend qu’un peu d’eau sucrée. On le livre à M. Roch qui le ligotte, et on le revêt de l’appareil des suppliciés. Le fourgon se met en marche, s’arrête à cent mètres de l’échafaud…. Les portes du fourgon se sont ouvertes pour livrer passage au parricide, nous nous attendions à voir un spectacle imposants et terribles qui frappe l’imagination, et dont les tableaux et les récits d’autrefois nous donnent une idée…
Nous avons vu apparaître un fantoche sinistrement grotesque et qui, n’eût été l’angoisse du moment, eût soulevé un universel éclat de rire. Gros, court, ventru, avec une tête énorme enfoncé dans so échine large, Louchard était vêtu d’un pantalon de velours-coton noir et d’un gilet pareil, sur lequel s’étalait une belle blouse bleue, lustrée, toute neuve. Sur ses épaules, une espèce de chemisette bien repassée, s’arrondissait comme un petit collet d’abbé ; sur sa tête un chiffon de crêpe noir, cachait au deux tiers sa sa face imberbe, comme eût fait la garniture d’un masque de domino. On imagine rien d’écoeurant comme ce grandiose appareil de la vindicte humaine et divine, transformé en carnaval de la guillotine !…
Cette impression ne fait que passer. La réflexion nous ramène à la situation poignante du moment. Louchard s’avance, traînant péniblement ses pieds nus sur la terre humide et glaciale. Deux aident le soutiennent par le bras. L’abbé Douin lui monte le crucifix et essaie, selon l’usage, de lui cacher le plus longtemps possible la vue du couperet… Ce n’est pas le couperet qu’i regarde en arrivant, c’est la bière.
Pendant qu’on lui retire son voile, sa chemisette, sa blouse et son gilet, un huissier — en paletot, cravate de couleur et chapeau rond, — lit l’arrêt : En exécution du jugement rendu par la Cour d’assises de l’Eure le 2 janvier 1878… Louchard regarde toujours la bière, il n’écoute pas, il ne regarde que cette bière qui l’attend béante et qui le fascine. Au moment où l’huissier prononce ces mots : A la peine de mort , M. Roch empoigne le condamné et le plaque sur la planche qui bascule…là, un temps d’arrêt. Le patient a le cou si court qu’on ne trouve pas d’intervalle entre la tête et les épaules pour rabattre la lunette. Enfin, le couperet tombe, la têtes tranchée, et le tronc est jeté dans la bière.
Alors se passe un fait hideux : dans le mouvement de bascule, le patient a été un peu courbé en avant. Il a gardé cette posture ;le corps est tombé dans la bière presque assis, de sorte que l’énorme plaie béante émerge au dehors, lançant à plus de 1 pied de hauteur quatre jets de sang qui retombent en cascade fumante…; c’est terrifiant !… M. Roch et ses aides se précipitent. On couche, on arrange, on tasse le cadavre dans la bière, où il faut faire place pour la tête qu’on vient de sortir du grand seau. Ça y est enfin. n pose le couvercle, on le cloue, on pose le tout sur une petite charrette peinte en bleu d’azur et attelée d’un cheval blanc, qui part allègrement pour le cimetière.
Il est six heures douze minutes. Enfin, c’est fini…Pour beaucoup des assistants , même les plus éloignés, il était temps. Louchard n’avait que vingt-sept ans Coïncidence étrange : c’est le 16 mars 1877 qu’il a commis son crime, c’est le 18 mars 1878 qu’il l’a expié. A deux jours près de l’anniversaire !
Fin de la transcription.
- Louchard avait à parcourir une centaine de mètres pour parvenir à la guillotine (distance imposée par la loi aux parricides). - Les aides pour l’exécution : Deibler, Gagne, Berger. - Le frères de la Charité accompagnèrent le corps au cimetière. - D’après les journaux de l’époque près de de 3000 personnes assistèrent à l’exécution. Ce qui semble une estimation raisonnable (les chiffres cités lors de certaines exécutions sont manifestement exagérés) dans une ville telle qu’Evreux et vu l’importante superficie du lieu d’exécution.
Aujourd’hui site d'installations sportives L’ affaire Louchard est relatée dans le magazine Le Point (mars 2020) : ICI | |
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guillaumet Bourreau de village
Nombre de messages : 50 Age : 73 Date d'inscription : 31/03/2015
| Sujet: Re: Modeste LOUCHARD, parricide, 1877, exécuté à Evreux Mer 17 Aoû 2022 - 14:51 | |
| En Belgique à cette époque on était moins regardant : Extrait du livre « La guillotine et les exécuteurs en Belgique 1796 1996– l’exemple des GUILLAUMEZ Messieurs de Mons et de quelques collègues ».
Les récits d’exécutions qu’on trouve dans les archives ou les journaux de l’époque sont incroyables pour nous gens du XXIe siècle : le courrier de l’Escaut, dans son édition du samedi 10 mai 1856 relatant l’exécution à Anvers du nommé KHOL Frans signale : « Jusqu’ici la planchette sur laquelle le corps du supplicié est attaché basculait et se relevait immédiatement après la décapitation, et montrait ainsi à la foule avant de s’abîmer sous l’échafaud le corps décapité d’où jaillissait le sang. Aujourd’hui, aussitôt la tête tranchée, la planchette a glissé en avant et s’est abîmée, sans se relever dans le même panier que la tête. C’est une horreur de moins … ». C’est le moins que l’on puisse dire.
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