La Veuve
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 Tom Nakel (Nouméa 1939)

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smic77230
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MessageSujet: Tom Nakel (Nouméa 1939)   Tom Nakel (Nouméa 1939) EmptyMar 23 Aoû 2022 - 11:43

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Dernière édition par smic77230 le Mar 23 Aoû 2022 - 17:45, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Tom Nakel (Nouméa 1939)   Tom Nakel (Nouméa 1939) EmptyMar 23 Aoû 2022 - 16:18


Tom Makel a-il été exécuté ? Ni le Palmarès de Sylvain, ni les exécutions en Nouvelle-Calédonie de Mme  Michelle Dubois de Greslan, n'en font mention !
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smic77230
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MessageSujet: Re: Tom Nakel (Nouméa 1939)   Tom Nakel (Nouméa 1939) EmptyMar 23 Aoû 2022 - 16:23

Excellente question : j'avoue avoir très succintement cherché, sans résultat. Compte tenu de la nature du crime, c'est fort probable.
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MessageSujet: Re: Tom Nakel (Nouméa 1939)   Tom Nakel (Nouméa 1939) EmptyMar 23 Aoû 2022 - 17:30

Il s'est peut-ëtre tué avant ou mort naturelle ?
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smic77230
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MessageSujet: Re: Tom Nakel (Nouméa 1939)   Tom Nakel (Nouméa 1939) EmptyMar 23 Aoû 2022 - 17:43

mercattore a écrit:
Il s'est peut-ëtre tué avant ou mort naturelle ?

Qui sait ?
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Nemo
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MessageSujet: Françoise la survivante   Tom Nakel (Nouméa 1939) EmptyMer 24 Aoû 2022 - 4:52

Vous m'avez donné envie d'écrire, cette nuit... J'ai donc fait ce récit inédit à partir des éléments glanés sur le Net. Je suppose qu'il y a des erreurs.
J'ai appris, tout en le rédigeant, l'existence d'un livre qui raconte cette affaire par le menu. Je m'arrangerai prochainement pour le consulter, histoire de voir si la réalité est vraiment si éloignée de mon récit. Je pense qu'une fois corrigé, je m'en servirai pour refaire une histoire de podcast...
En attendant...

Françoise, la survivante
Affaire Tom Nakel, La Foa
Cour d'assises de la Nouvelle-Calédonie, 30 décembre 1938

C’était un samedi banal que ce 13 août 1938, et à Méaré, un hameau de La Foa, à cent quinze kilomètres au nord de Nouméa, rien ne laisse augurer d’un drame.
C’est dans une propriété terrienne un peu en retrait de la route que vit la famille Ammann-Anger. Une « tribu » qu’on pourrait qualifier d’originale, suivant les mœurs de l’époque…

A la tête, le patriarche, Charles Louis Ammann, approche gaillardement de son soixante-dixième anniversaire. Mais comment ce Jurassien (il est né le 21 mars 1869 à Saint-Claude) s’est-il retrouvé en pleine campagne calédonienne ? Tout simplement en raison de sa profession : jusqu’en 1911, il était gendarme.

Dernier d’une fratrie de quatre, orphelin d’un père marchand de vins à quatre ans, Charles a été conquis par l’esprit militaire : à vingt ans, alors qu’il était employé de commerce, il s’est engagé volontairement pour trois ans, et a intégré le 26e régiment de dragons de Lure. En dix mois à peine, il a été promu brigadier, et n’a jamais failli à sa tâche. Rendu à la vie civile, il a vite eu envie de retrouver la vie de soldat, et en mai 1894, il réintègre la Grande Muette, cette fois pour cinq ans, au sein du 2e Régiment d’Artillerie de Marine de Toulon. Quelques mois plus tard, en novembre, pour la première fois de sa vie, il quitte la métropole, et découvre le climat rude du Soudan, alors en pleine guerre coloniale, où l’armée se bat contre les Anglais – qui détiennent déjà l’Egypte voisine – et les autochtones décidés – ce qui se comprend – à ne pas se laisser déposséder de leurs terres. Il y reste jusqu’au 14 octobre 1895, puis y retourne pendant près de deux ans, d’octobre 1896 à août 1898 : son sérieux sur le terrain lui vaut d’être récompensé par la Médaille Coloniale, avec agrafe Sénégal et Soudan. Quand son contrat prend fin, cette fois, il ne laisse pas trois mois s’écouler avant d’entrer dans un nouveau corps : le voilà, au mois d’août 1899, gendarme à cheval à la Compagnie de la Seine, caserné à Versailles… Mais est-il au fond vraiment à sa place, maintenant qu’il a connu les champs de bataille bien loin de la France ? Tout fait penser qu’il a pris le goût de l’exotisme, puisqu’en décembre 1900, il répond présent pour postuler comme gendarme à cheval à l’autre bout du monde, en Nouvelle-Calédonie…

A l’époque, la Grande Terre est encore fraîche de son passé pénitentiaire : le bagne de l’île Nou n’accueille plus de nouveaux arrivants depuis 1897, mais demeure une prison pour criminels endurcis. Au total, plus de 8.000 « colons  pénaux sont encore présents à l’aube du XXe siècle, et la présence d’une force militaire de police paraît indispensable aux yeux des bonnes gens qui craignent par-dessus-tout les récidivistes. Militaire efficace, célibataire, sans enfants, Charles est de ces hommes qu’on recrute volontiers, et en l’absence de toute famille compliquant les déménagements, il fait partie des soldats qu’on déplace aisément… C’est ainsi qu’en 1904, il fait partie des forces de l’ordre gérant la sécurité du village de La Foa et de ses environs.

C’est à cette occasion qu’il fait la connaissance de Françoise Roger.

Peut-on imaginer rencontre plus improbable ? Non pas sur les circonstances elles-mêmes : Françoise est coiffeuse, et Charles doit donc régulièrement passer sous ses ciseaux pour garder la longueur de cheveux réglementaires… Et comme elle est belle, autant dire que la visite n’a rien d’une corvée.

A la différence de Charles qui est ce qu’on appellera des années plus tard un « z’oreille », selon le mot réunionnais pour désigner un Français ayant du mal à comprendre le langage créole, Françoise, elle, est une native de La Foa – on n’emploie pas encore le terme de « caldoche ». Et si les parents de Charles étaient de modestes mais honnêtes taverniers, ceux de Françoise… le fait même qu’elle soit arrivée à l’âge adulte relève de l’exploit, quand on connaît les antécédents maternels !

Le 10 juillet 1868, Rosalie Célina Briard fait son entrée dans le prétoire des assises des Ardennes, à Mézières. C’est l’issue alors d’une longue instruction, née de deux procédures distinctes. A quelques jours de son vingt-deuxième anniversaire, Célina reçoit un portrait des chroniqueurs un peu plus flatteur que la moyenne : « Elle est assez belle femme et a une physionomie intelligente. » Intelligente, certes, mais pas spécialement farouche. A Vireux-Wallerand, cette fille de cabaretier/maréchal-ferrant a la réputation d’être prodigue de ses charmes… et nous sommes à une époque où, plus encore qu’aujourd’hui, goûter au paradis terrestre s’accompagne souvent de conséquences fâcheuses… majoritairement fâcheuses pour la femme, bien sûr.  

C’est ainsi qu’en février 1868, la justice a été alertée par quelque courageux délateur : la fille Briard, qu’on avait vu grosse à la Noël, ne l’était subitement plus, mais nul n’a vu ni entendu l’enfant… La justice prend alors très au sérieux l’infanticide : c’est encore un crime capital – la dernière femme condamnée à mort pour ce fait le sera en 1901 -, même si les chefs de l’Etat gracient toujours les mères fautives depuis près d’une quarantaine d’années. On ordonne à Célina de subir un examen, qui confirme un accouchement récent, estimé au 4 février, et qui lui vaut de passer au tribunal correctionnel de Rocroi pour suppression d’enfant – faute de corps, on peut penser que le bébé est mort-né, ou du moins, rien n’existe pour prouver le contraire. Au passage, on la juge aussi pour homicide par imprudence : le 5 août 1866, elle a déjà donné naissance à un enfant qui n’a vécu que seize jours, et dont on a dit qu’il était mort de faim !  Le tribunal de police rend donc son verdict : cinq mois de prison. Mais la sentence fait l’objet d’un appel, et pendant que la cour impériale de Metz étudie l’affaire, le procureur de Rocroi est informé d’une découverte gravissime, le 31 mars : le corps du nouveau-né disparu ! C’est la grand-mère qui l’a trouvé, caché derrière un mur de bois dans le grenier. L’odeur était devenue si dérangeante qu’Augustine Briard était allée inspecter l’endroit : devant le cadavre de son petit-enfant, bien qu’horrifiée, la femme avisa Alexandre, son mari, et c’est ensemble que les époux étaient allés dissimuler une seconde fois les restes, cette fois sous une épaisse couche de crasse de fer à côté de la forge paternelle… Un complot qui aurait dû rester secret… l’un des conjurés fut trop bavard. L’examen du bébé défunt prouva qu’il était né viable, mais que son crâne portait la trace d’une fracture nette qui avait provoqué sa mort dans les instants suivant la naissance. Célina s’enferre dans des dénégations, changeant plusieurs fois de version, avant d’affirmer qu’ayant caché le bébé derrière des socs de charrue pour ne pas que ses parents le voient, elle avait, en voulant le soulever, malencontreusement fait tomber un soc de métal sur le crâne du petit… Comme elle varie, là aussi, sur le délai de survie du bébé (soit mort sur le coup, soit au bout de deux jours), les médecins, eux, sont formels : cette histoire de soc est une affabulation ! A la lumière de ces derniers rebondissements, la cour impériale décide de sévir, et renvoie la mère menteuse sous une double inculpation : infanticide pour l’affaire de 1866, suppression d’enfant pour celle de 1868.

Au procès, Célina proteste : la mort de Joseph Auguste, son premier fils, n’est pas de son fait. Il est né atteint d’une maladie qui l’empêchait de prendre toute nourriture ! Mme Ernould, chez qui l’accouchement avait lieu, dément les propos maternels : l’enfant est venu au monde en pleine forme, mais Célina a refusé de l’allaiter, lui faisant boire au mieux quelques gouttes d’eau sucrée… Après six jours, le bébé était déjà faible, mais ce n’est qu’après seize jours de ce régime que la mère a décidé de le faire mettre en nourrice chez une dame Picheux, dans le village voisin de Vireux-Molhain : le mal était déjà fait, et le bébé mourut dans les heures suivant son arrivée… Joséphine Ernould, fille de la précédente, se rappelle avoir été prise d’horreur devant cet enfant moribond, blanc comme neige, à la peau glacée, qui agonisait de famine tandis que sa mère, assise près de la fenêtre, chantonnait paisiblement… L’indignation publique grandit encore quand le docteur Simmont raconte qu’en 1866, il a eu à examiner le cadavre du bébé, à la demande de la gendarmerie locale… Celui-ci était squelettique, mais ce n’était pas alors rare de voir des petits dépérir aussi vite… et comme il n’avait aucune trace de violence, l’autopsie n’était alors pas de rigueur.

Le procureur impérial Decous, dans un réquisitoire sévère, demanda malgré tout les circonstances atténuantes pour l’accusée, afin de lui épargner la peine capitale. Me Lacaille, avocat, en profita pour réclamer l’acquittement pour les chefs d’accusation d’infanticide, et les circonstances atténuantes, là aussi, en ce qui concernait la suppression d’enfant…  Célina pourra souffler : son défenseur a été efficace et le jury l’a suivi en tous points. C’est un verdict en demi-teinte qui vint punir la jeune femme : cinq ans de prison et cinq ans de surveillance. Sans doute l’absence de condamnations préalables fut elle, elle aussi, prise en compte dans la décision.

Clémence temporaire : à peine quatre ans après avoir libérée de prison, le 2 mai 1877, la fille Briard faisait son retour dans le même prétoire. On l’aurait espérée repentante, discrète… mais elle est toujours aussi vivante et belle, et bien décidée à ne pas se laisser encombrer au quotidien par des enfants non désirés. Le 1er mai 1874, elle accouche d’un troisième fils, Auguste Alexandre, qui décède dix mois plus tard. Y’aura-t-il un autre bébé défunt avant son arrestation ? Peut-être , au vu du délai entre le décès d’Auguste et le procès de sa mère… Cette fois, les jurés ne vont pas lui faire de cadeaux. Sans aller jusqu’à la mort, ils optent pour la perpétuité.
Vingt ans plus tard, Célina serait restée en France aurait purgé sa peine dans une maison centrale, Rennes, Haguenau ou Montpellier… Mais elle sera bel et bien envoyée aux antipodes, comme les hommes, au cours du second semestre, à bord du navire « Le Bordeaux », qui parvient à Nouméa le 11 décembre 1878. On considère toutefois l’exil à l’autre bout de la Terre comme étant partie intégrante de la punition, et on autorise – voire encourage – les forçats à retrouver une vie « décente » en travaillant la terre et en fondant une famille.

C’est ce que fera Célina, le 24 juillet 1880 à Bourail, en épousant le matricule 8249, de son vrai nom Ernest Cyprien Roger.

Bien qu’ayant deux ans de moins qu’elle, Ernest a précédé sa femme au bagne de près de trois ans, puisque débarqué de « La Loire » le 1er mars 1876. Tout comme elle, il a été condamné aux travaux forcés à perpétuité. Ce natif du Pas-de-Calais était ce qu’on pouvait qualifier de mauvais soldat : le 13 janvier 1873, un refus d’obéissance lui avait valu deux ans de prison ; le 28 décembre 1874, pour voies de faits et outrages envers son supérieur, il prenait cinq ans de prison supplémentaires…  Son dernier fait sera le plus grave : auteur d’un vol et d’un incendie volontaire, sa comparution à la veille de Noël 1875 devant le 2e Conseil de guerre de Constantine lui vaut la prison à vie, précédée d’une dégradation publique qui a lieu le 31 décembre.

Au bagne, il a appris le métier d’effilocheur, et n’a plus fait parler de lui, ce qui lui a permis d’obtenir une commutation de peine en vingt ans de travaux forcés, le 28 septembre 1879. En outre, à compter du 23 avril de la même année, il a bénéficié d’une concession (à Fonwhary ou à Thia, les deux lieux sont mentionnés) près de La Foa. Il est donc « rentré dans le rang », suffisamment pour qu’on accepte qu’il prenne femme. L’histoire ne dit pas comment il rencontra Célina, si ce fut comme pour tant d’autres un mariage de convenance ou bien s’il existait une attirance entre eux… Chacun est libre de laisser travailler son imagination. Rien de romantique cependant pour le mariage : ce matin-là, à sept heures, à la mairie, on célèbre huit unions autorisées par le Gouverneur. Celle des nouveaux époux Roger sera l’avant-dernière de la journée.

Quelques mois plus tard, Célina tombe enceinte, et le 23 juin 1881, à Moindou, donne naissance à une fille, baptisée Firmine Augustine. Un an plus tard, le 19 octobre 1882, une nouvelle fille arrive, Françoise Clémence… Elle sera la dernière.

Le 14 août 1883, la petite Augustine disparaît du domicile parental de Thia, et n’est retrouvée que deux mois plus tard, la veille du premier anniversaire de sa sœur… La justice n’aura pas trop de mal à comprendre que les vieux démons de Célina ne l’ont pas quittée ; pourtant, cette fois, on peut difficilement parler de crime délibéré commis par malice. C’est un meurtre de dément : Célina a tué sa fille au cours d’une crise de folie, en la jetant et la cognant contre les arbres des environs. Inculpée pour meurtre, le 15 janvier 1884, le conseil de guerre la condamne pour la seconde fois de sa vie aux travaux forcés à perpétuité. Cette peine s’accompagne de la déchéance maternelle envers son unique enfant survivant. Sans doute Françoise resta-t-elle quelques mois avec son père, mais la notion de père célibataire n’entrait pas dans les mœurs de l’époque, et en 1885, la fillette est confiée à l’orphelinat de Nouméa.  Revit-elle Ernest ? Rien n’est moins sûr. On sait de lui qu’il est dépossédé de sa concession le 5 août 1887, sans précisions sur la raison, qu’il bénéficie deux ans de remise de peine en 1889, et qu’il meurt finalement le 15 septembre 1895 à Bourail…

1899. Françoise a bien grandi, elle a désormais dix-sept et tient de sa mère sur le plan joliesse. Cette année-là, elle fait la connaissance de Léon Wackenthaler. Comme sa mère, comme son père, c’est lui aussi un repris de justice, mais pas un dangereux personnage : journalier sans domicile fixe, cet Alsacien est passé six fois devant le tribunal correctionnel de Paris pour escroquerie, vagabondage, abus de confiance et filouterie, purgeant des peines allant de six jours à six mois de prison, avant de trouver plus simple de s’emparer du bien d’autrui, et le 2 octobre 1882, les jurés de la Seine l’ont expédié au bagne pour sept ans. Il a bien eu maille à partir avec la justice locale, ayant tenté deux fois de s’évader, ce qui lui a valu deux condamnations à cinq ans supplémentaires par le conseil de guerre, mais les peines ont été confondues. Devenu concessionnaire, le petit bonhomme aux yeux bleus et au bras droit tatoué des initiales B.B. et d’un cœur percé est donc un homme libre depuis quelques années déjà quand sa route croise celle de la petite Françoise. Il a le double de son âge, et même plus (il a 38 ans), mais les choses sont ainsi, et puis, après tout, un mariage, cela signifie quitter les murailles de l’orphelinat ! Le 11 octobre de cette même année, ils se marient à Bourail. Détail obligatoire, mais effrayant tout de même : la mariée étant mineure, la présence de ses parents est requise… en l’occurrence, Célina…

Mais Françoise n’a pas heureusement hérité de ces gênes infanticides. Trois bébés naissent : Léonie en 1900, Antoine en 1901 et Ernest en 1903, qui sont choyés par leur mère et mèneront tous des vies durables (l’aînée, Léonie, se mariera avec un sieur Avril – leur fils Georges deviendra maire de la commune de Pouembout de 1970 à 1989, succédant à… son oncle Ernest !). Une famille unie, un couple qui gère un salon de coiffure/perruquerie prospère… mais le 30 décembre 1903, par une chaude journée d’été austral, Léon va se baigner dans la rivière et sombre, foudroyé par une congestion pulmonaire.

Voilà Françoise veuve à 21 ans, avec trois enfants à charge. Pas question de baisser les bras : c’est une survivante ! Elle quitte Bourail pour La Foa ; désormais coiffeuse aguerrie, elle poursuit le travail de feu son époux, et commence à se faire une clientèle régulière, certains venant, il est vrai, avec l’idée derrière la tête de consoler la jolie jeune veuve de son deuil… Mais elle n’est pas femme à se donner à n’importe qui, et au final, c’est l’allure martiale de Charles Ammann qui vaincra ses réticences. Le printemps 1905 coïncide avec la saison des amours, et Françoise s’arrondit au fil des mois, pour donner naissance le 21 janvier 1906 à un petit Louis François, puis, en guise de poisson d’avril l’année suivante, à Marguerite Clémentine.

Charles, il faut le préciser, ne demanderait rien de mieux que de régulariser leur situation et de légitimer les deux petits. Mais en l’état, ça lui est strictement impossible : qu’un gendarme fricote avec une fille et veuve de forçats, passe encore… qu’il la loge, avec ses enfants, sur la propriété de Méaré dont il vient de faire l’acquisition, admettons… mais qu’il l’épouse ? Il doit, pour cela, quitter l’armée, ou du moins attendre l’heure de la démobilisation : celle-ci survient en 1911. Redevenu simple pékin, Charles peut enfin passer la bague au doigt de sa bien-aimée le 13 mai.

Si on omet la fin de Célina, morte en 1918, non sans être repassée un temps en prison, en 1909, pour recel, s’ensuivent vingt-cinq années paisibles… A tour de rôle, les enfants grandissent, se marient, deviennent parents à leur tour. En 1929, Louis épouse Adèle ; l’année suivante, le 9 août 1930, c’est Marguerite qui convole avec Louis Anger, un ramasseur de coprah de deux ans son aîné. Mais pour le jeune couple, pas question de partir bien loin : au contraire, ils restent à vivre auprès de Charles et de Françoise.

C’est ainsi qu’en 1938, Françoise est l’heureuse grand-mère d’une bonne dizaine de petits, dont quatre qu’elle voit quotidiennement grandir. Il y a Juliette, six ans, Marie-Thérèse, 4 ans, Alcide, 2 ans, et le petit dernier, P., qui voit le jour en juin cette année-là.

Samedi 13 août. C’est une journée tranquille… La matinée est moyennement chaude – nous sommes en hiver – et la propriété Ammann est pleine de vie, comme à l’accoutumée. Le seul absent, c’est Louis Anger, parti juste après la naissance de son dernier fils pour le travail aux Nouvelles-Hébrides et qui doit rentrer incessamment. Comme ses bras manquent sur la propriété, on a eu recours à une embauche temporaire. L’ouvrier agricole recruté, justement, vient des Nouvelles-Hébrides : il s’appelle Tom Nakel. Il a une petite vingtaine d’années, et c’est un gaillard d’1m75. Bon, il ne parle que le bichlamar, ce créole anglophone du Pacifique, mais les Ammann-Anger maîtrisent suffisamment la langue pour se faire comprendre… encore que…

Ce matin-là, vers 10h30, Françoise prend l’ouvrier à partie. Il est alors en train d’ouvrir des huîtres pour le déjeuner, installé sous la véranda arrière de la propriété. En soi, rien de bien alarmant… mais il conserve à la ceinture une hachette, à la lame non protégée, et comme les petits s’amusent à courir dans la maison, son cœur de grand-mère imagine aussitôt l’accident stupide en frôlant le tranchant… Elle fait donc la remarque à Tom, mais celui-ci ne répond pas, haussant les épaules. Avec humeur, Françoise lui enlève d’autorité l’arme et la pose sur la table. Là, les risques sont moindres…

Mais pendant qu’elle s’éloigne, avec l’espoir de voir revenir vite son gendre pour faire partir cet ouvrier qui, depuis quelques jours, a adopté un comportement trop peu servile, elle ne le voit pas qui la fusille du regard avant de reprendre, l’air de rien, son travail minutieux sur les huîtres.

Il est 11h30 quand la famille s’attable pour le déjeuner. Seul manquant à l’appel : Tom. Les époux Ammann l’appellent, et le voient arriver après quelques minutes, le visage humide. L’ouvrier est parti se raser : Charles lui en fait brièvement reproche, comme le militaire qu’il n’a jamais cessé d’être. Oui, être présentable, c’est important, mais l’heure… c’est l’heure. On passe vite outre. Les Ammann se régalent de coquillages, mais Tom lui, reste devant son assiette sans la toucher. Un bref échange de regards entre les vieux époux… Qu’est-ce qu’il lui passe par la tête, ce matin-là ?

S’ils savaient…

Quelques minutes après le début de cette scène, un habitant de Méaré, Naramsamy Carpin, entend des hurlements atroces provenir de la propriété Ammann. Interloqué, il s’approche de l’allée et voit alors surgir une silhouette terrifiante : c’est la matriarche, Françoise ! Elle pleure d’épouvante, hurle de douleur, supplie qu’on vienne en aide à sa famille, les vêtements couverts de sang, le bras gauche inerte le long du corps, presque tranché ! Elle parvient à dire que c’est « leur indigène » qui a tué tout le monde, tandis qu’arrivent d’autres voisins, MM. Dubain, Cardot et Buret, alertés par le tapage… Le groupe s’avance et découvrent avec une horreur croissante l’ampleur du carnage.

Déjà, sous la véranda, Charles Ammann agonise, la tête largement fendue. Mais à l’intérieur, dans la salle à manger, c’est pire encore. Toute la famille gît autour de la table du déjeuner. Meubles, murs, sol, tout est rouge de sang. Assise à sa place, Juliette, l’aînée des enfants. Le côté de son visage est une plaie béante. Elle est pour ainsi dire décapitée : seul un lambeau de chair empêche la tête de tomber, qui repose curieusement penchée sur l’épaule… Accroupie par terre, appuyée le dos contre le pied de la table, aux pieds de Juliette, Marguerite est méconnaissable : un coup l’a atteinte en pleine face, la mâchoire est quasiment détachée du crâne… mais elle vit encore, les yeux roulant de douleur, crachant du sang à chaque respiration. Sous la table, Marie-Thérèse a été atteinte à la nuque : à demi-décalotté, le cerveau est apparent sous la boîte crânienne en partie découpée… Enfin, sur le pas de la porte, il y a le petit Alcide, lui aussi défiguré atrocement… Si le grand-père, Juliette et Alcide ont déjà rendu l’âme, Marie-Thérèse survit quelques minutes…

On s’aventure alors dans une pièce voisine, où se trouve un berceau… On s’attend déjà à une dernière image ignoble… mais non. Le bébé dort profondément, parfaitement inconscient de la tragédie qui s’est passée à trois mètres de lui…

Enfin une camionnette arrive pour prendre en charge les deux blessées : Nouméa est si loin… En chemin, au niveau du col de la Pirogue, le véhicule roulant à tombeau ouvert échappe de justesse à un grave accident en manquant tomber dans le ravin…

Pendant qu’on lui prodiguait des soins de fortune, Françoise a raconté la scène.

Tout a commencé avec Alcide qui, dans un petit mouvement d’humeur, venait de quitter la table et de s’arrêter sur le pas de la porte. Dans un mouvement inattendu de violence, Tom s’était alors jeté en arrière, précipité dans l’angle de la pièce pour y prendre la hachette, que personne n’avait remarquée posée là… Deux coups dans le visage du petit garçon… Puis Tom se rue sur les autres, frappant Marie-Thérèse à l’arrière de la tête, touchant Marguerite en pleine face, tranchant le cou de Juliette, puis portant deux énormes coups à Charles qui, s’étant redressé, se dirige vers la véranda avant de s’y effondrer.

Ne reste alors plus que Françoise. Et sa pensée va directement pour le bébé endormi. Pas question qu’il s’en prenne à l’innocent ! Elle se dresse sur le passage du forcené, les bras écartés… en le voyant soulever de nouveau la hachette au-dessus de sa tête, elle a le réflexe de défense, et pare le coup dirigé vers son front de ses bras. La lame s’enfonce dans son bras gauche, tranchant les chairs, brisant l’os… Elle s’effondre au sol, mais de nouveau, la pensée du petit-fils endormi la submerge : elle crie, elle se débat, elle porte de grands coups de pied à l’assassin, qui se défoule sur elle, l’atteignant à la tête, puis à la cuisse… Mais peut-être est-il épuisé par l’acharnement dont il a déjà fait preuve sur les cinq autres victimes… et sans un mot, sans un regard, il lâche son arme, se précipite hors de la pièce pour ne plus y revenir…  Le tout n’a pas pris deux minutes.

Alors Françoise se relève péniblement, le bras droit inutilisable, la souffrance physique surpassée par la douleur psychologique.

Et elle hurle de toutes ses forces.

En inspectant les lieux, on remarque vite que l’assassin est passé par sa chambre pour prendre son linge avant de foncer se cacher dans la brousse… Et pendant qu’on dépêche un nombre conséquent d’hommes – gendarmes de La Foa, de Canala et de Bourail, mais aussi vingt-cinq cavaliers indigènes de Canala, pour venir en aide aux hommes de la tribu de Couli et les habitants de La Foa, bien décidés à attraper le criminel, on voit arriver un homme tout pâle avec ses valises à l’entrée de la propriété, stupéfait d’y voir autant de monde… Louis Anger a débarqué le matin-même à Nouméa du « Commissaire Ramel », après une traversée mouvementée qui l’a laissé malade. Il ignore tout de la tragédie…

Le lendemain, à 10 heures, Marguerite Ammann, épouse Anger, meurt de ses blessures à l’hôpital de Nouméa.
L’après-midi même, au cimetière de La Foa, on enterre Charles Ammann et ses trois petits-enfants, en présence d’une foule immense, aussi recueillie et émue qu’indignée ; Marguerite les y rejoindra le lundi matin.

C’est le mercredi suivant, 17 août, vers une heure du matin, que Tom Nakel est retrouvé à cinquante kilomètres au sud de La Foa, à Tomo. Son arrestation ne se fera pas sans mal, et une fois mis à l’abri des gens qui envisagent nettement de le lyncher, Nakel reconnaît son crime, et se justifie ainsi : trop de travail, pas de vin, et en plus, il n’aurait pas été payé par les Ammann…

L’instruction se déroule rapidement, les preuves irréfutables s’adjoignant aux aveux complets et réitérés… Nakel n’est pas reconnu comme fou, mais il n’échappe à personne qu’il participera à la reconstitution sans manifester la moindre émotion, sans prononcer la moindre parole de regret.

Il comparaît devant la cour d’assises le 30 décembre 1938, la mine toujours aussi impassible. Rien ne l’atteint, pas même le témoignage de Françoise, à qui les médecins ont dû amputer le bras gauche, et qui est prise d’une syncope en se rappelant les circonstances de cet odieux 13 août… Pour cet homme sans pitié, les jurés n’en auront pas davantage, et prononceront la peine capitale.

Dans le dossier de recours en grâce, par un courrier du 18 janvier 1939, le président du tribunal supérieur d’appel précise que le crime a été commis à coups de hache, et préconise l’exécution.
« Son attitude au cours des débats criminels révèle une apathie et un cynisme déconcertants ; il retrace sans défaillance de mémoire, et avec précision, les phases de son horrible forfait. Aucune émotivité sur sa face lorsque Mme Vve AMANN, une de ses victimes, amputée du bras gauche à la suite de ses blessures, vient déposer à la barre et défaille au souvenir des heures tragiques…
Aucune tare physiologique de nature à expliquer ses réactions anti-sociales. TOM est entièrement responsable ont déclaré les deux médecins chargés de son examen au point de vue mental. C’est une « constitution perverse » pour reprendre l’expression du Dr. RICHARD, médecin psychiatre, un « primitif » dirigé à certains moments par ses instincts de brute sauvage, un être nuisible et dangereux.
»

Le 6 avril 1939, la Cour de cassation rendra son avis concernant le pourvoi de Nakel.  C’est, il fallait s’y attendre, un refus. Mais à Paris, on ignore encore que Nakel n’en a que faire : le 27 février précédent, le tueur de Méaré est décédé à la maison d’arrêt de Nouméa, accidentellement apparemment…

Le 5 février de la même année, le tribunal maritime spécial prononce une autre condamnation à mort, celle du coolie Matmoesin, évadé après une condamnation à perpétuité et ayant abattu un policier. Bénéficiant, lui, d’une cassation, il se verra voué à l’échafaud une seconde fois le 23 septembre. Sa grâce rejetée, il aura la tête tranchée dans l’enceinte du camp Est (ex-île Nou) le 10 mai 1940, à l’abri des regards de la foule. Aucun autre condamné ne sera supplicié après lui.
Il semble presque évident que, sans son décès prématuré, Tom Nakel aurait précédé Matmoesin de quelques mois sur l’échafaud, qui aurait sans doute été dressé aux portes  aux portes de la prison civile, sur le boulevard extérieur, et serait devenu le dernier guillotiné en public de Nouvelle-Calédonie, la dernière exécution y ayant eu lieu en 1934.

Françoise, l’héroïque grand-mère, survivra une fois de plus à ce destin… elle aura le chagrin de voir partir deux autres de ses enfants avant elle, en 1970, avant de finir ses jours à Nouméa, chez les petites sœurs des pauvres, le 23novembre 1976, à l’âge respectable de 94 ans.

Le bébé rescapé, lui, a grandi : il s’est marié, a eu à son tour quatre enfants. Il est devenu à son tour le patriarche de sa tribu, et, quatre-vingt-quatre ans après, il reste  le dernier témoin vivant – d’un certain point de vue – d’une des affaires criminelles les plus terribles de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie…

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- Mh... pourquoi en avoir fait un secret ? Ils peuvent comprendre, ils sont intelligents...
- Une personne, sûrement, mais en foule, on est cons, on panique comme une horde d'animaux, et tu le sais."

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MessageSujet: Re: Tom Nakel (Nouméa 1939)   Tom Nakel (Nouméa 1939) EmptyMer 24 Aoû 2022 - 15:37

J'avais trouvé ça hier :

https://fr.calameo.com/read/0008024720bf367ee8fe5

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MessageSujet: Re: Tom Nakel (Nouméa 1939)   Tom Nakel (Nouméa 1939) EmptyMer 24 Aoû 2022 - 15:44

Je m'en suis en partie servi pour rédiger cette histoire !

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MessageSujet: Re: Tom Nakel (Nouméa 1939)   Tom Nakel (Nouméa 1939) EmptyJeu 25 Aoû 2022 - 1:46

Remarquable premier jet de cette Françoise, la survivante.

Dans un style toujours aussi enlevé.

Documentation solide.

«Goûter au paradis terrestre», nouvelle expression cocasse pour dépeindre les rapports sentimentaux qu'entretiennent les personnages, après le «les amants ont croqué la pomme avant l’heure et la fiancée a avalé le pépin» de Desfourneaux, bourreau, ou sa sensuelle Jeannine Kergot «friande des caresses de cet expert en amour» qu’était Bernardy de Sigoyer, ou son «Félix Faure mort en pleine extase dans les bras de sa maîtresse Marguerite Steinheil».

Et finalement quelques fautes d'inattention ici et là, faciles à corriger à la relecture.
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MessageSujet: Re: Tom Nakel (Nouméa 1939)   Tom Nakel (Nouméa 1939) EmptyLun 29 Aoû 2022 - 11:36

Quel massacre ! Ce Nakel a fait très fort... Son exécution laissait présager qu'il était décédé.

« Histoire » très bien racontée.

Tom Nakel (Nouméa 1939) Nakel_11

Louis Charles Ammann, le patriarche

(Source Geneanet)




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