Aux seniors mal portants et crédules qu'il soupçonnait de cacher un bas de laine à domicile, après avoir su percer leur intimité, le faux médecin Isidore-Napoléon Thibert proposait au début des années 1840, à Rouen, un remède «universel» dont on avait le secret dans sa famille :
«Il les plaignait, raconte en 1861 Octave Féré dans
Les Mystères de Rouen, compatissait à leur douleur, et, mystérieusement, leur parlait d'un remède employé avec grand succès par un de ses parents. - Quelle était cette recette? - Oh! il ne pouvait la livrer ainsi; ce n'était qu'en secret, le soir, chez le malade même, qu'il se déciderait à l'essayer.
«Rendez-vous pris, il arrivait sans bruit, sans être vu, et demandait, d'abord, un fort clou et une brasse de corde grosse comme le petit doigt. Ces objets manquaient souvent; il ordonnait alors à sa victime de les acheter le lendemain, et quand il avait fait apporter par elle l'instrument du supplice, il plaçait le clou dans l'endroit le plus commode, faisait agenouiller le malade et marmottait des prières (...), puis il posait la corde sur la table, la roulait, y faisait un noeud coulant, et quand le vieillard, attentif à ses orémus, baissait les yeux vers la terre, il lui passait au cou son diabolique lacet, l'étranglait impitoyablement et suspendait le cadavre au clou. Cela fait, il visitait les coins de la chambre, les meubles, les armoires.
«Quand on s'apercevait de la strangulation du vieillard, on criait au suicide, on s'évertuait à en rechercher les causes, et on n'avait garde surtout d'en douter, car un marchand venait toujours affirmer qu'il lui avait vendu la corde.
«Les débats ont révélé onze assassinats de ce genre, commis ou tentés par celui que le peuple a surnommé le médecin à la corde; mais de combien ne doit-on pas supposer qu'il se rendit réellement coupable pendant trois ans environ qu'il exerça cette inexorable industrie?»
Assez souvent le «docteur» Thibert, habile à exploiter «la faiblesse de l'esprit humain dans ses derniers retranchements», interrompait ses prières pour mettre le feu à un bout de corde et en appliquer les cendres sur les parties souffrantes de ses handicapés, ou les leur faire boire dans un verre d'eau qu'il prétendait miraculeuse.
Arrêté le 15 novembre 1843 chez un sieur Marais de 81 ans moins naïf que ne l'avaient été avant lui les septuagénaires Boucher et Durand le 4 et le 21 octobre, il expia leur pendaison le 27 avril 1844, devant une foule considérable, sur la place Bonne-Nouvelle.
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Notice extraite du
200 ans de guillotine d'André Bertrand, disponible chez Amazon - ISBN 9798709790117 :