Exécution de
Jean Laprade, à Agen (Lot-et-Garonne), sur la place du Pin, le
19-05-1879.
Première exécution de Louis Deibler en tant qu'exécuteur en chef, succédant à Nicolas Roch, et première exécution pour l'année 1879 (qui en comptera 3).
La précédente exécution, et la dernière pour Nicolas Roch, s'était déroulée à
Alençon (Orne) sur
Mautin Aimé-Ernest, le
18-12-1878.
Jean Laprade avait été condamné pour un triple crime (mortel) de
parricide sur sa mère, son père, sa grand-mère.
On remarquera que la toilette du condamné s'effectue dans sa cellule et qu'il porte une camisole de force.
Transcription du compte-rendu de l'exécution de Laprade, 20ans, par le quotidien LA PRESSE .
— Nous recevons de notre correspondant particulier, et nous trouvons dans les journaux locaux des détails tellement épouvantables sur l'exécution de Laprade à Agen, qu'on a peine à y croire :
Quand l'exécuteur Deibler est entré dans la cellule de Laprade, celui-ci lui a dit vivement «
Ne m'approchez pas, ne me touchez pas. »
On apporte le tabouret sur lequel Laprade doit être assis pendant que l'on procédera aux détails de la toilette. M. Deibler et ses trois aides saisissent Laprade et veulent le faire asseoir mais comme il se débat, ils sortent de leurs poches des cordes et se mettent en mesure de l'attacher. «
Ne m'attachez pas, s'écrie Laprade,
je ne veux pas, je ne veux pas mourir , je suis innocent, je veux écrire, laissez-moi écrire. » Et il se débat de plus belle.
Laprade étant d'une force herculéenne, l'exécuteur er ses aides ne suffisent plus pour le maintenir, et quatre gardiens sont obligés de leur prêter main-forte. Une lutte s'engage entre ses huit hommes et Laprade, qui ne veut ni s'asseoir sur le tabouret ni se laisser attacher.
— «
Je suis innocent ! s'écrie-t-il,
je ne veux pas mourir.
—
Ne faites pas le méchant, lui dit un des aides,
toute résistance serait inutile : nous serons toujours maîtres de vous, et vous nous obligeriez à employer les grands moyens.—
Je ne veux pas mourir, laissez-moi, reprit Laprade. »
Alors, on le couche sur le dos et, avec toutes les peines du monde, on arrive à lui lier les jambes. Lorsque ce travail est terminé, on veut le faire asseoir sur un tabouret, mais Laprade oppose toujours une très grande résistance.
«
Je ne veux pas vous faire du mal dit alors un des aides.
Seulement, laissez-vous faire. »— «
Je vais souffir, hurle Laprade,
j'en ai assez de souffrances comme ça, je ne veux plus souffrir. » Et il se débat de nouveau.
A quoi cela vous avance-t-il de faire le méchant ? Nous serons bien maîtres de vous, fait observer M. Deibler, en donnant aussitôt l'ordre de le ficeler. »
— «
C'est terrible, dit Laprade,
que vous fassiez cela envers moi. Je ne veux faire de mal à personne. Laissez-moi libre. »
Et aux aides qui veulent le forcer à s'asseoir, il résiste à coups de pieds, car, s'il a les mains prises dans la camisole de force, ses jambes ont été mal serrées.
Les aides et les gardiens l'enlèvent de nouveau, l'allongent et lui serrent plus étroitement les pieds. Un gardien le prend par les cheveux et lui cogne horriblement la tête contre les dalles. Laprade beugle comme un veau, répétant :
«
Vous me faite mal, je suis innocent. »
Puis, il ajoute,vaincu :
«
Eh bien, je vais m'asseoir.
L'aide Bergé,
(1) prenant alors en main les ciseaux commence à couper le col de sa chemise.
«
Il est pénible, hasarde un gardien,
d'user de pareils moyens pour vous faire rester tranquille.
— «
C'est bien plus pénible pour moi que pour vous, lui réplique Laprade qui n'a pas perdu un seul instant sa lucidité d'esprit. «
Oui, ajoute-t-il,
c'est très pénible. » Et interpellant un des aides, il ajoute :
«
On dirait qu'il vous semble que ce n'est pas pénible ? Je voudrais bien vous voir à ma place! »
M. le directeur de la prison centrale ayant déclaré qu'il fallait enlever au condamné la camisole de force, l'exécuteur a répondu qu'il fournirait une déclaration attestant que le maintien de la camisole avait été indispensable.
L'arrêt indiquant que le condamné serait conduit en chemise au lieu du supplice, on lui a jeté sur les épaules un peignoir blanc et noué sur la tête un voile noir qui descend jusqu'aux genoux.
M. Deibler (c'est le nom du bourreau) lui demande s'il veut marcher ou s'il faut qu'on le porte. Laprade répondit :
«
je marcherai. »
Il se lève, on sort à sa suite. La sortie est lente, le condamné peut à peine faire des pas de 15 à 20 centimètres. Il arrive ainsi dans la cour où l'attend le fourgon qui a porté au Pin les bois de justice. On le fait monter dans le fourgon, les deux prêtres et les aides y montent avec lui. Les portes de la prison s'ouvrent toutes grandes, un piquet de gendarmes fait ouvrir la foule qui stationne devant la prison et le funèbre cortège se met en marche, au pas, par le Cours Plateforme, le Cours Trénac et le Cours du Pin. Tout le Trépied du Pin et les abords des rues sont occupés par une multitude innombrable. Autour de la guillotine la foule est tenue à distance par les soldats et les gendarmes qui sont là de planton depuis deux heures de la nuit.
Arrivé à vingt mètres de l'instrument du supplice, le fourgon s'arrête. On fait descendre le condamné qui, entre ses deux aumôniers, arrive au lieu d'exécution. On lui enlève son voile et le public peut constater que la figure du condamné porte des traces de contusions violentes.
Ces ecchymoses sont le résultat de la lutte qui a eu lieu à la prison et de la manoeuvre de celui des aides
(2) qui cognait la tête de Laprade sur les dalles.
Pendant que le condamné s'achemine vers le lieu du supplice, M. Delpuch lit l'arrêt de condamnation. M. Delpuch est le plus jeune des huissiers, et cette besogne incombe de droit au plus jeune.
Après avoir embrassé le Christ que lui présente M. L'abbé Faure
(3) , Laprade répète encore :
«
Je suis innocent. »
Les aides s'emparent de lui, le poussent contre la planche à bascule, la tête est déjà dans la lunette, mais Laprade tord le cou et le bourreau est obligé de le replacer d'applomb. Il presse le bouton, le couteau tombe.
Toute la guillotine est éclaboussée de sang. Les aides jettent le corps du supplicié dans la malle d'osier, l'un deux prend la tête du condamné dont les yeux s'ouvrent et se ferment rapidement, et la jette dans la malle à côté du tronc.
Le coup a porté haut, la tête est coupée à la base de l'occiput et des maxillaires.
La panière est chargée sur le fourgon qui se dirige vers le cimetière. En montant par l'allée centrale du cimetière, les chevaux glissent, ils ne peuvent pas aller plus haut. Les aides prennent la panière et l'emportent vers le coin réservé aux suppliciés.
Le fourgon revient au lieu du supplice, les bois de justice, lavés et démontés, sont emportés vers la gare et tout disparait… sauf une mare de sang que les spectateurs les plus proches viennent contempler.
M. Deibler, le nouvel exécuteur des arrêts criminels, est un homme de taille moyenne, boiteux, voûté, blond, d'une corpulence plutôt faible que forte. Il porte la barbe en fer à cheval.
Sur les trois aides, deux seulement sont hauts et vigoureux, le troisième est petit et grêle.
(1) Berger.
(2) Certaines sources mentionnent Emile Deibler comme l'auteur de cet acte. Il est plus probable que ce soit l'un des aides, l'exécuteur devant garder une certaine réserve, me semble-t-il ?
(3) Simple homonyme de l'abbé Faure qui assista les condamnés à mort à la "Grande Roquette ", de 1885 à 1891.
Toujours là, la place du Pin.
La vieille prison d'Agen. Elle sera désaffectée en 2012.