"Le crime de Pantin", un atroce massacre et meurtres d'enfants en série, commis en 1869, passionnera les foules de l'époque, même si l'affaire est oubliée de nos jours. Voici comment la revue "Crimes et châtiments" rapporte l’événement en 1960 :
« Cela commence le 20 septembre 1869, à sept heures du matin, dans la plaine de Pantin, près du fort d’Aubervilliers, au lieu-dit le Chemin vert. Pantin, à cette époque, c’était encore la campagne, et La Villette, un pays de maraîchers. Donc, au matin du 20 septembre, un cultivateur de La Villette, LANGLOIS, se rendant à ses potagers, aperçoit, au bord d’un champ de luzerne appartenant à la veuve Magnin, des traînées de sang et des fragments de cervelle. Au-delà de la luzerne, la terre est partout labourée, nette et unie, sauf en un endroit où elle s’exhausse en léger monticule.
Intrigué, Langlois s’avance, donne un coup de bêche. Un pan de mouchoir surgit, puis ce sont des cheveux, un front. Pressentant un crime, Langlois court alerter la police. Un instant plus tard arrivent, le commissaire de Pantin, Roubel, le docteurLugagne et les soldats du fort. Repoussant les curieux qui commencent à affluer, la troupe fouille le monticule. Successivement, les quatre cadavres apparaissent, encore tièdes, mutilés, défigurés : un petit garçon de 5 ans, un autre d’une dizaine d’années, une fillette, une femme. Ils ont tous été poignardés ou étranglés, égorgés et frappés à coups de pelle et de pioche.
Et voilà que, poursuivant leur horrible découverte, les soldats mettent au jour deux autres cadavres d’enfants, un garçon de 8 ans et un adolescent de 13 ou 14 ans, portant ainsi à six le nombre des corps exhumés du champ Magnin.
La nouvelle, bientôt connue à Paris, y suscite une émotion telle que tous les soucis de l’heure, jusqu’aux menaces de guerre, passent au deuxième rang. Tout contribuait à exciter l’intérêt du public. D’abord le lieu du crime, ce champ désert, ce Chemin Vert, à l’appellation faussement idyllique, dans une sinistre banlieue. La sentimentalité populaire se donne libre cours devant ces innocents massacrés, cette femme poignardée (elle allait à nouveau être mère !). Au bout de quelques jours, l’identité des victimes enfin établie (les vêtements portent la marque d’un magasin de confection à Roubaix, et des papiers trouvés sur la femme révèlent qu’elle était l’épouse de Jean Kinck, mécanicien en cette ville), le mystère se double de la disparition de Jean Kinck et de celle de son fils aîné, Gustave. Victimes, eux aussi ? Ou meurtriers ?…
On sait par le personnel de l’Hôtel du Chemin de Fer, boulevard Denain, à Paris, que le 19 septembre au soir une dame Jean Kinck, venant de Roubaix avec ses cinq enfants, s’est présentée au bureau de l’hôtel et y a demandé son mari. Il lui est répondu que Mr. Kinck est absent, et la pauvre provinciale, embarrassée par sa nombreuse progéniture et, selon toute apparence, assez dépaysée dans ce grand Paris, explique qu’arrivée par le train précédent que celui qu’on lui avait indiqué, elle préfère retourner à la gare où son mari l’attendra au rendez-vous.
On cherche d’abord Jean Kinck à Roubaix. On apprend qu’il en est parti, le 2 août, à destination de Guebwiller, en Alsace. Mais là, aucun membre de la famille n’a reçu sa visite. Le fait est étrange, car Kinck, Alsacien d’origine, homme posé et respectueux des traditions, n’omet jamais de saluer ses nombreux parents, lorsqu’il revient « au pays ». On l’a aperçu, pour la dernière fois, le 25 août, en gare de Bollwiller, à sa descente du train, se dirigeant vers Soultz, dans l’omnibus du chemin de fer. A l’auberge de cette ville, chez Loevert, il a rapidement déjeuné, en compagnie d’un jeune homme d’aspect maladif, mais dont les moindres mouvements trahissaient une remarquable souplesse et une force musculaire peu en rapport avec sa chétive apparence. Les deux voyageurs parlaient le patois local, et le jeune homme, lorsqu’il s’exprimait en français, possédait l’accent marqué du terroir. Puis les deux compagnons se sont levés et ont pris, à pied, la direction de Watewiller. A partir de ce moment, on perd toute trace de Jean Kinck. Les soupçons pèsent surtout sur le fils aîné, Gustave, également introuvable, et qui ne peut être que le jeune voyageur de l’« Hôtel du Chemin de Fer », où, pour des raisons inconnues, il s’est fait inscrire sous le prénom de son père.
Une perquisition, opérée dans sa chambre, a permis aux enquêteurs de saisir une chemise et du linge tachés de sang. De plus, dès le matin du 21 septembre, un cocher, Bardot, s’est présenté à la Sûreté et, mis à la Morgue en présence des cadavres, a immédiatement reconnu Mme Kinck et ses enfants pour les avoir conduits à Pantin deux nuits auparavant. Bardot a d’abord hésité, vu l’heure tardive (onze heures du soir) et la distance, à charger cette pesante personne et sa bruyante marmaille. Mais un jeune homme, qui semblait diriger l’expédition, n’a pas laissé au sieur Bardot le temps de la réflexion. D’une voix impérieuse, à l’accent alsacien (cette même voix qui a impressionné Mme Loevert), il a au sortir de la gare du Nord, donné l’ordre de marche et déclaré : « On vous prend à l’heure ! », réglant par avance les quatre francs du tarif.
Cette course dans la nuit, sur cette morne route de Flandre, à travers ces quartiers encore peu habités, rues de faubourgs s’achevant en chemins de traverses et que balayait, ce soir-là, un vent particulièrement violent, n’a pas été sans intriguer Bardot. Il entendait bien les enfants rire et bavarder, la grosse dame soupirer de fatigue, mais, chaque fois qu’il se retournait pour regarder son monde, le jeune homme à la voix hargneuse répétait furieusement : - Marchez ! Marchez tonc ! Blus fite !
Aux Quatre-Chemins, en plein champ, on s’arrête. Le jeune homme fait descendre la dame et s’éloigne avec elle, la petite fille et le plus jeune des garçons. Les trois autres enfants restent dans la voiture. Bardot, de plus en plus étonné, les questionne : - Où allez-vous donc à pareille heure ?
Comme en chœur, les petites voix répondent : - Retrouver papa. Il a acheté une maison et doit nous attendre.
- Mais pourquoi vous laisse-t-on ici ? - Maman et Jean vont venir nous chercher dès qu’ils seront sûrs que papa est là. - D’où venez-vous ? - De Roubaix. - C’est votre grand frère, Jean ? - Non, c’est un ami, comme un parent.
A ce moment, la silhouette du jeune homme se profile à nouveau. Il est seul. - Votre papa est là, dit-il. Venez !
Il se retourne vers Bardot : - Nous restons ici, c’est décidé… Vous pouvez rentrer à Paris.
Paternellement, il passe au cou de l’un des enfants un foulard. Les nuits de septembre sont fraîches et le vent souffle maintenant en rafales. Il souffle même si fort qu’il a dû couvrir les premiers cris montés de la Plaine. Bardot n’a rien entendu. Mais alors, puisque les enfants ont déclaré au cocher que le jeune homme n’était qu’un ami, il ne peut s’agir de leur frère Gustave.
Pendant que l’on recherche, partout en France, l’auteur de ces crimes atroces, au port du Havre un certain Dourson, dit Tortillard, mouchard occasionnel de la police, s’est attaché depuis deux jours aux pas d’un inconnu, descendu à l’hôtel Rosney où il s’est inscrit sous le nom de « Henri Fisch », mécanicien à Bâle. « Henri Fisch », démuni de papiers, semble très désireux de s’en procurer et il a confié à Tortillard que, résolu à émigrer, il payerait bon prix un faux passeport. Pour causer plus à l’aise, « Fisch » et Tortillard se sont dirigés vers un estaminet de la rue Royale. Discrètement, Tortillard a prévenu le brigadier FERRAND, gendarme, en service le 24 septembre, quai Casimir Delvigne, où il surveillait les individus susceptibles de s’embarquer clandestinement pour l’Amérique. Il suit les deux hommes dans le troquet, où il fait mine de s’intéresser à certains consommateurs d’allure louche, puis, se tournant vers « Fisch » : - Votre nom ? demande-t-il.
L’interpellé maugrée : -Vanderberg.
- Papiers !
- Je n’en ai pas.
FERRAND est inflexible sur la consigne. - Si vous n’avez pas de papiers, il faut venir vous expliquer au commissariat.
Vanderberg blêmit. Docile pourtant, il suit le gendarme. Tout en marchant, FERRAND devise avec lui. - Et comme ça, jeune homme, on est venu au Havre. D’où arrivez-vous ?
- Roubaix.
- Et pour aller de Roubaix au Havre, quelle route avez-vous pris ?
- J’ai passé par Paris.
C’est alors que le gendarme FERRAND prononce ce mot providentiel : - Par Paris… Ne serait-ce pas plutôt par Pantin ?…
L’effet est immédiat. Abandonnant son garde du corps, Vanderberg se met à courir. Parvenu au bassin du Commerce, il saute à l’eau. Tentative d’évasion, suicide ? Il n’a le temps de réussir ni l’un ni l’autre. Un ouvrier,HAUGUEL, a courageusement plongé derrière lui. Courte lutte, au cours de laquelle les deux hommes manquent de couler à pic et qui se termine par le triomphe d’HAUGUEL ramenant sur la berge le désespéré évanoui. Transporté à l’hôpital, il y est ranimé, puis soumis à une fouille minutieuse. On tire de ses vêtements trempés de l’argent, une montre, un couteau ébréché et, surtout, une assez grande quantité de titres, de créances, de factures au nom de Jean Kinck. Presque aussitôt après, nouveau coup de théâtre. Ce soi-disant Jean Kinck s’appelle en réalité : Jean-Baptiste Troppmann !
Ramené à Paris, interrogé aussitôt à la Morgue, face aux dépouilles des Kinck qu’il considère d’un œil indifférent, Troppmann se défend d’avoir été dans l’assassinat autre chose qu’un vague comparse. Les vrais meurtriers sont Gustave et son père, ce dernier atteint dans son honneur conjugal par l’inconduite de sa femme. Les deux hommes voulaient gagner l’Amérique en compagnie de Troppmann et y chercher fortune. Leur coup fait, les trois hommes s’étaient donné rendez-vous au Havre où Troppmann attendait ses complices. Ces révélations, qui se heurtent à trop d’invraisemblances, laissent sceptiques le chef de la Sûreté.
Entre-temps, troisième coup de théâtre, les fouilles au champ Magnin révélent la présence d’un septième cadavre, Gustave Kinck. Troppmann, toujours maître de lui, accueille sans trouble cette écrasante révélation. - Je m’en doutais, dit-il. Jean Kinck aura fait disparaître en Gustave un témoin gênant !
La contradiction est flagrante. De plus, reconnu par les gens de l’hôtel, le cocher, le quincaillier auquel il a acheté la pelle et la pioche indispensables à sa double tâche de meurtrier et de fossoyeur, Troppmann ne peut plus nier. Peu à peu, l’instruction parvient à démêler les fils de cette tragédie. Troppmann, miséreux et avide d’argent, capte la confiance des Kinck et fait miroiter aux yeux de Jean Kinck l’occasion d’acheter à vil prix un petit bien à Bühl, en Alsace. Il l’entraîne ainsi loin de Roubaix, vers les solitudes de la Herrenflüh, où il l’empoisonne avec un verre de vin mêlé d’acide prussique. Puis il écrit à Mme Kinck une lettre soi-disant dictée par Jean Kinck qu’une blessure à la main aurait mis dans l’obligation de recourir aux bons offices du cher Troppmann. La bonne Mme Kinck qui, d’ailleurs, ne sait pas lire, encaisse les chèques et en adresse le montant à son mari par lettre chargée. Mais, à la poste de Guebwiller, le receveur refuse de délivrer le pli au prétendu Jean Kinck, celui-ci ne pouvant suffisamment justifier de son identité. Déçu, Troppmann se rabat alors sur Gustave et lui demande, toujours au nom de Jean Kinck, de retirer les lettres et d’apporter l’argent à Paris. Faute d’une procuration légalisée, Gustave est, à son tour, éconduit par l’employé des postes. Il arrive, gare du Nord, les mains vides.
Le soir même, Troppmann, sous un prétexte quelconque, emmène Gustave à Pantin, le tue et l’enfouit dans le champ Magnin. Lorsque Mme Kinck débarquera, ayant sur elle tout l’argent de la famille rassemblé en hâte à Roubaix, elle ne trouve pas son mari à son hôtel. Et c’est alors l’inexplicable course à Pantin, acceptée sans examen par la naïve Mme Kinck, et cette affreuse tragédie en deux temps, la mère terrassée d’un coup de poignard, les deux enfants égorgés. Puis le retour de Troppmann vers la voiture, la deuxième fournée de victimes, le foulard étranglant l’un, le couteau égorgeant l’autre, la pelle et la pioche assommant le troisième, défigurant l’ensemble. Il n’est plus un seul Kinck qui puisse parler, et l’argent dérobé à Mme Kinck suffira à payer le voyage de Troppmann vers l’Amérique ! Le seul point sur lequel Troppmann n’a point menti est le lieu où gît la dépouille de Jean Kinck. On y trouve en effet le cadavre en état avancé de putréfaction et l’analyse démontre que le mécanicien a bien succombé à un empoisonnement par l’acide prussique.
L’année 1869 s’est achevée par la condamnation de ce monstre. Dix-neuf jours seulement après le verdict, les portes de la Roquette s’ouvrent, en ce matin blême où, sur la place, se dressent les deux bras de la guillotine. Troppmann apparaît, et c’est le silence. Face à la guillotine, Troppmann affirme encore l’existence de ses complices et maintient ses déclarations. On le jette sur la bascule. C’est alors que, témoignant de sa souplesse de félin et d’une vigueur de bête fauve, il glisse hors de la lunette sa tête sur laquelle on n’a pas encore rabattu le montant supérieur. Il faut que l’exécuteur et ses aides le prennent aux cheveux pour le ramener sous le couperet… Mais, avant que celui-ci ne tombe, dans cette seconde atroce, Troppmann a eu le temps de happer la main du bourreau et d’entailler d’une profonde morsure l’index d’Heidenreich. »
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Sujet: Re: Jean-Baptiste Troppmann -1870 Jeu 30 Mar 2017 - 14:46
Gare de Bollwiller (actuellement à l’écomusée d’Ungersheim)
24/08/1869 : Arrivée de Troppmann en gare de Bollwiller où il a donné rendez-vous à Jean Kinck pour lui faire visiter une fabrique de fausse monnaie et y investir 55,000 francs.