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En 1981, la mise au « chômage » du dernier bourreau en France
L’abolition de la peine de mort, dont on célèbre le 40e anniversaire, a entraîné, en octobre 1981, la cessation d’activité de Marcel Chevalier, alors dernier « exécuteur national des arrêts criminels ».
Payé par le ministère de la justice, cet imprimeur typographe était devenu bourreau en 1976 après avoir épousé la nièce du titulaire du poste.
En 1981, la mise au « chômage » du dernier bourreau en France
En septembre 1981, ici à Paris, Marcel Chevalier était le seul bourreau habilité à actionner la guillotine.
Mais que va-t-on faire de Marcel Chevalier ? À l’automne 1981, voilà la question qui traverse le ministère de la justice. Enfin, de manière assez feutrée. Car seuls quelques initiés savent qui est Marcel Chevalier. « Son interlocuteur quasi unique était le directeur des affaires criminelles, qui le recevait tôt le matin ou tard le soir, de façon que personne ne le croise », raconte Béatrice de Beaupuis, une magistrate qui, à l’époque, était en poste à la direction des affaires criminelles et des grâces.
Marcel Chevalier, dans la vie, est alors imprimeur typographe à Montrouge, tout près de Paris. Ce n’est pas pour cette honorable occupation qu’il vient régulièrement à la chancellerie. Mais pour parler de son deuxième emploi, qu’il exerce en toute discrétion : exécuteur national des arrêts criminels. C’est ainsi qu’on désigne celui qui est alors le dernier bourreau recensé en France. Et le seul habilité à actionner la guillotine qui, en cet automne 1981, vient d’être renvoyée aux oubliettes de l’histoire, avec le vote de la loi portant abolition de la peine de mort, promulguée le 9 octobre.
Porté par Robert Badinter, ce texte historique a une conséquence immédiate et concrète : la mise au « chômage » de Marcel Chevalier qui, pour ses offices peu avouables, touche alors 3 000 francs (1) par mois de la part de la chancellerie, où un débat émerge sur le traitement à lui réserver. « Il y avait deux positions. Certains juristes estimaient légitime qu’on lui verse des indemnités de fin d’activité. Mais au cabinet de Badinter, on estimait qu’on ne lui devait rien. Et que c’était même un honneur qu’on lui faisait en lui retirant cette tâche inhumaine », explique Béatrice de Beaupuis. Finalement, c’est la première option qui sera retenue. Et Marcel Chevalier obtiendra un chèque de 30 000 francs (2).
Ainsi fut mis un terme à la carrière du dernier bourreau français, décédé en 2008, dont l’activité fut, somme toute, assez limitée. De 1976 à 1981, Marcel Chevalier a exécuté deux condamnés, tous les deux en 1977. Mais c’est dès 1958 qu’il avait commencé à fréquenter la guillotine, en devenant exécuteur adjoint de seconde classe d’André Obrecht, le bourreau en chef de l’époque. Pour l’assister, chaque exécuteur national avait toujours des aides dont la mission était notamment de transporter puis de monter la guillotine. « De 1958 à 1976, Marcel Chevalier a participé, aux côtés d’André Obrecht, à 40 exécutions », explique Frédéric Armand, historien et auteur de Les Bourreaux en France (Perrin, 2012).
Une affaire de famille, en fait. Marcel Chevalier avait épousé en 1947 une jeune couturière qui n’était autre que la nièce d’André Obrecht. « Et c’est comme ça qu’il est entré dans le “métier”. Ce qui était assez commun. Car de tout temps, cette charge de bourreau s’est transmise dans les familles », explique le magistrat Luc Briand, auteur de La Revanche de la guillotine (Plein jour, 2018). « Cette fonction faisait l’objet d’un certain opprobre social, poursuit-il. Du coup, quand il cherchait un nouveau bourreau, le ministère ne le criait pas sur les toits. C’était le titulaire de la fonction qui désignait son successeur, le plus souvent son fils ou un membre de sa famille. »
Au début du mois d’octobre 1981, un autre débat anime le ministère de la justice : que faire de la guillotine, alors entreposée à la prison de Fresnes ? « Chez Badinter, on était prêt à l’envoyer au débarras, se souvient Béatrice de Beaupuis. Mais Jack Lang, alors ministre de la culture, estimait qu’il s’agissait d’un élément du patrimoine historique et il voulait l’exposer dans un musée. Et dans le dossier, j’ai trouvé une petite note de Jack Lang qui disait : “Robert, n’oublie pas de me donner la guillotine…” » Ce qui fut fait. « Il reste plusieurs guillotines de cette époque, dont une aujourd’hui conservée par le Mucem à Marseille », souligne Luc Briand.
(1) Compte tenu de « l’érosion monétaire due à l’inflation », le pouvoir d’achat de 3 000 francs en 1981 correspond, selon le convertisseur de l’Insee, à la somme de 1 153 € en 2020.
(2) Soit l’équivalent de 11 530 €. Selon le récit fait, en 2013, à la journaliste Marie-Sarah Bouleau par le fils de Marcel Chevalier.