Le
07 juin 1893 s'ouvrait devant la cour d'assises de
Douai le procès d'August
Degroote et d'Edmond
Claeys, accusés d'assassinat sur la personne de Mme Wiart, dans la nuit du
25 mai 1892, au hameau des Grattières (Nord). Un troisième complice,
Leconte , ne comparaissait pas au procès, ayant été arrêté et incarcéré en Belgique.
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Le jeudi 26 mai 1892, Mme Wiart, qui se trouvait dans sa chambre, au premier étage, entendit des bruits suspects, provenant du rez-de-chaussée de sa maison et descendit pour en constater l'origine. C'est alors, que parvenue au bas, elle fut assaillie par deux hommes, étranglée, et assommée à coups de brique et de sabots. Son corps fut traînée à l'extérieur de la maison et jetée dans une fontaine. Les assassins se livrèrent ensuite à une fouille entière de la maison. Dans les jours qui suivirent, on trouva dans un bois un paquet d'effets dans lequel se trouvait un livret militaire au nom de Claeys. Ces vêtements furent identifiés comme ayant appartenu à M. Wiart.
Rapidement, on arrêta, à Creil, un nommé Claeys, de nationalité belge, chez sa soeur. L'arrestation d'un autre homme, belge lui aussi, Gustav Degroote suivit bientôt. Aucune preuve, sauf la précédente, n'avait été recueillie contre le assassins, quand Degroote, tombant gravement malade, fit appeler l'aumônier et lui avoua son crime, autorisant le confesseur à répéter son récit aux autorités. La peine de mort fut requis contre les deux accusés et après délibération le jury prononça sa décision : aucune circonstance atténuante n'était à accordée à Degroote et Claeys. La peine capitale fut prononcée.
(1) En Belgique, Lecomte sera condamné aux travaux forcés. —
Le lieu d'exécution des deux condamnés fut fixé à
Hautmont (Nord), sur la vaste
place Sainte-Anne (à 7km de Maubeuge), pour le matin du 03 août.
« Depuis quinze jours, les cafés de Haumont regorgeaient de curieux qui venaient de tous les points de la région, dans l'espoir d'assister à la double exécution. L'empressement est tel qu'on a installé des bancs jusque sur les toits, notamment à l'hôtel de France, où sont descendus les aides et le bourreau. Les fenêtres se louent dix, cinq, et trois francs. Le procureur de la République a donné des ordres sévères pour l'évacuation de la place. Très peu de cartes d'entrée dans l'enceinte réservée ont été accordées. A part les journalistes, seuls le maire et deux adjoints ont pu en obtenir.
CHARGES DE CAVALERIEUn peu avant minuit, deux pelotons du 4ème cuirassiers venus de Valenciennes déblaient la place Sainte-Anne, noire de monde. Ce déblaiement s'effectue non sans certains actes de brutalité dont se plaint le public. Un bataillon du 145ème d'infanterie de Maubeuge arrive, le même qui était à
Fourmies (1) lors des troubles de tragique mémoire, et se range en carré sur la place. Au fond et en avant, la cavalerie forme la haie. La ligne est accueillie par des cris de "Vive l'infanterie" alors que des cris ironiques de "Caroussel Caroussel" sont lancés comme une vengeance aux cuirassiers qui chargent violemment la foule dans les petites ruelles adjacentes.
Pendant cette charge, un accident se produisit au café Vilain : la foule, rejetée dans la rue de la Gare, se blottit contre une balustrade qui s'écroule en blessant six personnes dont deux grièvement. On transporte trois blessés à la pharmacie Philippe où ils reçoivent les soins soins du docteur de Quaregnon, l'un des blessés, un jeune homme de quinze ans est reconduit chez ses parents sur une civière, il a les bras et une jambe brisés.
La gendarmerie arrive sous le commandement du lieutenant Julien qui prend immédiatement des mesures pour barrer les rues adjacentes. Les bois de justice sont encore à la gare. La foule curieuse envahit la rue par laquelle ils peuvent arriver.
1h.00. Quatre aides du bourreau vont chercher les bois avec une escorte de cuirassiers.
LE RÉVEIL DANS LA PRISON D'AVESNES (2) (complément sur Avesnes à la
fin du post).
Les condamnés sont réveillés vers une heure et demie par le directeur de la prison d'Avesnes. Le procureur de la République, M. Hattu, leur annonce que leur grâce est rejetée et les engage à avoir du sang-froid et du courage.
Claeys proteste de son innocence, rejetant la faute sur les deux autres complices.
Degroote , qui parle difficilement le français, sa langue est le flamand, ne dit absolument rien. On fait ensuite monter les condamnés dans la voiture de l'hôtel du Nord d'Avesnes qui sert ordinairement d'omnibus pour conduire les voyageurs à la gare ou les en ramener.
HAUMONT. Les aides de M. Deibler montent la lugubre machine. La foule qui grouille chante des refrains de café-concert, car l'attente parait longue et l'on oublie un peu pourquoi on est venu.
3h.00. Le commandant Durant donne l'ordre de faire évacuer tout ce qui n'est pas militaire ou fonctionnaire, y compris les journalistes qui excipent en vain des permis qui leur ont été délivrés par le procureur de la République. Des protestations assez vives s'élèvent même parmi mes confrères, mais ne sont nullement écoutées.
3h.45. Des claquements de sabots, provenant de la rue Saint-Rémy, se font entendre. Dix gendarmes à cheval pénètrent alors sur la place Sainte-Anne et la traverse, suivie de la voiture de l'hôtel du Nord au travers des carreaux desquels on aperçoit M. Deibler, les deux condamnés et six gendarmes. Le public proteste : «
n'y aurait-il pas-plus assez de voiture cellulaire ? » entend-on, assez justement.
Degroote jette un regard vers l'échafaud et se retourne vivement. Dans la deuxième voiture se trouve MM. Hattu, procureur de la République, Maronnier, juge d'instruction, Dubois, greffier, la gendarmerie ferme le cortège.
La toilette des condamnés est faite à la gendarmerie, dans le bureau du maréchal des logis Prévôt, petite pièce de trois mètres. Comme on demande à
Claeys s'il n'a plus rien à dire :
—
Vous n'aurez pas tout ! Mon âme est immortelle, s'écrie-t-il,
et vous serez puni de ce que vous allez faire.
Quand à
Degroote , pendant qu'on lui lie les bras, il regarde le bourreau et l'interpelle en disant avec humour :
—
Ne serrez pas si fort ! Coupez-moi le bras pendant que vous y êtes !
4H.15. Un coup de sifflet retentit sur la place Sainte-Anne, les gendarmes et les cuirassiers mettent sabre au clair, les fantassins portent les armes, le cocher de l'hôtel du Nord d'Avesnes apparait, conduisant une brouette remplie de sable blanc qu'il déverse près de l'échafaud. Partout, sur la grande place, sur le kiosque, le long des trottoirs, sur les toits, les cheminées, les balcons, les galeries de l'église même, dans les branches des arbres des jardins de la mairie est massée une foule considérable d'hommes, de femmes et d'enfants. A un moment, une femme et un homme tombent en syncope et sont transportés hors de la foule. Un homme s'affaisse derrière les soldats et est laissé jusqu'après l'exécution, couché le long d'un mur. Le pharmacien Daumont lui prodigue ses soins.
Place Sainte-Anne. Lieu d'exécution de Degroote et Claeys.L'EXÉCUTION 4h.20. La voiture cellulaire arrive et vient se placer à l'arrière de l'échafaud, les aides en descendent.
Degroote , soutenu par l'aumônier, est conduit rapidement au pied de l'échafaud. L'aumônier embrasse le condamné, la bascule joue,
Degroote se débat quelque peu, le couteau tombe. Un fort jet de sang est lancé sur les bois de justice qui sont nettoyés immédiatement. Des cris, parmi lesquels on distingue avec stupéfaction "
Vive Degroote ", sont poussés par des personnes massées sur la place communale.
Claeys est ensuite descendu de la voiture. Il demande par des signes de tête à ne pas être soutenu, dans un de ses premiers mouvements le vêtement qu'il porte sur ses épaules tombe par terre.
Claeys , à la vue de l'échafaud, détourne la tête. On le jette alors sur la bascule où condamné se débat affreusement pendant quelques secondes.
Deibler tatonne. Il finit par empoigner la tête du condamné pendant que les aides tiennent le corps. Les secondes paraissent des siècles.
On entend dans la foule quelques cris d'impatience. On s'exclame : «
Eh bien ! est-ce pour aujourd'hui ? Allons donc ! plus vite ! Enfin le couteau tombe et achève l'œuvre de la justice.
Les ouvriers démontent ensuite la lugubre machine et la foule envahit la place Sainte-Anne pour examiner l'endroit où sont tombées les têtes des assassins.
Le cortège se forme avec une escorte de gendarmes et de cuirassiers et se dirige vers le cimetière. Sur le parcours un piquet d'infanterie maintient la foule qui semble très impressionnée.
Les corps n'ont pas été réclamés. Les docteurs de la Faculté de Lille, et M. Carré, docteur à Haumont, pratiquent des expériences anatomique, dans l'abri servant de remise aux outils des fossoyeurs. Les têtes et les parties organiques sont prélevées pour les apporter à Lille. La mise en bière s'ensuit et le bourg d'Haumont rentre dans le calme.
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Rédigé avec l'apport de sources journalistiques diverses. Principale : Le petit Parisien. * L'inventaire des grâces des condamnés à mort des Archives nationales (1826-1899) ne mentionne ni Degroote, ni Claeys ?
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Relevé dans L'Echo du Nord.
Depuis une dizaine de jours, une foule considérable stationne chaque nuit sur la place d'Haumont, espérant voir exécuter les assassins de Grattières, qui sont toujours à la prison d'Avesnes. Cette foule qui fait grand tapage est composée en majeure partie des Belges qui habitent le pays, auxquels se joignent un grand nombre de leurs compatriotes de Mons et du Borinage venus tout exprès pour assister à l'exécution. Le bruit court que les Belges ont l'intention de protester contre cette exécution, ils voudraient même s'y opposer par la violence. Le motif de cette détermination serait le suivant :
« Il y a quelques années, un Français assassinait à Mons une jeune fille et n'était condamné en belgique pour ce crime qu'aux travaux forcés à perpétuité. Les manifestants croient qu'il est injuste que pour un crime analogue, leurs compatriotes Claeys et Degroote soient livrés au bourreau en France, et ont pensé qu'il leur serait possible de les délivrer. » ______________________________________________________________________________
Voir également le
PALMARÈS du 03 août 1893 : http://guillotine.voila.net/Palmares1871_1977.html
(1) FOURMIES. Le
1er mai 1891, dans cette petite ville du département du nord, des éléments du 145ème de ligne tirèrent sur des manifestants qui se dirigeaient vers la mairie pour demander la libération de camarades emprisonnés. On releva plusieurs dizaines de blessés et neuf morts, parmi lesquels huit jeunes de 11 à 20 ans (quatre des victimes, dont deux garçons de 11ans et 14ans, ne participaient pas à la manifestation). La fusillade de Fourmies déclencha une grande émotion et eut un retentissement international.
Fusillade de Fourmies, d'après photographie et relations de témoins.
Les obsèques des victimes se déroulèrent sous la haute-surveillance de douze escadrons de cavalerie, neuf d'infanterie et d'un détachement de canonniers.
(Document : échomusée de Fourmies).
Fourmies . Mausolée des victimes de la fusillade (cliché : Alain Defosse).
(2) Prison d'Avesnes. Deux ans avant l'exécution de Degroote et Claeys à Haumont, une double exécution s'était déroulée devant la prison d'Avesnes, place Guillemin, le
13-08-1891 . Ce jour-là, les deux meneurs d'une bande dite
Les écumeurs de Cartignies, Louis-Isidore
Jeulin et Alfred-Léonard
Demeaux étaient décapités par Louis Deibler.
On peut lire un long article sur l'exécution de Jeulin et Demeaux par ce lien :
http://collections.bm-lyon.fr/presseXIX/PER00316543/PAGE1_PDF
Quotidien
L'ÉCHO DE LYON, 1ère colonne de gauche intitulée :
DOUBLE EXÉCUTION À AVESNES.