Adelayde Admin
Nombre de messages : 5716 Localisation : Pays d'Arles Date d'inscription : 02/03/2009
| Sujet: Arthur Renard - 1912 Mar 22 Mar 2011 - 22:46 | |
| Arthur Renard
Source : l’excellent site de Bois de justice http://boisdejustice.com/Anatole/Anatole.html
Une exécution capitale à Paris
Renard, qui tua l'agent Pelleter, sera guillotiné ce matin
Le toucheur de bestiaux Arthur Renard, qui, le 5 août 1910, dans un accès de colère que rien ne justifiait, tua, boulevard Sébastopol, l'agent Pelleter et blessa grièvement le gardien de la paix Richard, sera exécuté ce matin. Il avait été condamné à mort le 27 novembre de l’année dernière. Rappelons le drame qui lui valut cette condamnation, car plus d’une année nous en sépare et nos lecteurs l'ont peut-être oublié. NB : Le toucheur de bestiaux est celui qui conduit les bestiaux par troupe. Le toucheur de bœufs menait les bœufs à l'abattoir.
Son forfait
Le 5 août 1910, vers quatre heures de l'après-midi, un fiacre dans lequel se tenait Arthur Renard en compagnie d'un ami, heurtait, sur le boulevard Sébastopol, à l'intersection de cette voie et de la rue Réaumur, une automobile. Le chauffeur Foresta, qui la conduisait, ayant constaté que la carrosserie de sa voiture avait été détériorée, descendit de son siège pour adresser des observations au cocher, mais celui-ci, obéissant aux injonctions violentes de son client Renard, continua sa route. Cependant, Foresta put rejoindre le fiacre et il allait sauter sur le marchepied pour contraindre le cocher à arrêter son cheval, lorsqu'il reçut, du toucheur de bestiaux, d'abord un coup de poing au visage, puis, en pleine poitrine, un coup de pied qui le jeta a terre. A cet instant, intervint le gardien de la paix Richard. Il rétablit la circulation troublée par cet incident, fit avancer le fiacre dans la rue Réaumur, et invita le cocher et Renard à faire connaître leur identité. Pendant ce temps, un autre agent, le gardien Le Tiec, s'occupait de l'auto et du chauffeur. Foresta déclara qu'il portait plainte pour coups et blessures. Alors, le gardien Le Tiec se dirigea vers son collègue Richard pour lui dire qu'en raison de cette plainte il convenait de se rendre au commissariat de police. Puis il revint vers l'automobile. Soudain, Renard se dressa d'un seul bond dans le fiacre et tira trois coups de revolver sur l'agent Richard, qui fut atteint par les trois projectiles au côte gauche du cou, à la joue droite, et au sommet du crâne. Au bruit des détonations, le gardien Le Tiec se retourna et voulut se précipiter sur le toucheur de bestiaux; mais celui-ci, descendant de son siège, tira un quatrième coup de son arme. Le Tiec, heureusement, glissa sur les rails du tramway et tomba. Il dut à cette circonstance de n'être point tué ou blessé. Toujours, Renard brandissait son revolver devant la foule épouvantée. A ce moment, vint à passer un gardien de la paix en bourgeois, M. Pelleter. Il s'approcha du forcené et voulut le maîtriser mais l'autre, dégageant son bras droit, réussit à diriger le canon de son arme vers le visage de Pelleter et fit feu. Le malheureux fut tué sur le coup. La balle avait pénétré dans l'œil gauche et traversé le cerveau. Ce furent le gardien de la paix Dadon, le maréchal des logis-chef de la garde républicaine Bicha, le soldat Leblanc et enfin plusieurs passants qui parvinrent à maîtriser le forcené et à le conduire au commissariat en le protégeant difficilement contre la foule qui voulait le lyncher.
Son procès
Renard, au cours de l'instruction, fut soumis - à la demande de sa mère - à un examen mental. Il fut reconnu sain d'esprit et, par conséquent, responsable de ses actes. En cour d'assises, ce grand garçon de vingt-quatre ans, taillé en hercule, aux épaules larges, aux bras puissants et dont les traits épais reflétaient la plus sauvage brutalité, se fit humble et repentant. Il ne put fournir des explications sur son acte et se contenta de répéter il tout instant « Je ne me souviens plus ». C'était machinalement et sans se rendre compte de ce qu'il faisait qu'il avait tué. - J'avais bu, dit-il, j'étais ivre, je ne savais plus ce que je faisais. Il se défendit surtout d'avoir jamais, ainsi qu'on le lui avait reproché, poussé les cris de « vive Liabeuf ». Et il manifesta les regrets les plus amers, les plus sincères. Les jurés ne se laissèrent point toucher par son repentir ni ses larmes. Renard fut condamné à mort.
Aux abords de la Santé
La nouvelle de l'exécution de Renard, assez tard connue dans la soirée, n'avait encore attiré, vers minuit, que peu de monde aux abords de la prison de la Santé. A cette heure on pouvait circuler facilement. Peu d'agents, aucun service d'ordre. Un peu plus tard, vers deux heures, les curieux commencèrent à arriver. A petits pas, ils allaient et venaient le long du boulevard Arago, ne quittant point du regard l'endroit où, le long du mur de la prison, se dressa par deux fois déjà le 6 août 1909 pour le parricide Duchemin, et le 1er juillet 1910, pour Liabeuf - la guillotine. Vers deux heures du matin, des compagnies de gardiens de la paix et de gardes municipaux, des agents de la brigade des recherches, des agents du service de la sûreté vinrent prendre position aux abords de la prison de la Santé et s'apprêtèrent à barrer le boulevard Arago à partir du boulevard Saint-Jacques d'un côté et, de l'autre, à hauteur de la rue de la Glacière. A trois heures, au moment où nous quittâmes le boulevard Arago, aucun incident ne s'était produit.
Le Petit Parisien n° 12 866 du 20/01/1912
Renard a payé sa dette
Après l’exécution 1. Le fourgon du bourreau. 2. La guillotine. 3. Le camion emportant les barrières qui ont servi à maintenir les curieux autour de l'échafaud.
Arthur Renard, le meurtrier de l'agent Pelleter, a payé hier sa dette à la société.
Dans l'ombre lourde de la nuit, des masses sombres avaient manœuvré silencieusement autour des hautes murailles de la Santé. A pas étouffés, les troupes avaient gagné leurs emplacements, et le quartier désert était occupé tout entier à trois heures du matin. A 4 heures, sur le boulevard Arago, de rares silhouettes frileuses se découpent dans les carrés de lumière rousse qui, de loin en loin, trouent le brouillard glacial. Dans ce décor, que l'obscurité rend tragique, les voix ne s'élèvent pas, et il y a dans tous les mouvements comme une sorte de gêne. On semble s'appliquer à ne pas troubler le silence qui pèse, à ne pas rompre l'angoisse. Cinq heures sonnent, lentement, à un carillon voisin. Un roulement sourd, et du fond de l'avenue enténébrée surgit un fourgon noir traîné par un cheval blanc. C'est la guillotine, remisée à la Santé même, que vont dresser M. Deibler et ses aides. Avec des gestes courts et précis, sans un mot, méthodiques, hâtifs, les aides montent rapidement les bois de justice. Entre les deux bras qui pointent, le couperet glisse maintenant, lourde chose imprécise que M. de Paris fait jouer pour s'assurer de son bon fonctionnement. Tout est prêt. Derrière les fragiles barrières, à droite et à gauche de l'échafaud, l'assistance s'est faite plus nombreuse ; cent cinquante personnes peut-être, des journalistes pour la plupart. Devant la guillotine, se tiennent MM. Lépine, préfet de police ; Laurent, secrétaire général de la préfecture ; Touny, directeur de la. police municipale ; Hamard, directeur des recherches ; Guichard, chef de la sûreté ; Jouin et Legrand, sous-chefs de la sûreté ; Perrot des Gachons, Euriat, commissaire de police du quartier de la Santé, etc., etc.
Le réveil
L'instant du réveil approche. Un brigadier de la sûreté va prévenir les magistrats : MM. Kioès, substitut du procureur général ; Mouton, secrétaire du parquet général ; Gentil, juge d'instruction, et son greffier, M. Poisson. Le petit groupe, auquel se joignent le chef de la sûreté et son secrétaire, M. Duranton, le commissaire de police du quartier Montparnasse, et M° Albert Dussart, secrétaire de M° Henri Robert, défenseur de Renard, se dirige lentement vers la prison de la Santé, où le fourgon ne doit pas tarder à le rejoindre. A 6 heures 20, les magistrats pénétraient dans la cellule du condamné. Très matinal, comme à l'ordinaire, Renard était levé déjà et habillé. Assis sur sa couchette, il conversait avec les deux détenus qu'on lui avait donnés pour compagnons. Dès qu'il entendit la clef grincer dans la serrure, il comprit que sa dernière heure était venue. Il pâlit affreusement et, d'un bond, fut sur pied. Envahis par la même terreur, ses deux codétenus s'enfuirent précipitamment et on les retrouva peu après dans le préau de la prison, grelottant d'effroi. M Barthès, directeur de la Santé, apprit au condamné que le Président de la République avait rejeté sa grâce, et il l'exhorta à avoir du courage. Hébété, livide, Renard s'effondra. Deux gardiens du service de nuit durent le soutenir. Cependant, il put balbutier : - Je suis innocent « de ma volonté ». Voilà où mène la boisson ! Mais on n'aurait pas dû m'exécuter pour ça, parce qu'il y en a d'autres qui en ont fait plus que moi. Renard, en effet, espérait. Cependant, depuis trois jours, après s'être cru oublié dans sa geôle, il donnait des signets visibles d'inquiétude. Ce colosse irritable, que la suppression radicale de l'alcool avait ramené au calme, passait ses journées en prières… Renard, après s'être entretenu quelques minutes avec l'aumônier et le graveur Desmoulins, qui l'assista pendant sa longue détention, ajouta à haute voix : - Je demande bien pardon à ma mère… II ne devait plus parler. Le visage cireux, les mâchoires serrées, toujours soutenu par ses gardiens, il entendit la messe, puis, d un pas un peu raffermi, il se laissa conduire au greffe où les aides de M. Deibler prirent livraison de sa personne. Il refusa les cigarettes qu'on lui offrit ; d'un verre de rhum, il but, du bout des lèvres, une gorgée, mais il ne l'acheva pas. Docilement, il se laissa passer les entraves et échancrer sa chemise. Cinq minute suffirent à cette lugubre besogne. A 6 heures 51, le fourgon franchissait la porte de la prison, précédé des magistrats, du gardien-chef Maillard, et de M. Desmoulins.
L’expiation
Du ciel, terne et plombé, filtre maintenant une petite lumière blafarde. Le profil sec de la guillotine se dessine sur le fond noir du mur. Une masse sombre et silencieuse se presse autour de la sinistre machine. Au loin, sur les pavés, un bruit léger de roues fait tourner les têtes. Le fourgon s'avance, au pas. On se découvre. Les gendarmes à cheval, rangés sur une file, face au lieu de l'exécution, mettent sabre au clair, et c'est une minute horriblement lente qui coule… Le- fourgon s'arrête enfin. Prestement, un aide ouvre la porte et de la voiture, l'aumônier, très ému descend le premier. Dans la demi-clarté, Renard parait enfin. Sa large carrure emplit le cadre étroit de la porte il est d'une indicible pâleur, les yeux hagards, les traits décomposés. Très grand, il doit se courber un peu pour ne pas heurter de la tête le plafond de la voiture ; poussé rudement par les bras vigoureux d'un aide, il descend les marches, il tourne vers la guillotine un regard de bête traquée, où se reflètent de la souffrance, de l'épouvante et de la résignation. Un arrêt très court. Le condamné fait ses adieux à l'aumônier et il embrasse M. Desmoulins ; enfin pressé, bousculé, porté presque par les aides qui l’entourent, il marche vers la guillotine, gêné par les entraves qui emprisonnent ses chevilles. Son dernier regard s'accroche aux montants de la machine, et puis, à deux pas, il a, d'instinct, un recul formidable. De tous ses muscles tendu, il résiste à l'effort puissant des aides, mais l'étreinte se fait terrible et l'irrésistible poussée le couche sur le plateau. Un bruit sec, celui du déclic… un autre plus mou, celui du couperet qui tombe… Justice est faite. Il est exactement 6 heures 56. Le condamné n'a pas proféré un seul mot… Les aides placent dans le panier la tête du supplicié et le fourgon, escorté par les gendarmes, part au galop pour le cimetière d'Ivry-Parisien, où l'inhumation aura lieu à 7 heures 52 minutes. C'est fini. Un filet de sang coule sur le sable fin ; les aides démontent, sans hâte à présent, les bois de justice rougis et, avec minutie, avec un soin tranquille, ils les épongent avant de les ranger dans le fourgon. Dans la foule, plus clairsemée, au premier rang, un gamin qui s'est faufilé jusque-là on ne sait par quel subterfuge, regarde placidement, les mains aux poches, avec au coin des lèvres un singulier rictus.
Le Petit Parisien n° 12 867 du 21/01/1912
Dernière édition par Adelayde le Ven 30 Mar 2012 - 17:40, édité 1 fois | |
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