La perpétuité incompressible ou la peine de mort sociale
Article du 14 novembre 2014. Huffingtonpost.
Par une requête en date du 13 juillet 2010, M. Pierre Bodein, dit Pierrot le fou, avait saisi la CEDH pour que celle-ci se prononce sur la peine de réclusion à perpétuité dite "incompressible" (c'est-à-dire qu'aucune des mesures énumérées à l'article 132-23 du code pénal ne pouvait être lui accordée), à laquelle il avait été condamné en 2007, peine confirmée en appel en 2008.
Une telle condamnation, prévue par la loi du 1er février 1994 et codifiée aux articles 221-3 et 221-4 du Code pénal, exclut tout aménagement de peine (suspension, fractionnement, placement à l'extérieur, permission de sortir...). Cette peine est prévue par le Code pénal pour des faits d'une extrême gravité (meurtre sur mineurs de quinze ans avec viols, actes de torture ou barbarie...) et constitue une décision spéciale éventuellement prise par la Cour d'Assises.
Pour rappel, M. Bodein avait été condamné par la Cour d'Assises du Bas-Rhin par un arrêt du 11 juillet 2007, confirmé en appel, par la Cour d'Assises du Haut-Rhin en octobre 2008 pour le meurtre -précédé ou accompagné de viols- de deux mineurs de quinze ans et d'une adulte et ce, alors qu'il avait déjà été condamné pour des faits de nature criminelle en 1994 et 1996, qu'il avait été admis au bénéfice de la libération conditionnelle en février 2004, remis en liberté le 15 mars 2004, et que les derniers crimes qui lui étaient reprochés avaient été commis en juin 2004.
Dans sa requête, M. Bodein estimait qu'une telle peine équivalait à un traitement inhumain et dégradant dans la mesure où elle n'offrait aucune perspective de bénéficier du moindre aménagement de peine ni possibilité de sortir de prison. A vie.
Or, l'article 720-4 du code de procédure pénale prévoit que le tribunal d'application des peines peut, après l'expiration d'une période d'incarcération au moins égale à trente ans, et suite à une expertise psychiatrique sur la dangerosité du requérant, déclencher la procédure susceptible de mettre fin à la décision spéciale de la Cour d'Assises d'exclure les mesures d'aménagement de peine. Dans ce cas, le condamné bénéficierait du régime d'exécution de peine de droit commun.
C'est notamment sur ce fondement que, le jeudi 13 novembre 2014, la CEDH a estimé que le droit français offrait une"possibilité de réexamen de la réclusion à perpétuité suffisante au regard de la marge d'appréciation des États en la matière" pour considérer que la peine prononcée contre M. BODEIN était en réalité "compressible" au sens de l'article 3 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (c'est-à-dire qu'il existe une possibilité de réexamen de celle-ci, dont l'intéressé doit connaître, dès sa condamnation, les termes et conditions) et qu'il ne s'agissait dès lors pas d'un traitement inhumain et dégradant.
Sauf appel victorieux de cette décision, M. Bodein restera donc en prison jusqu'à ses 86 ans, au moins.
A titre de comparaison, le Royaume-Uni a été condamné en 2013 par la CEDH car la loi britannique prévoyait une perpétuité réelle sans aucune possibilité de réévaluation de la peine.
Certains Etats américains prévoient, quant à eux, des peines de prison cumulatives pouvant atteindre plusieurs centaines d'années (en 2013, Ariel Castro, le kidnappeur de Cleveland, a été condamné à une peine de 1000 ans prison. Et ce n'est pas la peine la plus longue prononcée par une juridiction américaine).
Mais une fois la question juridique purgée en fonction des règles du droit national et de leur compatibilité -en l'espèce- avec la Convention Européenne des Droits de l'Homme, se pose la question éthique relative à la réponse pénale et sociétale à apporter à des actes criminels aussi graves et, partant, le rôle de la peine et de la prison.
La prison permet d'écarter un danger immédiat et de punir le coupable. Mais elle doit ou, à tout le moins, devrait, parallèlement, préparer à la réinsertion du détenu. Ce dernier n'a pas, a priori, vocation à être écarté définitivement de la société. C'est aussi pour cette raison que la peine de mort a été abolie en France en 1981.
Prononcer une peine de réclusion criminelle à perpétuité réelle, assortie au mieux d'une période de sûreté de trente ans pendant laquelle on interdira au détenu tout espoir de possibilité de sortie ne revient-il pas finalement à une condamnation à mort sociale? Peut-on faire abstraction de la vie en société pendant trente ans minimum avant de pouvoir déposer une demande d'aménagement de peine laquelle devra ensuite être examinée par des experts psychiatres puis par des juges?
Mais inversement, que dire aux familles des victimes? Comment leur expliquer que celui qui les a condamnées à la souffrance perpétuelle en tuant leur proche de façon particulièrement ignoble pourra, lui, peut-être, fut-ce après trente ans de réclusion, bénéficier d'un aménagement de peine?
Cette question est complexe car l'objectif est double: d'une part, "réparer le dommage" subi par la société et surtout par les parties civiles -mais une peine de prison si élevée soit-elle permet-elle de "réparer" la douleur des familles dans de telles circonstances?- et d'autre part, que le condamné comprenne la sentence qui lui est infligée, qu'elle ait un sens. Il faut trouver une réponse pénale, carcérale ou psychiatrique adaptée c'est-à-dire proportionnée à l'acte criminel. Dans une société qui lutte contre la barbarie que d'aucuns voudrait lui imposer, cette réponse proportionnée ne peut pas être la loi du talion.
Les cas extrêmes comme celui de Pierre Bodein ou Michel Fourniret font bien sûr douter de la capacité de certains à se réinsérer et ravivent -de façon compréhensible- les passions sur le caractère incompressible de certaines peines. Mais renoncer à espérer en l'Homme c'est redonner une légitimité à la peine de mort. C'est abîmer l'Humanité quand nous devrions travailler à son progrès.