Il est tout naturel que les individus, qui viennent de commettre un assassinat, coupent en morceaux leur victime. Un membre est plus facile à faire disparaître qu'un corps intact. Il est vrai qu'en dispersant les fragments, il y a plus de chances pour que l'un d'eux tombe entre les mains de la police, mais, dans ce cas, le coupable croit avoir peu à craindre, car que de fois n'a-t il pas lu dans les journaux un entrefilet calqué sur celui-ci :
— « Hier à trois heures, les gardiens de la paix de service ont trouvé un bras qui semble avoir appartenu à une femme. Le commissaire de police a dressé procès-verbal et ce lugubre débris a été envoyé à la Morgue aux fins d'autopsie. » Quelques jours après, une nouvelle note paraît, annonçant qu'un étudiant en médecine, malgré les règlements, avait volé un bras à Clamart ou à l'École pratique.
Le coupable a donc de bonnes raisons pour supposer que si, par hasard, on retrouve quelque membre, on l'attribuera à l'étourderie ou à l'indélicatesse d'un de nos jeunes confrères. Cependant ce crime été relativement rare jusqu'à ces dernières années ; nous allons en citer quelques uns :
En 1876 Billoir coupe en morceaux sa maîtresse, la femme Le Manach.
En 1877, à Marseille, la fille Maria Boyer et Louis Vitalis coupent en morceaux la veuve Boyer, les bras et les jambes étaient désarticulés, le tronc était vidé et soigneusement lavé, le visage était déchiqueté.
En 1878 l'affaire de la rue Poliveau, où Lebiez et Barré coupent une femme en morceaux.
En 1880, Menesclou dépèce une petite fille.
En 1884, Mielle scie en deux le cadavre de Francis Lebon, à la hauteur des hanches, et fait une seconde section incomplète à la hauteur des malléoles. Le tronc est placé dans une malle, les membres sont jetés dans la Seine.
En 1887, près de Toulouse, une fille-mère, après avoir étouffé son enfant, le coupe en morceaux et le donne à manger aux cochons. Nous renvoyons pour plus de détails à la belle monographie de Ravoux
(1). Mais la série la plus extraordinaire, qui nous dispense de citer toute autre, est celle des meurtres de Jack l'Eventreur.
(1) Du dépeçage criminel au point de vue anthropologique et médico-judiciaire , Storck, 1888.
Note : Thése soutenue par
Louis Ravoux, en 1888, pour obtenir le grade de docteur en médecine. Page de gallica pour la télécharger : http://gallica.bnf.fr/Search?adva=1&cat1=Psychologie+criminelle&catsel1=f_subject&lang=FR&n=15&p=1&pageNumber=3
(La thèse est en 11ème position sur la page. Cliquez sur
Bibliothèque de l'université Claude Bernard, Lyon 1 (Parfois long à télécharger).
Les Anglais qui se piquent de supériorité en tout, tiennent certainement le record pour le dépeçage criminel, mais ils n'ont point réussi à mettre la main sur le mystérieux assassin, et leur admirable police a été obligée de classer l'affaire. S'agit-il, comme semble le croire la justice, d'un seul individu, ou bien de plusieurs criminels n'ayant aucun lien les uns avec les autres? Cette seconde hypothèse, car nous ne saurons sans doute jamais la vérité, me semble infiniment plus probable. Car il ne s'agit pas d'un aliéné (et je ne vois pas bien dans quelle catégorie le ranger), quelle vraisemblance qu'un même personnage revienne de loin en loin dans un même quartier, et y tue une prostituée qu'il éventre ensuite.
Les crimes sont fréquents à Whitechapel, dans ce monde que la pudique Albion affecte d'ignorer. On échange facilement des coups de couteau sous l'influence troublante du gin et du whisky, surtout si le petit règlement de comptes présente quelques difficultés. Les ivrognes ont des idées étranges : l'un d'eux a enlevé les organes génitaux d'une femme qu'il venait de tuer, d'autres l'ont imité ; quelques autres ont simplement assassiné ces pauvres prostituées sans se soumettre au caprice de la mode.
Quoi qu'il en voici la liste des exploits des
Jack les Eventreur — ou de
Jack l'Eventreur :
1° Le 17 juillet 1887, Alice Mackenzie, quarante ans, a la gorge coupée, et l'abdomen est incisé jusqu'à l'estomac; 2° 3 avril 1888, Emma Smith est violée, tuée et volée par une bande d'hommes, parmi lesquels se serait trouvé Jack; 3° Martha Tabran, le 7 août, reçoit trente-neuf coups de couteau; 4° Ann Nichols, vers le 4 septembre a la tête séparée du tronc et le ventre ouvert dans toute sa longueur; 5° le 8 septembre, Annie Chapman a la tête à moitié coupée, le ventre fendu, les intestins arrachés du corps, le cœur et le foie placés sous sa tête comme oreiller; 6° Jane Mary Kelly, vingt-deux ans, a la tête séparée du tronc, le nez et les oreilles coupés, les seins arrachés; 7° le 30 septembre, Eidowes est assassinée et son cadavre est mutilé; 8° à la même date, Elisabeth Stride a la gorge coupée, mais pas de mutilations.
9° le 11 novembre, le foie et les intestins d'une femme sont arrachés et déposés sur la table, et les membres sont tailladés à coups de couteau; 10° le 26 décembre, une femme est étranglée avec une corde; 11° le 10 septembre 1889, une femme a la tête et les bras coupés (on ne les a plus retrouvés) ; elle présentait les mutilations habituelles et était enveloppée dans un sac ; 12° en février 1892, Frances Coleman, âgée de vingt-cinq ans, a la gorge coupée. Ces douze femmes appartiennent à la plus abjecte prostitution et sur plusieurs cadavres on a constaté la disparition de l'utérus et des ovaires. On a dit qu'un éditeur américain avait besoin d'utérus, pour les donner en prime aux acheteurs d'un livre spécial qu'il allait publier.
Je ne parlerais pas de cette étrange hypothèse, si un précédent peu connu ne lui donnait une certaine vraisemblance.
Vers 1830
(1) une bande d'assassins, à la tête de laquelle se trouvaient Burke et Hare, commit quatorze ou quinze assassinats successifs pour toucher les 200 francs que payaient les professeurs d'anatomie pour chaque sujet qu'on leur procurait. En même temps qu'à Londres, et après, des crimes plus ou moins analogues se commettaient dans le monde entier. Quelques-uns sont à l'actif de Jack the Riper. A Bradfort, un enfant est dépecé en décembre 1888; les membres et les oreilles sont placés près du tronc, des bottines sont trouvées à la place des viscères.
(1)Dr Janicot : Les assassinats de Londres et l'anatomie en Angleterre,
Le Figaro, 3 octobre 1838 (exemplaire manquant sur gallica.bnf).
En 1889, deux meurtres avec mutilations sont commis à Hambourg ; de plus un garçon de recette est coupé en morceaux et envoyé en Amérique.
Au mois de mars 1890 à Moscou, une sœur de charité est coupée en morceaux et mise dans un sac ; à Berne, en décembre, apparition de Jack. L'année 1891 n'est pas moins productive en dépeçages criminels. A Liverpool, un enfant est coupé en morceaux et jeté dans les docks.
A Bruxelles, en juillet 1891, une enfant de treize mois est éventrée dans un terrain vague; en octobre à Berlin, une fille a le ventre ouvert; trois jours après, Vaubourg tue et dépèce Boutry, rue de Charonne; en novembre à Madrid, une femme est dépecée et mutilée ; à Melbourne (encore un exploit de Jack), on trouve sous un plancher cimenté, cinq cadavres : une femme, deux fillettes de douze et sept ans, dépecées et mutilées comme les victimes de l'Eventreur, en plus un garçon de cinq ans et un autre d'un an.
A Melbourne (encore un exploit de Jack), on trouve sous un plancher cimenté, cinq cadavres : une femme, deux fillettes de douze et sept ans, dépecées et mutilées comme les victimes de l'Eventreur, en plus un garçon de cinq ans et un autre d'un an.
Au mois de juillet 1892, Mme Leblan est coupée en morceaux et jetée dans la Meuse, à Tilly-sur-Meuse. En octobre, une femme est coupée en morceaux, rue Botzaris. Mais ce n'est pas encore tout, dans la même vvAu mois de juillet 1892, Mme Leblan est coupée en morceaux et jetée dans la Meuse, à Tilly-sur-Meuse. En octobre, une femme est coupée en morceaux, rue Botzaris. Mais ce n'est pas encore tout, dans la même période Corre a relevé d'autres crimes analogues :
A Southampton, essai de mutilation d'un enfant ; à Glascow, tentative analogue sur une jeune fille ; aux Etats- Unis, après l'éventration de quatre nègres (Birmingham), mutilation d'une femme de couleur (Milville, New-Jersey) ; à Honduras, éventration et mutilation de la femme et de la servante du missionnaire Hohson par un homme de couleur, sans parler des fausses accusations d'hystériques qui se croient les victimes désignées d'un émule inconnu de Jack... l'introuvable. »
(1)
(1) Armand Corre.
Crime et suicide.Le professeur Lacassagne et son élève Ravoux ont fait, en 1888, une étude très serrée et très intéressante à tous égards du dépeçage criminel. Il est curieux de rapprocher ce qu'était ce genre de crime, au moment où ils ont fait cette belle monographie, de ce qu'il est devenu depuis.
A grand'peine ils ont rassemblé quarante cas de dépeçage criminel de 1721à1888, puisés dans différents auteurs. La liste de ces crimes, d'après leur propre aveu, est fort incomplète et n'avait pas besoin de l'être pour le but qu'ils se proposaient ; d'autre part, leur critique ne pouvait porter que sur des observations précises. Ici nous n'avons pas besoin de la même précision. Je tiens cependant à mettre en regard deux séries : l'une qui prend comme point de départ, le meurtre du boucher Avinain
(1) ,1867, et qui s'arrête en 1888, soit douze ans, à l'affaire du bijoutier Vétard et qui comprend 24 affaires (en comptant 3 infanticides) ; et l'autre qui va de 1887 à 1892 et qui comprend en six ans les 36 affaires que nous venons d'énumérer. Il y a manifestement l'influence de la contagion
(2) dans cette multiplication extraordinaire d'une même espèce de crime dans un temps aussi court.
—
(1) L'ex-cent garde Prévost, d'abord boucher (comme le dépeceur Avinain), puis enfin gardien de la paix, assassine la fille Blondin et le bijoutier Lenoble (Paris,1879), il avait bien médité son coup et s'était bien inspiré d'exemples antérieurs. La suggestion de l'assassinat suivi du dépeçage le hantait, ainsi qu'en témoigne ce fait peu connu raconté par Macé dans son dernier livre.
« Ainsi, à l'occasion de la femme Le Manach, coupée en morveux par son amant Billoir, il aurait dit avant l'arrestation de l'assassin : c'est un mariolle (malin), il l'a connait à la roue (il roule son monde). Puis couper la caboche à quelqu'un, c'est du chocolat, du velours. Au moment du dépeçage de la vieille laitière par Barré et Lebiez, Prévost discutait avec quelques-uns de ses camarades de cet horrible crime : « Quelle impression voulez-vous que ça me fasse » s'écria-t-il, tout à coup, « de tailler dans la chair humaine. Pour moi ça me ferait pas plus d'effet que de débiter du mouton ou du veau. » (Macé
Un Cent-garde, p.100.) —
—
(2) Le professeur Lacassagne se demande si la série des quarante crimes analogues est due « a ce qu'on a appelé la contagion du meurtre » ou simplement la loi des séries. « Je n'admets pas ces explications et je ne pense pas que le criminel soit comme suggestionné par le procédé d'un assassin au point d'adopter sa méthode sans la discuter. C'est bien là, il me semble, ce qu'on veut dire par le mot contagion du meurtre. » Si on a bien voulu me suivre jusqu'ici, on a vu que je donne au mot
contagion un sens beaucoup plus étendu, comprenant l'imitation, etc. —
A côté, et quelquefois comme conséquence du dépeçage criminel, nous trouvons les cadavres transportés par le chemin de fer et envoyés par l'assassin à un destinataire inconnu :
« Un jeune ouvrier assassine un bijoutier et enfouit sa victime dans une caisse qu'il porte au chemin de fer. Six semaines se passent; la police fait rechercher le bijoutier qu'elle savait nanti de valeurs importantes; le meurtrier mène joyeuse vie, et dépense en orgies des sommes considérables. Tout à coup la justice intervient, le procès se juge et le coupable est condamné à mort. Les journaux exploitent cet événement ; ils mesurent la hauteur, la largeur et l'épaisseur de la caisse, et ils en donnent le poids exact. Cela fit grand bruit, il y a huit ou neuf ans; et depuis on a pu déjà retrouver une dizaine de cadavres ensevelis dans de volumineux colis destinés à la
petite vitesse (1)
(1) Legrand du Saule,
La folie devant les tribunaux, p.538.
Plus près de nous, nous avons la trop célèbre affaire de Gouffé, assassiné par Eyraud et Gabrielle Bompard « qui a son pendant presque immédiat à Copenhague (disparition du garçon de recette Meyer, corps expédié dans une barrique de chaux aux États- Unis)
* ».
De même, le rapprochement entre les victimes coupées en morceaux et l'incinération criminelle peut d'autant moins être négligé que souvent ces deux opérations se suivent : « Récemment, à peine le public avait-il pu se remettre de la pénible impression produite par la triste affaire de Chinon, que déjà l'on apprenait que, dans la Nièvre, une jeune ouvrière venait de brûler le produit de ses illicites amours. Je n'ose pas croire que ce sera là une conséquence isolée d'un infanticide devenu trop célèbre.
Pell, en 1880, empoisonne sa première femme, Eugénie Buffereau; en 1884, sa servante, Elisa Bœhmer, qui était en même temps sa maîtresse. Il aurait également empoisonné sa mère. Le corps d'Élisa fut coupé en morceaux et brûlé dans un fourneau.
Euphasie Mercier est accusée d'avoir tué et calciné, en avril 1887, M. Ie Menetret. On se rappelle tout le bruit qui se fit autour de cette affaire, plus connue sous le nom de
Mystère de Villemonble.
Le 29 juillet 1886, les époux Thomas et les frères Lebon brûlent leur mère vivante (Loir-et-Cher).
La cour d'assises d'Eure-et-Loir a jugé vers 1887 un cantonnier de Chapelle-Royale, Julien Panais, accusé d'avoir brûlé sa femme après avoir assommé la malheureuse d'un formidable coup de poing, et répandu du pétrole sur ses vêtements. Pour dissimuler ce crime, Panais avait mis le feu à son habitation, mais ses voisins accoururent plus tôt qu'il ne l'avait pensé, éteignirent l'incendie, et, à l'aspect de la femme étendue morte sur le sol,horriblement brûlée et exhalant une forte odeur de pétrole, ils n'eurent pas de peine à deviner ce qui s'était passé
(1) Au mois de mars 1892, la femme Schlegel jette sur la chemise de son mari de l'essence minérale, puis y met le feu. La femme Vancauvelaert (Lille, mai 1892) enduit de pétrole le lit de son amant et y met le feu pendant son sommeil. Geffroy, à Courcelles (Somme, 1892), essaie de faire flamber sa belle-mère en mettant le feu à la ferme. A Madrid, Higinia Balaguer tue Mme Borcino et met le feu à sa maison (1888).
A Aurusse, près de Castillon-sur-Dordogne, assassine trois personnes, puis incendie l'immeuble (1891). Damelincourt assassine et brûle deux vieux rentiers (Oise, 1892). Même fait dans la Côte-d'Or, à la même époque. Enfin Le Terrec (Quimper, 1891), pour dissimuler son vol, incendie une maison dans laquelle se trouvaient quatre personnes qui périssent, puis se suicide dans sa prison, pendant qu'on juge son affaire. Il serait facile de relever un grand nombre d'affaires absolument semblables à celle-ci.
(1) Le Temps, 21 décembre 1886.
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Source : Extrait de
La contagion du meurtre , Etude d'anthropologie criminelle (Bibliothèque de philosophie contemporaine), par
Paul Aubry.
Préface du docteur
Armand Core. Seconde édition entièrement refondue.
Ancienne librairie Germer Bailliere et Cie, Paris. Félix Alcan, éditeur, Paris, 1894.
Cette édition a été rééditée par
HACHETTE en 2012.
(Source de l'extrait :
gallica.bnf.frLe livre est consultable ici : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k757414
— Egalement de
Paul Aubry (en collaboration avec le docteur
Armand Corre):
Documents de criminologie rétrospective (Bretagne, XVII et XVIIIème siècles) - (Bibliothèque de criminologie), A. Storck, Lyon, et G. Masson, Paris, 1895.
Consultable sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5824885k.r=Armand+CORRE.langFR
La lèpre et les lépreux en Bretagne Extrait des
bulletins et mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord, année 1866, tome IV. Imprimeur-Libraire Guyon Francisque, Saint-Brieuc, 1867.
Consultable sur gallica (pp.126-144) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k110225m/f147.image.r=AUBRY.langFR
— LÉPREUX EN BRETAGNE — Paul Aubry exerça la médecine à Saint-Brieuc (22 - Côtes d'Armor / Côtes-du-Nord à l'époque). Il s'intéressa particulièrement à la lèpre, voyageant à l'étranger pour approfondir ses connaissances sur cette maladie. Il mourut à 41ans, en octobre 1899, victime de l'emballement de son cheval qui le fit fracasser la tête contre un mur.
A suivre