Stanislas Prado, dit Linska de Castillon. C'est sous un faux état-civil qu'il fut éxécuté le 28 décembre 1888. Le juge chargé de cette affaire, ne réussit pas à mettre de l'ordre dans l'existence de cet étranger et son identité ne fut pas clzirement établie. Il avait été accusé d'avoir tué la fille Marie Aguétant d'un coup de poignard japonais en forme d'éventail, pour la dépouiller de son argent. Les preuves morales étaient accablantes, les témoignages et preuves matérielles douteux. Il fut cependant libéré une première fois, puis repris, jugé et exécuté.
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Sujet: Re: Louis Frédéric Stanislas Linska de Castillo dit "Prado" - 1888 Sam 3 Mai 2014 - 21:14
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Sujet: Re: Louis Frédéric Stanislas Linska de Castillo dit "Prado" - 1888 Sam 3 Mai 2014 - 22:01
Les faits
Luis Federico Stanislas "Prado di Mendoza" Linska y Castillon - 34 ans, chef d'une bande de malfrats de la région bordelaise. Égorgea sa maîtresse Marie Aguétant pour la voler le 14 janvier 1886. Condamnation : 14 novembre 1888 ; Exécution : 28 décembre 1888 à Paris.
Source : l’excellent site de Nemo / Sylvain Larue :
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Sujet: Prado marchant à l'échafaud Sam 3 Mai 2014 - 22:06
Prado marchant à l'échafaud
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Sujet: Re: Louis Frédéric Stanislas Linska de Castillo dit "Prado" - 1888 Sam 3 Mai 2014 - 22:15
L’exécution de Prado
Pas d'incident. - Les préparatifs. – L'attitude de Prado. - Le corps refusé à la Faculté de médecine. - Le droit de la Faculté. –L'avis du Dr Dujardin-Beaumetz. - Nouvelles démarches de la Faculté. - Refus motivé de la préfecture de police.
A sept heures dix-huit minutes, MM. Beauquesne, l'abbé Faure, Goron, Caubet, Espierre, juge d'instruction ; Baron, commissaire de police, et le greffier de la Roquette, pénètrent dans la cellule n° 1.
Prado dort d'un profond sommeil. M. Beauquesne l'éveille. Prado, dit-il, la cour de cassation a rejeté votre pourvoi, M. le président de la république a repoussé votre recours en grâce. Ayez du courage. Prado, très calme, répond : - Bien. Il se lève aussitôt, s'habille avec tranquillité ; on veut l'aider à se vêtir : - Laissez-moi, dit-il, je m'habillerai seul. Il chausse ses bas, des bottines vernies et passe son pantalon. L'abbé Faure s'approche alors du condamné et lui dit : - Prenez un cordial, cela vous donnera du courage. - Du courage ! s'écrie Prado, qui se redresse, j'en aurai plus que vous; vous êtes ému, je ne le suis pas. Sa toilette est terminée ; Prado prend une lettre qu'il avait écrite à M° Comby et d'autres papiers, qu'il met en morceaux. Maintenant, messieurs, dit-il, je suis à vous.
On se rend dans la salle de toilette. Prado aperçoit M. Goron et lui dit : - Je vous prie, monsieur Goron de porter mes dernières salutations à M. Guillot, juge d'instruction, qui m'envoie aujourd'hui à l'échafaud. Je suis innocent : je n'ai pas assassiné Marie Aguétant, je le jure sur la tête de mon enfant. - Courage ! lui répond le chef de la Sûreté. Pendant que les aides du bourreau ligotent le condamné, l'abbé Faure lui demande s'il ne le charge pas de porter à sa famille ses dernières paroles. - Si, répond-il. Vous ferez dire à Mauricette Couronneau qu'elle est une infâme. Elle fait tomber la tête du père de son enfant ; elle pourra déposer cette tête dans sa corbeille de noces. Puis il se laisse embrasser par l'aumônier, mais il refusa d'embrasser le crucifix. - Oh ! Monsieur l'abbé, dit-il, ne parlons pas de la religion ni de Dieu. Je ne crois pas à l'existence d'un Dieu qui ne m'a pas tiré d'affaire. - Quelles sont vos dernières volontés ? demande l'abbé Faure. Nous les exécuterons. - Je désire, répond Prado, que mon corps soit enterré sur-le-champ, sans être livré aux médecins. Je recommande ma prière à M. l'abbé Faure et à M. Goron. - Votre vœu sera exaucé ! lui répond l'aumônier. On se met en marche.
Au dehors, la foule à peu prés aussi nombreuse que lors de l'exécution de Pranzini, fait silence et se tient à peu prés convenablement cette fois quand la porte de la prison s'ouvre à deux battants. Prado apparaît, précédé du bourreau, soutenu par ses aides. L'abbé Faure marche prés de lui. Prado, très pâle, mais très calme, s'avance, avec une certaine difficulté d’abord : ses liens entravent sa marche. On a jeté sur ses épaules un pardessus beige ; il fait très froid : Prado grelotte. Il lève les yeux vers le couperet, réprime un léger frisson, puis parcourt rapidement, d'un regard, la foule qui entoure l’échafaud, et se livre au bourreau qui, cette fois, opère dans les conditions normales, contrairement à ce qu'on a dit. Le public s'attendait à quelques paroles : Prado ne prononce pas un mot. Il est sept heures et demie ; Prado est assujetti sur la planche qui bascule, la tête est prise dans la lunette, le couperet s'abat justice est faite. Pas une goutte de sang ne jaillit ; le sang avait reflué au corps. Le corps est placé dans le panier, puis dans le fourgon, qui se rend au cimetière d'Ivry.
Au moment où on le place dans un cercueil pour l'inhumer, M.M. les docteurs Delahousse et Poirier se présentent et réclament le corps au nom de la Faculté de médecine. M. l'abbé Faure leur fait connaître la dernière volonté du supplicié, mais les médecins insistent. M. Goron, chef de la Sûreté, intervient alors et appuie les paroles de l'aumônier. M. le docteur Poirier répond alors : « Si c'est un désir de Prado, nous sommes tout prêts à y accéder ; mais nous refuserions absolument de nous soumettre à sa volonté formelle. » Voici tel qu'il a été dressé à la mairie du onzième arrondissement, l'acte de décès de Prado :
« L'an mil huit cent quatre-vingt-huit, le vingt-huit décembre, à dix heures du matin, a été dressé l'acte de décès du sieur présumé Linska de Castillon, Louis-Frédéric, dit Stanislas, dit Prado di Mendozza, né le dix-neuf mai mil huit cent cinquante-quatre (présumé), sans profession. » Fils de (inconnu) ? époux de (inconnue) ? décédé le 28 décembre 1888, à sept heures et demie du matin, place de la Roquette, en exécution d'un jugement le condamnant à la peine de mort, en date du 14 novembre 1888. » Dressé par nous, J. Delage, adjoint au maire, officier de l'état civil du onzième arrondissement, sur la déclaration de MM Roques et Marmagne, greffiers à la cour de Paris. » Roques, Marmagne, Delage »
À défaut de M. Brouardel, doyen de la Faculté de médecine, que nous n'avons pu rencontrer, nous avons demandé à M. Dujardin-Beaumetz de vouloir bien nous fixer sur l'incident relaté plus haut et qui s'est produit au cimetière, entre M. l'abbé Faure et un professeur de la Faculté de médecine. Voici la réponse que notre éminent interlocuteur nous a faite : « - Toutes les fois que le corps d'un supplicié n'est pas réclamé par la famille, la Faculté de médecine a le droit de s'en emparer pour les expériences anatomiques. » Or, le corps de Prado n'ayant pas été réclamé par un membre de sa famille, ni même par un ami, - M. l'abbé Faure ne pouvant être considéré à ce titre - il était de toute évidence que la Faculté allait revendiquer le droit qu'aucune loi ne lui accorde mais qu'un usage immémorial lui concède. » La situation du supplicié est identiquement celle du malade dans un hôpital. Le malade venant à mourir, les médecins s'emparent de son corps et le soumettent aux expériences anatomiques, sauf en présence d'une opposition émanant de la famille ou des amis. » Il est à remarquer, en ce qui concerne les autopsies pratiquées dans les hôpitaux, qu'elles tendent à diminuer. En effet, les médecins ne procèdent plus guère à cette opération chirurgicale que devant un cas de maladie rare, exceptionnel. » II arrive fréquemment qu'un malade, avant de mourir, manifeste le désir, supplie même le médecin d'épargner à son corps le passage à l'amphithéâtre. » Hé bien, je dois déclarer que l'on ne tient généralement aucun compte de ce voeu, à moins, je le répète, qu'un membre de la famille ne formule une opposition. Et même il s'est produit des cas où l'opposition de la famille n'était pas prise en considération. Cela arrive à la suite d'une mort inexpliquée, inattendue. Les médecins ne peuvent connaître la vérité qu'en procédant à une autopsie. » Mais alors l'opération chirurgicale est faite, non pas par les soins des médecins de l'hôpital où est décédé le malade, mais par l'entremise des médecins-légistes. Ces cas sont heureusement fort rares. Je reviens au condamné à mort. » Du jour où un accusé est condamné à la peine capitale, il n'appartient ni à lui ni à sa famille, mais au parquet. Du jour où le chef de l'Etat a repoussé sa grâce, le condamné appartient au directeur de sa prison. A la levée de l'écrou, le condamné appartient à l'exécuteur des hautes-oeuvres et, lorsque celui-ci a accompli sa terrible besogne, le corps du supplicié devient la propriété indiscutable de l'Académie de médecine. Voilà l'usage qui a presque force de loi. » Cependant, dans un but humanitaire sur lequel il est inutile d'insister, lorsque la famille du supplicié réclame le corps de celui-ci, on le lui livre; mais ce n'est qu'une faveur, et rien qu'une faveur. Or, dans le cas de Prado, comme sa famille n'a adressé à l'Académie de médecine aucune réclamation, la Faculté pouvait, de par la loi, s'emparer du corps du supplicié pour se livrer à des travaux anatomiques. » Si la Faculté n'a pas usé de son droit, c'est qu'il lui a été particulièrement agréable de prouver en cette circonstance à M. l'abbé Faure en quelle estime elle tient le caractère élevé et le haut sentiment de celui qui a assisté Prado à ses derniers moments. »
M.M. les docteurs Poirier et Delahousse se sont rendus, à dix heures du matin, à la Préfecture de police, pour demander que le corps de Prado fut livré à la Faculté de médecine. M. Bezançon, chef de la deuxième division, leur ayant répondu que cela était impossible, les deux médecins ont demandé audience au préfet de police. M. Lozé leur ayant déclaré que le chef de la deuxième division était seul compétent en cette affaire, M.M. Poirier et Delahousse sont retournés le voir, et ont insisté pour que leur demande fût favorablement accueillie. - Ce serait la première fois qu'un corps de supplicié aurait été refusé à la Faculté de médecine s'écria M. Poirier. - Eh bien, si c'est la première fois, ce ne sera probablement pas la dernière, leur répondit M. Bezançon. Il est d'usage, sans doute, d'accorder à la Faculté de médecine les corps des suppliciés qui n'ont pas été réclamés par les familles ; mais il a été toutefois bien entendu que, après l'autopsie et les diverses expériences faites sur ces cadavres, tous les débris humains seraient soigneusement réunis et inhumés. Or, un scandale s'est produit au moment de l'exécution de Pranzini ; des parties du corps du supplicié ont été enlevées du laboratoire de la Faculté, et c'est pour éviter que pareil fait ne se reproduise que nous refusons aujourd'hui de vous livrer le corps de Prado.
J. Margat
Le Gaulois, n° 2 314 du 29 décembre 1888
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Sujet: Re: Louis Frédéric Stanislas Linska de Castillo dit "Prado" - 1888 Sam 3 Mai 2014 - 22:19
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Sujet: Le vrai nom de Prado Sam 3 Mai 2014 - 22:55
Le vrai nom de Prado
Le Figaro publie les renseignements suivants :
A-t-on assez cherché, ces derniers temps, le vrai nom de Prado ? Eh bien ! Prado s'appelait tout simplement… Prado.
Le public a remué les noms de Linska, de Castillon, de Mendoza, de Haro, de Ribo, et tant d'autres. Le seul qui ne préoccupait pas l'opinion, c'était le vrai. Le président de la cour d'assises lui-même n'y prêtait aucune attention : il l'appelait toujours Linska. - Linska, levez-vous ; Linska, qu'avez-vous fait tel jour ? Et cependant il s'appelait Prado. Parfaitement : Prado, fils de Prado. - Et son père ? - Son père est un homme honorable, considéré par tout un peuple, un magistrat intègre, bref, un citoyen de premier ordre dans son pays.
Si vous voulez en savoir plus long, cherchez dans la collection du XIXème Siècle, année 76 ou 77, les correspondances américaines du docteur Bétancès, qui est un ancien journaliste de Paris, ami d'Edmond About, actuellement directeur des Eaux azotées de la rue Saint-Lazare. Ce docteur, qui était un personnage à Porto-Rico, est venu il Paris après son expulsion et sa condamnation à mort comme chef de l'insurrection contre l'Espagne. Il a rendu de grands services à la France, il est chevalier de la Légion d'honneur, ce n'est pas enfin le premier venu. Eh bien ! M. Bétancès racontait, en 1876, les exploits de Prado en Amérique. C'est toute une histoire de piraterie qui a été reproduite dernièrement par la presse.
Depuis cette époque, Prado a continué sa vie d'aventures jusqu'au moment ou il a été pris au collet par ce brave agent dont personne ne parle plus. L'opinion publique est particulièrement ingrate. Franchement, si M. Carnot a quelques remords, il fera bien de les laisser de côte. - Mais son père ?... - Mesdames et messieurs, ne me faites pas avoir d'histoires. Je n'en ai que trop dit déjà. Feuilletez les Almanachs de Gotha de ces dernières années, et vous trouverez l'exclamation de M° Comby ; car enfin on ne voit pas tous les jours en cour d'assises le fils d'un ancien chef d'Etat. Il est vrai que ce père désolé pourrait dire qu'il s’il s’agit d'un enfant naturel; mais on pourrait alors lui répondre, avec le personnage de la comédie de Pailleron : « Est-ce que tous les enfants ne sont pas naturels ? » Prado s'appelait Prado, c'est tout ce que je puis vous dire.
Le Matin, n° 1 777 du 3 janvier 1889
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Sujet: Re: Louis Frédéric Stanislas Linska de Castillo dit "Prado" - 1888 Sam 3 Mai 2014 - 23:00
Le Petit journal, dans son numéro 9 501 du 30 décembre 1888, a consacré un long article à l’exécution de Prado. Le reproduire plomberait inutilement le fil de discussion
Mieux vaut donc le consulter directement par ces liens :
"L’art est le cordon ombilical qui nous rattache au divin" - Nikolaus Harnoncourt
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Sujet: Re: Louis Frédéric Stanislas Linska de Castillo dit "Prado" - 1888 Dim 4 Mai 2014 - 9:20
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Sujet: Avant l'exécution de Prado Dim 4 Mai 2014 - 15:08
L'exécution de Prado (avant)
À l'heure où paraîtront ces lignes la tête de Prado - l'assassin de Marie Aguétant - aura tombé sous le couperet. M° Comby - l'avocat qui avait défendu Prado devant la Cour d'assises, - avait vu le Président de la République il y a dix jours. Certaines explications de l'éminent avocat avaient paru émouvoir M. Carnot, qui lui avait promis de bien examiner le dossier du condamné à mort avant de prendre une décision. Le Président de la République - on le voit - n'a pas cru devoir arrêter le cours de la Justice.
Le Condamné
Incarcéré depuis le 28 novembre 1887, ayant passé par les prisons du Dépôt, de Mazas, de la Conciergerie et enfin de la Roquette, Prado avait donc fait déjà treize mois de détention. Pour cette nature ardente, remuante, c'était un épouvantable supplice que le condamné voulait à tout prix voir cesser, de quelque façon que ce fût. Depuis quelques jours il était impatient, nerveux et avait peine à se tenir en place.
Hier matin Il avait adresse la lettre suivante à son défenseur :
« Monsieur, » Je demande la mort comme une grâce. Faites-moi, je vous en supplie, connaître la vérité vraie, car j'ai de grandes dispositions à prendre pour ma bien-aimée fille. Vous savez que je suis « quelqu'un » et « quelqu'un » qui, malheureusement, a conservé un cœur qui sent pour souffrir. » Je profite de ma lettre pour vous envoyer mes voeux de bonne année. » Soyez aussi heureux que moi je suis malheureux, » A vous jusqu'au dernier jour, jusqu'à la dernière seconde. » Prado. »
Prado, en même temps que cette lettre à M° Comby, en avait adressé une à M. la Président de la République ; en voici le texte :
« Monsieur le Président de la République, » Une sentence inique m'a condamné à mort pour un crime que je n'ai pas commis. » Il y a quarante jours que j'en attends impatiemment l'exécution ; la retarder plus longtemps serait un luxueux surcroît de supplice que je vous demande d'abréger. » Je désavoue toute démarche qui serait faite auprès de vous, dans le but de faire commuer ma peine : une pareille grâce qui me séparerait à jamais de mon enfant adorée et me laisserait sous le coup de la plus grande et monstrueuse erreur judiciaire me serait cent fois plus douloureuse que la mort, cette mort fût-elle aussi infâme que celle que je réclame ardemment. » Je vous prie, Monsieur le Président, de mettre un terme aux souffrances inexprimables que j'endure. » Je fais des vœux pour que votre Présidence ajoute quelques belles et glorieuses pages à l'histoire de la France. » Veuillez accepter, Monsieur le Président, l'hommage de mon admiration et de mes respectueuses salutations. » Prado. »
Après avoir envoyé ces deux lettres, Prado était devenu plus calme. Il avait, hier soir, mangé de bon appétit la ration réglementaire, avait fumé beaucoup, comme d'habitude, puis s'était couché et s'était bientôt endormi. L'ordre d'exécution était donné depuis plusieurs heures à ce moment. Déjà le sommeil de Prado était presque le sommeil de la mort.
Place de la Roquette
Le bruit de l'exécution de Prado s'était bien vite répandu, et dès minuit, les habitués du sinistre spectacle étaient accourus, plus nombreux encore cette fois. Les voici, comme toujours, bruyants, gouailleurs, ignobles. Toujours les mêmes personnes et toujours les mêmes cris, les mêmes chansons, les mêmes hontes ! Il en arrive à chaque instant. Leur nombre est déjà considérable. Les gardiens de la paix les refoulent.
Dans l’ombre, la silhouette de la prison se dessine : elle est comme noyée dans le gris du brouillard. Devant la porte, une sentinelle se promène, semblant battre les secondes du frappement régulier de ses pas. Il y a sur cette partie de la place le calme des quartiers endormis. Tout à coup s'élève un bruit de sabots dans lequel sonne le cliquetis clair des sabres ; puis des formes se détachent, hautes et droites, sur la croupe des chevaux, et des casques scintillent à la lumière des becs de gaz. C'est le peloton de gardes républicains qui vient assister à l'exécution. La porte de la Roquette s'ouvre une demi-heure après. Un homme en soutane descend d'un fiacre, le fiacre légendaire, et entre dans la chapelle : c'est l'aumônier qui va attendre le réveil du condamné.
Les Bois de Justice
Il est près de trois heures. La lucarne du hangar de la rue de la Folie-Regnault s'est éclairée d'une vague lueur tremblotante. La guillotine va être emportée. Devant la porte, une charrette stationne. On y charge le lugubre instrument et le véhicule s'ébranle. Un fourgon vert attelé de deux vigoureux chevaux s'ébranle à son tour et suit : c'est le fourgon sur lequel on emmène au cimetière d'Ivry, après les exécutions, les restes des suppliciés.
Les deux voitures viennent se placer à gauche de la porte d'entrée de la prison. Des hommes en cotte et en bourgeron bleu en descendent. Ces aides prennent les charpentes et vont les déposer sur le pavé, à l'endroit où doit se monter la guillotine. Et le travail commence, le travail préparatoire de la mort. Accrochées à des madriers, des lanternes éclairent les travailleurs, des lanternes qui semblent avoir on ne sait quelle lumière rougeâtre, comme une pâle clarté de sang. Dans le cercle de lueur presque voilée qu'elles projettent, on voit les aides du bourreau faire leur funèbre travail. La besogne avance ; bientôt deux bras se lèvent, qui semblent hideux dans leur rigidité : les montants de la guillotine sont debout. Le panier qui sert aux exécutions est ouvert, un aide remue l'épaisse couche de son sur laquelle tombera tout à l'heure le corps de Prado et traîne devant la guillotine la boîte dans laquelle roulera la tête du supplicié.
Devant la lugubre Instrument, un homme regarde : c'est le bourreau, M. Deibler, qui a surveillé ses aides tout le temps qu'ont duré les préparatifs M. Deibler est en redingote noire, comme toujours. Le travail de ses aides fini, il s'approche de la guillotine, lève le bras, et au même instant une sorte de sifflement sec se produit. M. Deibler a pressé le déclic et le couteau a glissé dans la ramure, graissée d'avance. Le bourreau recommence l'essai plusieurs fois, le couteau remonte et redescend. Tout va bien : le couperet, aiguisé à neuf, tombe d'aplomb. Il tranchera dans les règles.
La Dernière Heure
Le temps s'est écoulé. La dernière heure commence. Des lumières s'agitent dans l'intérieur de la prison. C'est Prado qu'on va éveiller. C'est la toilette qui va être faite. Encore quelques instants et M. Deibler prendra possession du condamné, devant lequel rouleront toutes grandes ces portes de la Roquette qui ne se rouvrent que sur la mort. Puis, le temps d'un éclair - cet éclair d'acier que jettent les lames tirées des fourreaux à la vue du patient - et Prado aura payé sa dette à la Justice !
Le Petit Parisien, n° 4 445 du 29 décembre 1888
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Sujet: Re: Louis Frédéric Stanislas Linska de Castillo dit "Prado" - 1888 Jeu 18 Déc 2014 - 20:41