Le
18 mars 1867, Charles Sylvestre
Demigneaux, assassin de sa femme, était guillotiné sur la place principale de
Soissons (Aisne)
sept heures après avoir été réveillé par les officiels dans sa cellule de la prison de Laon ! Le
Journal des débats politiques et littéraires mentionne que sa décapitation fut effectuée par l’exécuteur d’Amiens
(*) (Somme), assisté par l’exécuteur de Paris (à l’époque, Jean-François Heidenreich).
(*) A cette époque, l’exécuteur d’Amiens devait être
Nicolas Roch, futur exécuteur en chef de la République française en 1872 après le décès de Jean-François Heidenreich.
Compte-rendu du quotidien
Le Figaro, du 20-03-1867.
(source : gallica.bnf.fr)
Le même jour
(*), une autre exécution avait lieu à Soissons, c'était celle du condamné Demigneaux. Il a dû être transféré de Laon à Soissons, il a fait ce trajet dans une calèche louée de ses deniers. ll n'a pas fallu moins de cinq heures pour franchir la distance entre les deux villes. Il regardait, les yeux noyés de larmes, les objets qui passaient devant lui, la neige qui tapissait les vitres de la voiture, les arbres qui frissonnaient sous le vent glacial.
Il remerciait, avec effusion, le vénérable abbé Degoix, l'aumônier, dont la présence lui donnait un peu de courage, il plaignait les gendarmes de la mission qu'ils étaient forcés de remplir, par un temps aussi affreux Et puis sa pensée se portant à Soissons, où la mort l'attendait, il voulait savoir l'heure de son supplice, dont la pensée l'épouvantait et le faisait sangloter.
Qu'est-ce qu'une guillotine ? Qu'est-ce que cette chose horrible ? Je n'en ai vu qu'une, il y a bien longtemps déjà, à l'exposition universelle de 1855, à Paris. Mais sais-je, moi, comment cette machine fonctionne ? Et il recommençait à sangloter.
Arrivé à Soissons, à cinq heures du matin, il tremblait et pleurait en regardant le Christ, pourtant le châtiment semblait ne plus l'effrayer. Demigneaux le désirait même, il le voulait tout de suite. Il entendit, jusqu'à la fin, sa dernière messe, et demanda à écrire quelques mots à ceux qu'il avait laissés dans son pays, à ses amis d'autrefois, à ses parents.
Debout sur la tablette d'une petite armoire, éclairé par une lumière blafarde, Demigneaux plus calme écrivait d'une main ferme pour léguer les quelques hardes qu'il avait apportées avec lui, ses dépouilles, et 40 fr. qui lui restaient des épaves de sa fortune, sacrifiée pour sa défense, à un enfant qu'il avait sans doute désigné secrètement à M. l'aumônier.
Sur le plancher de l'échafaud, l'aumônier et lui s'agenouillèrent ensemble et récitèrent à haute voix un acte de contrition, et puis se levant l'un et l'autre, Demigneaux se jeta dans les bras de l'aumônier et l'embrassa en collant, ardemment ses lèvres au visage de ce dernier ami, et l'abbé Degoix l'étreignant à son tour dans ses bras en l'embrassant « Allez, lui dit-il, mon ami, portez à Dieu ce suprême baiser ! »
La tête portée à l'hôpital a été soumise à des expériences électriques. Les lèvres étaient contractées par le premier saisissement de la douleur.
(*) Le même jour que Demigneaux,
Ambroise Barrel était guillotiné à Lyon.
Quotidien Le Figaro, du 21-03-1867.
(source : gallica.bnf.fr)
Lettre que le condamné à mort Demigneaux a écrite à son filleul ayant de monter à l’échafaud :
Soissons, maison d’arrêt ce 18 mars 1867.
Mon cher Ernets
je te renvoie mes effets pour toi et pour mon cousin Paul Galard, tu gardera mon pardessus, redingotte, gillet, pantalon pour toi, et le nouveau pardessus et l'autre gillet et les blouse et le reste pour Paul.
Tu donnera à la femme de Léon Laviollette les chemisse pour son petit innocent. Je renvoie une quarantaine de francs à M. Philipoteau notre curé pour qu'il les remette à Clémence Laviollette à différante fois.
Je désire que mon corps repose près de ma mère, mai avec elle.
Je désire un service de 1ère classe et une messe tous les mois pendant un an comme ma mère la eu.
Adieu, cher filleul, ta femme et Paul, tous les amis.
Tu veilleras sur mon petit filleul.
Adieu pour toujours.
DEMIGNEAUX.
Soissons, à 6 heures édemi du matin.
Adieu.
Il plia aussitôt cette lettre et y mit l'adresse suivante :
« Monsieur Enest Manteaux
à Montigny-LEngrain
canton de Vic sur Aisne. »
Ensuite le greffier en chef du tribunal civil de Soissons s'approcha de lui pour remplir sa pénible mission, c'est-à-dire pour lui donner lecture de l'arrêt de condamnation du 10 février, et de l'arrêt de la cour suprême du 7 mars. Il écouta cette lecture comme une chose toute naturelle, il refusa un café que le gardien-chef de la prison lui offrait, en disant : «
Non, ce n'est pas la peine ». Il s'assit près d'un poêle, quitta ses sabots et se chauffa les pieds.
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- Dix-sept ans après cet évènement, l’écrivain et journaliste
Albert Wolf relata dans son ouvrage
Mémoires d’un parisien - L’écume de Paris, l’interminable voyage de cinq heures effectué par Demigneaux. L’auteur exprime sa révolte contre les exécutions capitales telles qu’elles se déroulaient antérieurement, notamment en province, et telles qu’elles continuent encore à se dérouler en cette presque fin du XIXème siècle. En voici la transcription :
Le 19 mars 1867, on a guillotiné à Soissons un nommé Demignaux ; le jugement l’avait voulu ainsi, quoique ce criminel eût été jugé à Laon : C’est dans la prison de cette ville, un peu avant minuit que l’heure de l’expiation a sonné : « C’est bien, dit-il, marchons. »
Mais il ne s’agit pas de faire quelques pas comme à Paris, de la prison à l’échafaud ; cinq longues et cruelles heures lui restent à vivre ; son agonie commence vers minuit à Laon, et sa tête tombera à cinq heures du matin à Soissons (note : selon le Palmarès de Sylvain Larue elle tomba à 7h. Voir 18 mars 1867 : http://guillotine.voila.net Palmares1832_1870.html )
On veut le faire dans une voiture cellulaire ; mais l’assassin demande, comme une grâce suprême, de faire le trajet dans une voiture particulière et à ses frais ; on lui accorde cette faveur et voici le cortège en route, au milieu des ténèbres. La température est glaciale ; la neige couvre la campagne , pendant cinq heures le condamné grelotte et pleure : on traverse au grand trop des chevaux les paisibles hameaux encore plongés dans le silence de la nuit : on passe devant les églises où la lampe éternelle brûle devant l’autel ; le condamné ne voit rien, sinon la guillotine qui se dresse menaçante à chaque détour du chemin : C’est peut-être ici ! Non, pas encore : tout à tour le criminel espère et se lamente.
On ne peut donc pas en finir tout de suite ? Au bout d’une heure de cette promenade : « Guillotinez-moi, hurle le condamné, guillotinez-moi ; c’est trop de souffrance. » Le condamné parle à son aise. On va lui couper le cou, c’est vrai mais sans irrégularité ; il est haletant, à bout de force ; en traversant je ne sais quel village , il appelle : Au secours ! Ce meurtrier crie : à l’assassin ! Il a raison. Nul ne l’entend et les gendarmes, hommes du devoir strict, restent impassibles en apparence, mais au fond ils tremblent.
N’est-ce pas effroyable ? Comment un homme ne devient-il pas fou pendant ces cinq heures d’agonie ? Que chapitre Victor Hugo écrirait, sur la tempête dans le crâne de ce condamné à mort ! Ah ! si la voiture pouvait tomber dans un fossé et se briser ! Il n’y a pas de danger. Les cochers qui conduisent les condamnés à mort sont plus adroits que les postillons de comédie.
La pensée de l’assassin est là-bas sur la place de Soissons où le bourreau l’attend ; il ne sait pas au juste combien de temps durera encore son supplice : il compte les minutes, les secondes. Si la voiture s’arrête il frissonne et demande si l’on est arrivé ? Quand les fers des chevaux retentissent sur le pavé d’une petite ville, il tremble, car il croit entrer à Soissons : avant de mourir définitivement, le condamné expire graduellement pendant cinq heures. Sa victime a lui n’a souffert que quelques minutes, pense-t-il : décidément la société est plus féroce que les meurtriers !
Oui, je sais bien ce que vous me direz : Est-ce que le condamné se plaint de vivre encore cinq heures ? C’est tout bénéfice pour lui ! Mais ici il ne s’agit pas de bon plaisir de cet assassin qui va expier son crime, mais de nous. C’est pour notre civilisation qu’on ressent de la honte d’une si longue agonie ! Les assises ont condamné le meurtrier à la peine de mort, et nous lui infligeons par-dessus le marché des tortures inconnues sous la Sainte Inquisition. Et tout cela parce que, selon une formule démodée, dans sa barbarie, il faut que le condamné meurt sur la place de la ville où le crime a été commis ; il ne s’agit pas seulement de lui couper le cou, mais encore de faire un exemple.
Et quel exemple, grand Dieu ! Celui d’une impitoyable férocité dans la façon dont la société se venge et qui dépasse la cruauté du meurtrier. Voila comment nous nous vengeons en province.
Dix-sept années se sont écoulées depuis l’exécution sinistre à Soissons, et rien n’est changé. Nous avons fêté la marche ascendante du progrès par plusieurs expositions universelles qui sont, à ce qu’il parait, les étapes de cette fameuse civilisation ; mais l’exécuteur des hautes-œuvres procède toujours en province selon la même méthode. En 1883, on a exécuté en une semaine deux assassins (*), à Reims et à Versailles : le cas est rare car la bonté providentielle de M. Grévy fait de l’emploi de bourreau une sinécure ou à peu près ; au point où en sont les exécutions capitales, elles reviennent un peu cher ; en divisant le budget du bourreau et de ses aides, y compris les frais de déplacement par le nombre restreint des exécutions, on trouve que chaque tête de de supplicié coûte en moyenne six mille francs au peuple français : c’est à coup sûr plus qu’elles ne valent l’une dans l’autre.
La façon dont les choses se passent à Reims et à Versailles prouvent que rien n’a changé.
Le parricide de Versailles ne me fera pas versé une larme, dans les annales du crime on chercherait vainement un misérable plus féroce que celui-là ; la pensée de faire venir de Nice des bouquets de violette fraiches pour les déposer sur cette tombe est loin de mon esprit. Qu’on ait coupé cette tête, c’est le cadet de mes soucis : toutefois, il faudrait nous arranger de façon à ne pas rendre le supplicié en quelque sorte intéressant, par la cruauté démesurée dont on entoure ses derniers moments ; on finira pour nous prendre pour des Canaques qui donnent un bal autour du petit blanc qu’ils viennent d’immoler.* Édouard Holtz (Reims, orthographié Hotz dans le Palmarès) et
Louis Houy (Versailles), en septembre et octobre 1883.
Louis Houy n’était pas un parricide. M. Wolf l’a-t-il confondu avec Gonnachon, parricide, dont l’exécution suivit celle de Houy douze jours après ? Voir le
Pamarès de Sylvain Larue : http://guillotine.voila.net/Palmares1871_1977.html
Honomynie : Une femme,
Marie-Madeleine Houy (maritalement Pichon) a été exécutée pour crime d’infanticide (les « Grâces des condamnés à mort » emploie le mot parricide), le 21 janvier 1852, sur la place de la Roquette. Dernière exécution publique d’un femme à Paris. Les exécutions de femmes qui lui succéderont à Paris seront effectuées à l’intérieur de la prison (Petite-Roquette, pendant la seconde guerre mondiale).
-
Albert Wolf (1835-1891). Journaliste, écrivain, critique d’art et littéraire - principalement au journal
Le Figaro - auteur dramatique (d’origine allemande).
Il assista à plusieurs exécutions capitales place de la Roquette, à Paris, notamment à celle de Troppmann (avec le chef de la sûreté M. Claude, l’écrivain russe Tourgueniew etc.) et prit vivement parti contre les conditions dans lesquelles elles se déroulaient.
Il connut Jean-François Heidenreich et conteste fermement les propos selon lesquels ce dernier vivait mal sa fonction d’exécuteur. Selon lui, Heidenreich n’avait pas d’état d’âme sur sa fonction, aimait rire, recevait bien à sa table, se restaurait avec plaisir après avoir procédé à une exécution, ne «
montrait aucune trace d’une souffrance morale quelconque ».
Centre historique des Archives nationales(date de condamnation, cote et n° de dossier)
— DEMIGNEAUX (Charles-Sylvestre), crime passionnel, Aisne, 10-02-1867.
BB/24/2034 dossier : 867 S67[/b]