Antonio Rocchini. Condamné à la peine capitale par la cour d’assises de Grenoble le 27 mai 1936.
Quotidien
Le Petit Dauphinois, du 10-08-1936.
LA GUILLOTINE A GRENOBLE
La tête de Rocchini l’assassin du père Griat est tombée ce matin, à 4h.50
Vendredi, à midi, arrivait en gare de Grenoble un wagon-plateforme d’un aspect spécial.
On apercevait à son bord un immense rectangle monté sur roues et recouvert d’une gigantesque bâche noire. Le wagon était au centre d’un convoi de marchandises, grande vitesse. On coupa le train, on plaça le wagon-plateforme sur le disque tournant de manœuvre et, au pas tranquille d’un percheron, le tout s’achemina vers une voie de garage, la voie 14.
Un curieux, s’approchant aurait pu lire sur un des côtés de ce wagon, dans le blanc d’une étiquette « chef de gare de Paris, gare de Lyon, à chef de gare de Grenoble ». Ainsi arriva sans tambour ni trompette, avec un maximum de discrétion, la guillotine. La « Veuve » comme on l’appelle sinistrement, dont la dernière visite à Grenoble eut lieu en 1862, pour l’exécution du bandit Nevache (François-Gabriel Gresse, (1) dit Livache ).
Le bruit courait alors, dans la ville, qu’une tête allait tomber : celle de Rocchini, l’assassin du père Griat. La présence de la sinistre machine pendant trois longs jours sur la voie devait d’ailleurs fortifier le public dans sa conviction de l’exécution prochaine.
LE CRIME DE MEAUDRELe 22 janvier dernier, au petit matin blême, dans une ferme isolée de Meaudre on découvrait, à côté d’un sac de pommes de terre, le cadavre du père Griat, un des hommes les plus costauds du pays. Il avait été lâchement abattu à coups de révolver. L’enquête prouva que ses blessures n’étaient pas mortelles, mais que seule l’hémorragie avait été fatale.
Quelques jours plus tard, à la Cluze-et-Pâquier, on arrêtait un colporteur italien Rocchini. L'homme se défendit tel un beau diable.
«
Regardez cette main-là, disait-il au maréchal des logis Gonthier qui l’interrogeait, elle n’est pas rouge de sang et elle n’a point volé.La déclaration spontanée du cordonnier Zoldi, un alibi maladroit vite démoli, des constatations troublantes, et puis l’instruction serrée, tenace, de M. le juge d’instruction Rey, luttant contre le système forcené de cet étranger niant tout en bloc, eurent enfin raison de sa volonté de cacher cette vérité qui allait peut-être lui coûter sa tête.
Le 27 mai, Rocchini avouant, renonçant aux invraisemblables histoires échafaudées aux jours creux de désespérance, comparaissait devant les jurés de l’Isère, juges souverains.
M. l’avocat général Sarrailh, occupant le siège du ministère oubli, avec fermeté, mais au prix d’un douloureux combat intérieur, demandait la tête de cet homme qui avait prémédité son crime, emprunté deux jour avant le révolver d’un de ses amis ; Rolando, et épié sa victime, tel un chasseur de chamois du Valsenestre, à la lorgnette.
M. Gonnon, courageux défenseur d’une cause désespérée, avec sa fougue habituelle, cherchait à obtenir des jurés, un verdict de pitié. Ce fut en vain. Rocchini, sans broncher, sans sourciller, avec un courage tranquille, reçut en pleine face le verdict de mort. A cet instant précis, dans un petit lit blanc, à Sassenage, un enfant de quatorze ans sanglotait éperdument, c’était le fils du misérable. Les derniers épisodes de cette tragédie sanglante étaient joués.
Le 1er juillet, la cour de cassation rejetait le pourvoi formulé par Rocchini. Me Gonnon, aux premiers jours de cette semaine qui devrait être la dernière du colporteur, rendait à M. Albert Lebrun cette émouvante visite qui arrache quelquefois, au chef suprême de l’Etat, le droit de vivre. Le Président laissa le défenseur sans espoir. Il n’avait rien trouvé dans le dossier, minutieusement étudié, qui pouvait porter à la pitié. Le sort de Rocchini paraissait à partir de ce moment terrible, fixé à jamais. L’heure de l’expiation allait sonner.
Aux dernières heures de cette après-midi de vendredi des ordres arrivèrent au Parquet général : un télégramme chiffré, une grande enveloppe émanant de la chancellerie et scellée de cinq cachets rouges. Plus aucun doute ne subsistait alors dans l’esprit des habitués des couloirs du Palais, l’heure de l’exécution de Rocchini était proche. La nouvelle se propagea rapidement dans les rues de la cité. Des gens bien informés, avec des mines de conspirateurs, s’abordaient au café, dans les jardins publics, sur les trottoirs. Ils mettaient leurs mains en entonnoir et vous glissait dans le tuyau de l’oreille :
«
C’est pour ce matin, à l’aube ! »
Le soir, à minuit, une foule de plusieurs centaines de curieux stationna devant la prison Saint-Joseph. Des rires odieux fusèrent dans certains groupes. Aucune force de police ne vint prendre possession du terrain. Sur le coup de cinq heures, cette foule s’écoula, extrêmement déçue.
CONFIRMATIONDans la matinée de samedi, nous croyons savoir que de nouveaux ordres, cette fois définitifs, parvinrent au Parquet général. L’exécution était véritablement fixée au lundi matin, à l’aube. L’arrivée de M. Deibler était annoncée pour l’après-midi du dimanche. Alors seulement serait fixée par l’exécuteur suprême des Hautes œuvres, l’heure du châtiment. Dès cet instant, les minutes d’existence de Rocchini étaient minutieusement comptées au sablier tragique du temps.
PREPARATIFSLa ville connut l’agitation malsaine des veilles d’exécution. Hélas, il y a un public des exécutions friand d’un aussi horrible spectacle. Et cela n’est pas à la louange des hommes.
Sur la voie 14, à 2h.30, des hommes dans la nuit. M. Deibler, très « petit bourgeois » dans son veston pincé, sombre de teinte, vérifie les plombs aux armes du ministère de la justice, et prend possession du fourgon. Au pas d’un cheval, celui-ci sort bientôt de la gare. Et lugubrement, les roues sautillantes résonnent sue le pavé qu’une averse a fait briller.
Deux heures auparavant, à minuit, les forces de police gendarmerie, gardes mobiles, piquets de soldats, brigades cyclistes, agents de police, avaient pris possession d’un vaste quadrilatère de terrain dont la prison Saint-Joseph occupait le centre.
Les ordres du Parquet général sont précis : délivrance de quelques rares coupe-fils à ceux qui par profession doivent assister à l’exécution. Les barrages maintiennent la foule à une respectable distance : ils étendent leurs cordons de troupe : place de Metz, à l’entrée des rues de Strasbourg, Beccaria, rues du Manège, Marcheval, à l’angle des rues Champollion et Fantin-Latour. Les sapeurs du 4ème génie et les artilleurs du 93ème attendent, immobiles, l’arme au pied. Les autos sont détournés. La foule se masse. On remarque sur place M. M. Dubosc, commissaire central, M. Cuvelier, chef de la Sûreté ; commandant de gendarmerie Dubled, capitaine de gendarmerie Garnier ; les officiers de paix Poulat et Bellet, plusieurs officiers du 93ème R.A et du 4ème génie.
Les ordres sont exécutés à voix basses, la foule est muette derrière les barrages. Attente angoissée. Un groupe de gardiens devise sur la porte de la prison avec des magistrats. Il dort !
A deux heures quarante-cinq, un frémissement parcourt cette foule : la masse sombre du fourgon-voiture cellulaire se détache sur la lumière calotte de la rue. Le fer des roues bruisse désagréablement sur le sol. Les sabots du cheval martèlent l’asphalte avec d’étranges résonances. La voiture s’immobilise face à la prison. Et le travail des hommes noirs commence. Leurs ombres inquiétantes durant près d’une heure d’horloge s’agiteront…minutieusement.
Puis le temps perd sa valeur. Les minutes paraissent séparées par d’interminables trous.
Le montage de l’horrible machine commence, face à la prison.
Du fourgon cellulaire de M. Deibler, les aides sortent avec délicatesse les pièces de la guillotine. Matériel soigné, bien astiqué, silencieusement rangé maintenant contre le mur.
Les aident travaillent du niveau, calent minutieusement les pièces maîtresses qui assurent la base de la machine, avec des petits morceaux de bois. Les montants s’adaptent sans bruit dans les rainures du socle. Seuls les cuivres des coulisses brillent au feu de la lampe qui illumine trop crûment la scène… Tous ces gestes ont lieu sans heurt, dans un automatisme absolu. Soudain, une pluie fine se met à tomber, ternissant les casques des soldats.
A 3h. 1/2. la guillotine est en place, sinistre avec des bois dressés dans la nuit. Un groupe de personnalités s’est formé, à cinquante mètres de la prison. On reconnait des magistrats, l’avocat de Rocchini, Me Gonnon ; un greffier. Puis M. Susini, préfet de l’Isère, arrive. Ces hommes entrent en colloque, à voix basse. L’exécuteur vérifie sa machine.
« Allons-y, messieurs ! …»
Et silencieusement le groupe franchit la porte de la prison qui s’est ouverte.
L’EXECUTION4h. 05. Les magistrats pénètrent dans la cellule de Rocchini. Celui-ci dort à poings fermés.
— Ayez du courage Rocchini, votre grâce a été refusée. « l’heure d’expier est arrivée. »
Le colporteur se lève comme un automate. Il demande à entendre la messe, écrit plusieurs lettres. Me Gonnon exhorte Rocchini au courage.
—
J’en aurai…Ce seront ses seules paroles. La toilette est attivement poussée. Rocchini fume coup sur coup plusieurs cigarettes, il accepte le verre de rhum.
4h. 50. Soutenu par les aides, Rocchini apparait dans l’ombre du porche, tache livide, surmontée d’une immense chevelure crépue.
4h. 52… Le couperet tombe.
Justice est faite. Un misérable a expié.
Un fourgon, escorté par quatre gendarmes à cheval, part au grand trot. Il emporte la dépouille de Rocchini vers le coin solitaire du grand cimetière où l’exécuté dormira son éternel sommeil dans le carré des suppliciés.
R. GANDRILLE
(1) 1862. François-Gabriel Gresse. Voir : http://freneydoisans.com/freneytique/un-instituteur-du-bourg-doisans-guillotine/
GRENOBLE. L’ancienne prison Saint-Joseph (maison d’arrêt). Détruite en 1973.