Pour mettre main basse sur les économies de la famille et se venger des reproches que les siens lui font sur sa vie de débauche, un garçon tailleur de 19 ans de Beaumont-sur-Vingeanne (canton de Mirebeau-sur-Bèze), Nicolas Guignard, n'a pas hésité à massacrer sauvagement son père et ses deux sœurs.Le lundi 1er février 1858, à 9 heures, les habitants de Beaumont-sur-Vingeanne remarquent que les portes de l'épicerie de Jean Maurice Guignard, rue du Château, en face de l'église, restent obstinément fermées, tout comme les volets de la maison où le commerçant habite avec ses trois filles et son fils, son épouse Claudine, née Lupuis, étant décédée. Ce n'est pas habituel et ce silence qui semble régner tout autour devient vite pesant et suspect. Alors, deux personnes entrent dans la boutique en passant par la porte de l'écurie qui était restée ouverte. Elles aperçoivent aussitôt le cadavre du commerçant étendu sur le pavé de la cuisine, face contre terre, au milieu d'une mare de sang. Prévenu, le maire de la commune se rend sur les lieux où l'attendait "le plus horrible spectacle". La tête de Maurice Guignard présente quatre blessures profondes provoquées par un instrument tranchant et le crâne porte les traces de nombreuses blessures. L'assassin ne lui a laissé aucune chance, la mort a dû être instantanée. Les armes du crime se trouvent là, sur un meuble de la cuisine : un marteau ensanglanté et une hache teinte de sang et, à côté du cadavre, un couteau à lame courte et fine.
ACHARNEMENT SUR ANTOINETTE
Pris d'un doute et craignant le pire, le maire se hâte de monter à la chambre du premier étage, où couchaient, dans deux lits contigus, trois des enfants Guignard. Dans l'un, Nicolas, 19 ans ; dans l'autre, Antoinette, âgée de 23 ans et Marie, 11 ans. La troisième fille, Reine, 14 ans, n'est pas à Beaumont. Elle est allée passer l'hiver auprès de sa grand-mère en Haute-Saône. Dans cette chambre des enfants, le spectacle qui se présente au maire et aux curieux qui le suivent est encore plus affreux. Antoinette et Marie gisent dans le lit, leurs têtes sillonnées de blessures et les visages couverts de sang, draps, oreillers et couvertures étant également inondés. La tête de l'aînée est horriblement mutilée et porte, sur le côté gauche, huit ou dix blessures mortelles. Le crâne est brisé ; les dents déracinées et refoulées dans la bouche, bref la tête de la pauvre fille n'est plus qu'un amas informe d'os et de chair. Manifestement l'assassin s'est acharné sur elle. Le sang a jailli vers le plafond, les murs, les carreaux et les rideaux. Quant à la figure de Marie, la plus jeune de la famille, elle est couverte de sang coagulé ; sa tête porte trois blessures mortelles du côté gauche, l'une d'elles mettant entièrement à découvert la masse encéphalique.
Aucune trace de lutte ou de résistance dans la chambre ; les victimes ont été frappées pendant leur sommeil et la mort a dû être instantanée. Le lit de Nicolas, placé bout à bout contre celui de ses sœurs, découvert et froissé, est vide. On s'y était couché. Les draps du côté de la tête sont tachés de légères gouttes de sang. La chemise ensanglantée de Nicolas se trouve sur le lit de ses sœurs. Le vol a suivi ce triple assassinat. En effet une armoire de la chambre du père est restée entr'ouverte. L'argent qui s'y trouvait a disparu. Dans la boutique, le tiroir de la banque a été déplacé. Les économies d'Antoinette ont disparu également. Le seul survivant des quatre personnes de la maison a disparu et il devient le suspect n°1.
POUR UNE FEMME
La veille, dimanche 31 janvier, Nicolas était allé à la messe de 10 heures. Cela faisait bien trois années qu'il n'avait pas mis les pieds dans une église. À midi, son père reçoit une lettre de Me Charles Elie, huissier à Dijon, 31 rue du Condé (actuelle rue de la Liberté entre la rue Bossuet et la place de la Libération), qui se dit victime d'une escroquerie de la part de son fils. Ce n'est pas la première lettre du genre. Voici quelques jours, le concierge du palais de justice, Jean Trémy, un brave qui connaissait bien la famille Guignard, s'était plaint d'un vol de six couverts d'argent. Alors forcément, M. Guignard, homme d'honneur, commerçant irréprochable, ne supporte pas. Nicolas est la honte de la famille.
"Heureusement que votre pauvre mère n'a pas vu tout cela" a dû confier plus d'une fois le père Guignard à ses filles. Les reproches deviennent alors plus vifs, le ton monte en ce dimanche. Il menace son fils de le faire mettre en prison. Antoinette, qui ne supporte pas non plus la vie dissolue de son frère, lui reproche une récente condamnation pour vol par le tribunal de Joigny (Yonne).
Or Nicolas qui s'ennuyait chez son père et était tourmenté d'un désir brûlant de revoir Clara, une fille soumise qu'il connaît à Dijon, voulait continuer à s'amuser avec ses camarades et à aller voir des femmes rue Vannerie ou rue du Chaignot à Dijon. Tailleur de profession, il n'a jamais réussi à tenir plus de deux mois chez ses employeurs successifs à Gray, à Joigny, à Beaune, à Dijon. Il aime la vie facile et songe en fait à faire travailler une certaine Clara, prostituée de Dijon dont il s'est amouraché. Mais pour l'installer à Paris, Nicolas a besoin d'argent. Comment se le procurer ? En faisant disparaître les siens. Prévoyant, il avait caché le 24 ou le 25 janvier, près de son lit, un énorme marteau avec lequel il va tuer ses sœurs qui auraient pu être un embarras pour lui avant ou après le parricide qu'il avait décidé de commettre.
"OH ! MON PARRAIN, MON PARRAIN..."
Après le repas pris en famille en ce dimanche, il s'en va au café William pour boire avec ses copains, en particulier Jean Chavonnet et le fils Bourgeois. Il n'a pas de sous sur lui et, une fois de plus, ce sont ses sœurs qui viennent à son secours : la petite lui donne 1F 50 et l'aînée 1F. Jusqu'à 21 heures, Nicolas va traîner son ennui chez William et aussi au café Gerroz, au cabaret d'Antoine Perron : il a reconnu par la suite avoir bu deux bières, de l'absinthe, deux litres de rouge... entre quatre compagnons de beuverie. Avant de monter se coucher, il boit une petite goutte d'eau de vie avec son père. Dans leur chambre de cinq mètres de long où trône un poêle au milieu de la pièce, sœurs et frère commentent la loterie que les sœurs avaient tiré au café William. Marie et Antoinette s'endorment, Nicolas lui, veille jusqu'à une heure.
C'est alors qu'il va prendre son marteau et se met à les frapper alternativement avec une violence incroyable. Réveillée par le premier coup donné à Antoinette, Marie cherche à implorer son frère :
"Oh ! mon parrain, mon parrain..." Mais le frère, qui est aussi le parrain de Marie, continue de frapper les pauvres filles. Craignant qu'elles ne succombent pas à ses coups, il va chercher une hache dans le grenier et leur inflige de nouvelles blessures. Après ce double crime, il descend au rez-de-chaussée dans l'intention d'assassiner son père dans son lit. Il s'arrête dans la cuisine pour boire un peu d'eau de vie, mais en replaçant la bouteille, il heurte un meuble de la pièce. Son père s'éveille et crie :
"Qui est là ?" Nicolas ne répond pas, se blottit contre le mur, la hache à la main. Jean Maurice Guignard se lève, entre dans la cuisine sans l'apercevoir. Mais au moment où il passe devant son fils, celui-ci lui porte, à deux mains, un coup de hache sur la tête en criant :
"C'est moi..." Le père tombe dans le sol sans un cri, tandis que le fils continue de le frapper.
À MIREBEAU, COMME SI DE RIEN N'ÉTAIT
Nicolas fait ensuite main basse sur tout l'argent qui se trouve à portée de sa main et prépare aussitôt un alibi. On le saura après de la bouche même de Nicolas : après ces odieux assassinats, il devait partir pour Mirebeau-sur-Bèze avec Jean Chavonnet, y passer la matinée avec lui pour détourner tout soupçon. Vers 5 heures, il va donc frapper chez son camarade et voilà les deux compères en route "pour aller acheter de la réglisse" au chef-lieu de canton. En chemin, Nicolas va s'arrêter à trois reprises, prétextant un besoin urgent. En fait il cache, à chaque arrêt, le produit du vol dans la maison sous une niche de pierres sur le chemin vicinal qui conduit de Beaumont au chemin des Romains. On y trouvera une somme totale de 204 F 15. Arrivés à Mirebeau à près de huit heures, ils se rendent au café tenu par Jeanne Girod. Nicolas Guignard est vêtu d'un paletot, coiffé d'une casquette, l'air tranquille, fumant sa pipe. Les deux "pays" se font servir une bouteille de vin et du pain. Pour détourner toujours les soupçons, Nicolas se montre chez l'horloger à qui il demande de remettre une aiguille à sa montre. Il va aussi acheter deux billets pour aller à Dijon, l'un pour lui, l'autre pour son père...
A leur retour à Beaumont, les deux compères croisent M.Bachelet, près de la vieille tuilerie, qui s'adresse à Guignard :
"Il y a un joli théâtre chez vous ! Ton père et tes sœurs sont tués...". Or cette affreuse nouvelle ne produit aucun effet chez le garçon qui sera arrêté à 11 heures, par le garde champêtre sur le cri de l'opinion publique. Confronté avec les cadavres de ses trois victimes, Nicolas Guignard reste impassible et supporte, à diverses reprises, sans aucune émotion, cette épreuve terrible. Puis il se mure dans le silence. On le déshabille en présence du commissaire de police de Mirebeau et on trouve sur son genou une large tache de sang. Nicolas s'obstine toujours après cinq heures d'interrogatoire. Ce n'est qu'au milieu de la nuit suivante qu'il avoue devant les gendarmes. Il donne les détails avec beaucoup de sang froid, puis s'endort d'un sommeil paisible.
LE TÉMOIGNAGE CAPITAL DE CLARA, "FILLE SOUMISE"
En 1857, Nicolas Guignard fréquentait plusieurs maisons de prostitution dont une qui se trouvait au n°3 de la rue du Chaignot et l'autre au 9 de la rue Vannerie à Dijon. Celle-ci était tenue par Lucie Stéphanie Duhamel, âgée de 29 ans. Plusieurs filles y travaillaient, dont Pauline Hanot, dite "Clara", 22 ans. Nicolas Guignard avait le béguin pour elle mais pas les moyens de payer ses services et encore moins de l'entretenir. La patronne des filles soumises s'en plaignait :
"Il me devait déjà trois nuits à 5F. Je ne pouvais pas continuer à lui donner ainsi des dames pour rien. Il est allé chercher de l'argent et nous l'avons laissé passer deux nuits, l'une avec Clara, l'autre avec Rachel...".
Clara a déclaré de son côté :
"Dès les premiers jours de décembre, Nicolas Guignard, que nous avions surnommé Riquet, est venu rester une dizaine de jours dans la maison Duhamel où j'habite. Il a couché avec moi les 2, 3 et 4 décembre. Comme il ne me donnait pas d'argent, j'ai signifié à la fille Duhamel que je ne voulais pas continuer ces relations. Lorsque Guignard l'a appris, il m'a fait des promesses. Il me disait que son père était riche et que celui-ci lui enverrait bientôt de l'argent et qu'il me paierait généreusement mais je refusai."
"Le 12 décembre il est revenu et m'a dit que son père lui avait donné de l'argent et j'ai couché encore deux nuits avec lui. Il a ajouté qu'au mois de janvier il aurait à sa disposition 2 ou 300 francs provenant de son père et que nous partirions ensemble à Paris. Puis je ne l'ai pas revu". Clara confiera encore au juge d'instruction que
"Guignard avait les sens très peu ardents ; il ne me recherchait pas du tout lorsque nous étions couchés. Au moral je lui connais un caractère faible et je suis persuadée qu'une femme qu'il aurait aimée lui aurait fait faire tout ce qu'elle aurait voulu, même les choses les plus répréhensibles". Enfin Clara, dont le témoignage dans cette affaire était capital, a encore expliqué devant le magistrat instructeur que Guignard avait un vif attachement pour elle, bien qu'elle le détestasse.
"Dès les premiers moments où il m'a connue, il me disait qu'il avait de l'argent et me ferait partir de la maison (Duhamel)..." D'après le témoignage d'une autre prostituée, Léonie Massenot, 21 ans, Guignard attendait qu'à sa majorité son père lui rende des comptes et qu'avec l'argent il monterait une maison de prostitution. Mais Nicolas n'aura pas attendu le jour de ses 20 ans le 10 juin pour toucher la somme à laquelle il croyait avoir droit.
CONDAMNÉ À MORT ET EXÉCUTÉ
Le 27 février 1858, la foule se presse aux portes du palais de justice de Dijon pour entrer dans la salle d'assises. On est venu de tout le canton de Mirebeau pour voir ce jeune homme de 19 ans, la tête enfoncée dans les épaules, les yeux toujours baissés et les paupières perpétuellement agitées par une sorte de contraction nerveuse. Tous les témoins, du curé à l'instituteur, évoquent son caractère
"triste, sombre et sournois". Au deuxième jour du procès le 28 février, le procureur général de Mongis présente un accusé qui n'a pas d'âge, qui n'est
"ni un enfant ni un vieillard, ni un homme : c'est un monstre d'insensibilité que la débauche même repousse et que la société doit repousser à son tour". Effectivement le parricide et assassin ne bénéficie pas de circonstances atténuantes. Il est donc condamné à mort. Un mois plus tard il était exécuté.
SOURCES :
- Archives départementales de la Côte-d'Or, série 2U 1465 et 2U 367.
- "Le Moniteur de la Côte-d'Or", 1er mars 1858.
Le Bien Public - Les Dépêches. Charles MARQUEShttp://www3.bienpublic.com/dossiers/decouverte/crime1.html