http://www.galerie-peintures.com/Tableaux_Celebres/Ademollo_Carlo/Execution-de-Felice-Orsini_110.html
http://laplumeetlerouleau.over-blog.com/article-1858-l-italienorsini-s-en-prend-a-napoleon-iii-40491226.html
http://www.napoleontrois.fr/site/index.php?2008/12/02/303-l-attentat-d-orsini
Lien mort http://books.google.fr/books?id=Xug2BPZvcLcC&dq=ex%C3%A9cution+Felice+Orsini&printsec=frontcover&source=bl&ots=Q8d2BVm7tl&sig=wI4bGfSL7ZmyynDK_kB5kmwkW8A&hl=it&ei=FPU4S9XsMZqknQPL-8DPBA&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CAgQ6AEwAA#v=onepage&q=&f=false
http://www.archive.org/stream/lesconspirateur02marcgoog/lesconspirateur02marcgoog_djvu.txt
Pour info: il y a une toute autre variante à l'exécution ...
L'attentat d'Orsiniposté le mardi 2 décembre 2008 dans la catégorie La France de Napoléon III :: #303 :: rss
2008 n'est pas uniquement l'année du bicentenaire de la naissance de Napoléon III ; c'est également le cent-cinquantième anniversaire de l'attentat d'Orsini, prélude à l'engagement de l'Empereur en faveur de l'Italie.En souvenir de cet évènement tragique, je vous livre le récit, délicieusement désuet, du comte Fleury et de Louis Sonolet, publié dans le numéro 134 de janvier 1958 de la revue Historia.Conspirations et attentats constituent pour les souverains et chefs d’Etat une rançon permanente du pouvoir : Napoléon III s’y vit particulièrement en butte. Les révolutionnaires s’acharnèrent contre lui. Le complot le plus tristement célèbre de son règne est celui d’Orsini. On devine le contraste qu’il apporte en face des images brillantes du second Empire, que personnifiait avec tant d’élégance l’impératrice Eugénie.
Durant les derniers jours de l’année 1857, les époux Morand, concierges au numéro 10 de la rue du Mont-Thabor, commencèrent à être fortement intrigués par le nouveau locataire du petit appartement meublé du rez-de-chaussée.
C’était un homme d’une quarantaine d’années, d’assez haute taille, parlant beaucoup et avec une très grande facilité, vêtu avec recherche. Dans son visage ouvert et sympathique qu’encadraient une barbe épaisse et d’abondants cheveux noirs, de petits yeux brillaient d’un éclat extraordinaire.
L’ensemble révélait de la distinction et aussi une origine méridionale. Cependant il se disait Anglais, marchand de bière et, faisant de la location, il avait donné comme nom Thomas Allsop. Rien de britannique non plus dans son accent, mais, en revanche, une pointe d’italien.
Autre anomalie plus surprenante, il possédait un cheval, un bai brun d’assez belle race, propriété assurément peu commune chez un locataire de garni. Il faisait sur lui de fréquentes promenades du côté du bois de Boulogne. Le reste du temps il demeurait au logis, invariablement solitaire.
-
Quand voit-il donc ses clients ? se demandait obstinément la curieuse Mme Morand.
En vain s’adressa-t-elle à mots couverts au domestique de M. Allsop, autre Anglais petit et chétif à mine blafarde. Elle n’en put tirer que d’évasives et brèves répliques.
Ce domestique nommé Swiney constituait lui aussi pour les concierges un sujet d’étonnement. A plusieurs reprises ils l’avaient aperçu mangeant à la table de M. Allsop et ils s’étaient scandalisés d’une telle familiarité.
Ce ne fut qu’à partir du 8 janvier 1858 que deux visiteurs firent de fréquentes apparitions dans l’appartement.
D’une cinquantaine d’années environ, l’un possédait un visage chafouin qu’éclairait l’oblique lumière d’un regard fuyant et unissait à des façons brutales une énergique allure de dérision. Il s’appelait Andréas et passait pour Allemand.
L’autre, très modeste dans sa mise, était un jeune homme de vingt-cinq ans à la physionomie avenante et fine, à la tournure aristocratique. Il se nommait Da Silva et on le disait commis-voyageur pour le compte d’une grande brasserie.
De fréquents entretiens réunirent ces deux nouveaux habitués de M. Allsop.
Sans doute s’agissait-il d’une affaire commerciale. Non, le but de ces pourparlers n’aurait pu qu’inspirer l’horreur. Sous leur paisible couvert où revenaient les mots de bière brune, bière blonde, ale, livraison de marchandises, se tramait le plus effroyable complot contre la vie de Napoléon III.
Les étonnements du ménage Morand se seraient sans doute changés en inquiétude, s’il avait pu suivre le locataire du rez-de-chaussée dans ses courses équestres à travers le bois de Boulogne. Il les dirigeait de façon uniforme du côté où l’Empereur faisait presque quotidiennement sa promenade à cheval du matin.
Un jour qu’il l’avait rencontré descendant une des grandes allées au pas, sans nulle escorte, entre son aide de camp, le général Ney, et son écuyer, M. de Valabrègue, il avait murmuré entre ses dents :
-
Il n’a pas peur.Pourquoi ce marchand de bière constatait-il avec une mine si intéressée cette absence totale de précautions ?
C’est que sous ce nom et sa profession d’emprunt il dissimulait une révolutionnaire des plus notoires mêlé depuis longtemps aux entreprises du parti anarchiste italien. Il s’appelait Felice Orsini et se targuait d’un peu authentique titre de comte.
Italiens comme lui, son domestique et ses deux visiteurs avaient vécu, eux aussi, dans une orageuse atmosphère de révolte et d’émeute. Swiney, le pâle valet mal stylé, avait pour vrai nom Gomez. Le rude et tortueux Andréas s’appelait Piéri. Et les manières affables du commis-voyageur Da Silva cachaient mal le descendant d’une noble famille vénitienne, Charles de Rudio.
Quel enchaînement de circonstances avait uni ces quatre hommes pour leur sanglante besogne ? Nous le saurons en pénétrant au café Suisse Teach situé à Londres dans Titchbourne street, étroite rue maussade et sombre.
Les habitués en sont tous des réfugiés de diverses nationalités, exerçant de vagues métiers d’occasion, mais dont la véritable occupation consiste à comploter contre tous les souverains de l’Europe, hormis la reine Victoria respectée pour l’hospitalité qu’elle accorde aux naufragés de la politique.
A la table du fond, voici l’Allsop et l’Andréas de la rue du Mont-Thabor connus ici sous leur vrai nom d’Orsini et Piéri. Entre eux déclame avec force gestes véhéments un petit homme mieux vêtu que le commun des réfugiés.
C’est un Français, le docteur Bernard, ancien chirurgien de marine. Il incarne le type accompli du meneur, mais du meneur prudent qui organise avec sagacité et méthode et se retire régulièrement au moment du danger.
C’était lui qui, un mois auparavant, avait amené au café Suisse Orsini dont le nom n’y était pas inconnu. Plusieurs habitués savaient qu’en 1845 il avait été condamné aux galères perpétuelles pour conspiration contre le gouvernement pontifical, puis qu’amnistié au bout d’un an, il avait en 1849, été nommé député à l’Assemblée constituante romaine et commissaire extraordinaire à Ancône et à Ascoli. Il se chargea lui-même de rappeler tous les détails de sa vie d’intrigues et de conspirations, de son arrestation à Vienne et de sa courageuse évasion de la citadelle de Mantoue.
Orsini tirait très grande fierté de cette odyssée. Recherchant, avant tout, le bruit autour de son nom, il portait en lui une âme de héros théâtral et racontait volontiers qu’en Italie et en Angleterre les femmes sortaient sur le seuil de leur porte pour le voir passer.
En quoi la mort de Napoléon III pouvait-elle servir la cause de la liberté italienne ? Orsini l’expliquait ainsi :
-
L’Italie ne peut rien faire de durable sans l’aide de la France républicaine. Celle-ci nous tendrait la main. Mais Napoléon III a mis fin chez elle aux espérances des partis avancés. Qu’il disparaisse, ce sera la révolution en France et aussitôt, par contre-coup, la révolution de l’autre côté des Alpes.L’engin de mort choisi ne menaçait pas seulement l’Empereur. Il avait été décidé par le sinistre trio qu’on assassinerait celui-ci au cours d’une de ses sorties à l’aide de bombes lancées à la main.
En sa qualité d’étranger, le conspirateur pouvait éprouver de grosses difficultés à trouver en Angleterre un fabricant qui consentît à se charger de la fabrication de ses bombes. Aussi s’ouvrit-il de son projet à un Anglais du nom d’Allsop, ce nom qu’il allait cavalièrement lui emprunter pour louer le petit appartement de la rue du Mont-Thabor.
Candeur ou demi-complicité, cet Allsop accepta et livra les six bombes commandées.
Pour les lancer, il fallait se trouver au moins trois ou quatre. Or, tout en s’occupant avec le zèle le plus actif de l’organisation de l’attentat, le prudent Bernard manifestait déjà son intention arrêtée de n’en point courir les risques.
Qui donc Orsini et Piéri allaient-ils s’adjoindre ? Le hasard les servit. A la fin d’octobre 1857, le chef du complot rencontra dans une rue de Londres un de ses compatriotes nommé Gomez, pauvre hère de souche infime et d’esprit crédule et balourd.
Il l’invita à venir le voir dans sa maison de Grafton street. Là il échauffa ses sentiments républicains.
-
Nous allons soulever l’Italie, lui dit-il,
soyez des nôtres.
C’était un moyen de vivre qui s’offrait. Gomez accepta, sans bien savoir ce qu’on attendait de lui.
Aux premiers jours de décembre, tout était prêt pour l’attentat.
Bernard avait réussi à se procurer un passeport pour la Belgique. Il se réserva le soin de faire parvenir d’abord à Bruxelles les bombes livrées par Allsop. Pour cela, il lui fallait l’aide d’une personne qui ne fût pas du complot et qui prêtât son concours en toute confiance, sans soupçonner à quelle exécrable entreprise on l’associait.
Le rusé metteur en œuvre songea à Joseph Giorgi, frère du tenancier du café Suisse. Ce solide montagnard des Grisons allais se rendre à Bruxelles pour y être employé dans un café portant également le nom de café Suisse et situé place de la Monnaie.
Bernard le fit venir chez lui et lui remit dix demi-bombes en fonte, c’est-à-dire cinq bombes divisées chacune en deux. Le garçon de café manifesta quelque étonnement :
-
Qu’est-ce que c’est que ces ustensiles, monsieur Bernard ?-
Des appareils d’invention nouvelle pour le gaz. Vous les garderez avec vous. On viendra les chercher au café Suisse de Bruxelles.Giorgi prit la mer sans la moindre arrière-pensée. A la douane d’Ostende, fidèle observateur de la consigne reçue, il présenta les objets comme des appareils à gaz et paya ce qu’on lui réclama pour les droits.
Arrivé à Bruxelles, il les déposa, enveloppées dans du papier, sous le comptoir du café où il venait servir. Bernard se présenta lui-même pour les prendre.
Dès avant le départ d’Orsini, le complot transpira. Imprudence ? Trahison ? On ne saurait dire. Un Français habitant Londres, M. Mitchell, reçut alors la visite d’un inconnu à la tenue misérable qui lui demanda de le présenter à l’ambassadeur de France, ayant, assurait-il, d’importantes révélations à lui faire.
Notre compatriote l’engagea à s’adresser directement au chancelier de l’ambassade et l’homme se retira.
Mais le lendemain, M. Mitchell reçut une lettre anonyme ainsi conçue :
«
On a résolu de tuer Napoléon. C’est un nommé Félibien (sic) Orsini qui est chargé de la chose. Il part dans quelques jours pour le continent.»
Le destinataire de la lettre s’empressa de l’envoyer à M. Billault, ministre de l’Intérieur.
En effet, l’auteur de la sanglante tragédie qui se préparait quitta Londres le 7 décembre. Arrivé à Bruxelles, il descendit à l’hôtel de l’Europe où Bernard vint lui rendre une dernière visite.
La veille de son départ pour Paris, Orsini fit une acquisition imprévue : le fameux cheval bai brun sur lequel on devait le voir se promener au bois de Boulogne.
Il avait décidé de confier les bombes à l’homme qui conduirait le cheval à Paris. Qui pourrait se méfier de ce voyageur modeste et de bonne foi ?
Mais il s’agissait, avant tout, de découvrir quelque esprit simple capable de bien tenir le rôle. On s’adressa pour cela au complaisant Giorgi. Il indiqua aussitôt un naïf de sa trempe dans la personne de son camarade Zeghers, garçon de service au café Suisse de Bruxelles.
Le 11 décembre, le bai brun ayant été placé dans un box du train de France, Zeghers, honnête figure rougeaude de paysan à peine dégrossi, voit arriver Giorgi sur le quai de la gare au moment précis du départ.
Au camarade qui s’en va, Giorgi apporte les dix demi-bombes dans un sac avec prière de les remettre à l’arrivée au propriétaire du cheval. Celui-ci doit se trouver à la gare du Nord, quand le train arrivera.
Aiguillonné par l’appât d’un plus gros pourboire, le nouveau commissionnaire accepte d’aussi bon cœur que le premier. A l’exemple de celui-ci, en passant à la douane française, il déclare les bombes comme des appareils nouveaux pour le gaz.
Muni de son passeport au nom d’Allsop, Orsini se rend à Paris dans le même train que Zeghers. A côté de lui, dans son wagon de première classe, il a posé un grand sac de nuit à rayures de l’aspect le plus bonhomme. Qui le croirait ? Ce contenant paisible et familial cache, enveloppées dans du linge et du papier, deux livres anglaises de poudre fulminante fabriquées par Orsini lui-même pour l’éclatement des bombes.
Au moindre échauffement, elles peuvent s’enflammer et provoquer une formidable explosion. Aussi le voyageur l’humecte-t-il de temps en temps, mais, pendant cette opération, sa mine reste si calme, si indifférente, que ses voisins ne peuvent soupçonner l’effrayant péril que la locomotive entraîne à côté d’eux.
En arrivant au débarcadère, le 12 décembre au matin, le chef du complot remet à Zeghers une carte portant l’adresse de l’hôtel de Lille et d’Albion, rue Saint-Honoré. C’est là qu’il compte descendre et qu’il descend, en effet, ce même jour. C’est là qu’on prendra livraison du bai brun et du sac contenant les appareils à gaz.
Par les rues de la grande ville, l’innocent commissionnaire s’en va, tenant d’une main la bride de l’animal, de l’autre son chargement de bombes. Il remet tranquillement les dix pièces de fonte entre les mains d’un garçon d’hôtel.
Orsini est déjà arrivé et se tient dans la chambre qu’il vient de retenir. Un moment après, il descend dans le vestibule d’entrée…
Seconde de stupeur ! Sur le divan de velours rouge qui borde un des côtés, tous les morceaux des bombes sont étalés et soigneusement alignés à côté d’une brosse et d’une étrille.
En hâte, le révolutionnaire les emporte dans sa chambre et les serre avec quatre pistolets que Piéri a achetés à Birmingham. Trois jours après, il s’installe dans le petit appartement de la rue du Mont-Thabor.
Le 6 janvier, Piéri et Gomez quittèrent Londres et se rendirent chez Orsini. Ils allèrent ensuite retenir une chambre et deux lits à l’hôtel de France et de Champagne, rue Montmartre.
Trois jours après, dans la matinée, un jeune homme d’assez fière tournure, mais vêtu d’une redingote rapiécée et coiffé d’un vieux chapeau déformé, se présenta à l’appartement de la rue du Mont-Thabor.
Introduit auprès d’Orsini, il lui présenta une paire de lunettes en or. C’était un signe convenu avec Bernard.
Le faux Allsop lui tendit la main. Il avait devant lui le quatrième lanceur de bombes souhaité par ses complices et recruté à temps. Celui-ci appartenait à une noble famille vénitienne ruinée dans les intrigues politiques et s’appelait Charles de Rudio.
Après avoir fait partie du corps de cadets, il menait depuis plusieurs années une vie errante et misérable. Ce dénuement uni à un patriotisme exalté le disposait d’avance à entrer dans une conspiration révolutionnaire, ne fût-ce que pour s’assurer quelques maigres ressources. C’est ce qu’avait indignement exploité le misérable Bernard, pourvoyeur en permanence.
Deux mois auparavant, Rudio avait écrit à Orsini qu’il ne connaissait encore que de réputation :
«
Pour ne pas laisser mourir de faim mon pauvre enfant et ma femme, j’ai mis en gage mon unique paletot, m’enfermant chez moi jusqu’à ce que la Providence le fasse dégager. Et ce qui m’épouvante le plus, c’est que samedi prochain, si je ne paie pas ma chambre, je serai dans la rue à mourir d’inanition. »
A Paris, on lui demande si on peut avoir confiance en lui, s’il promet de ne pas trahir. Le Vénitien s’indigne :
-
Jamais je n’ai été, jamais je ne serai un traître !Alors Orsini ouvre un placard et en tire une bombe enveloppée de soie noire dont il lui explique la composition.
-
Il faudra, déclare-t-il,
en jeter une semblable sous la voiture de l’empereur dans l’endroit où je vous conduirai.Rudio reste un moment silencieux, écrasé sous l’horreur du forfait auquel on lui demande de prêter la main. Mais, déjà, on l’a soupçonné de délation auprès du gouvernement anglais. Une reculade lui paraît impossible et il assure qu’on peut compter sur lui.
Il a été décidé qu’on attendrait un soir où l’Empereur se rendrait à l’Opéra. Les conciliabules succèdent aux conciliabules. On achète des pistolets et on se les distribue.
Mais ce sont surtout les bombes qui serviront à consommer l’attentat. Orsini s’est occupé de faire sécher sa poudre fulminante. Il l’a, d’abord, exposée à l’air. Puis, comme elle ne sèche pas assez vite ainsi, il l’a mise près du feu.
Opération terriblement périlleuse ! Le conspirateur se tient devant sa cheminée, sa montre dans une main, un thermomètre dans l’autre, afin de mesurer avec exactitude les conditions de temps et de chaleur dans lesquelles la poudre peut rester devant le feu sans faire explosion. Qu’une parcelle tombe dans le foyer, et il se fait sauter, lui et toute la maison.
Le jeudi 14, Orsini passe vers cinq heures de l’après-midi à l’hôtel de France et de Champagne. Il y demande sous leurs faux noms Piéri et Rudio.
-
Ces messieurs ne sont pas là, répond l’hôtelier.
Mais ils doivent rentrer vers cette heure-ci.Le chef de la conspiration attend patiemment. Enfin voici ses compmlices.
-
C’est pour ce soir, leur dit-il.
Et il les informe que l’Empereur et l’Impératrice doivent assister à une représentation extraordinaire donnée à l’Opéra au bénéfice du chanteur Massol. Dans trois heures va éclater le terrifiant attentat.
On se distribue les rôles et les bombes. Les deux plus grosses sont remises à Rudio et Gomez. Orsini en garde deux plus petites et Piéri prend la cinquième de dimension semblable à celles d’Orsini. Elles sont enveloppées dans des mouchoirs de soie noire.
Il est entendu que, dès que la voiture impériale arrivera à la hauteur des conjurés, Gomez jettera le premier son engin de mort. A la faveur de l’émoi ainsi occasionné dans la foule, ses compagnons l’imiteront immédiatement après.
Pendant qu’on règle ainsi l’exécution du drame, les visages pâlissent. Orsini sent le besoin de ranimer des courages qui vont peut-être défaillir. Il donne à Gomez l’ordre de faire chauffer des bouteilles de vieux vin. Les verres se choquent et l’on boit à la réussite de la monstrueuse entreprise qui va jeter cent cinquante-six victimes sur le pavé sanglant.
Sept heures, Piéri et Rudio partent les premiers et gagnent les grands boulevards remplis de monde. Ils ont reçu mission d’explorer les abords de l’Opéra situé, à l’époque, rue Le Peletier.
Gomez les rejoint deux minutes avant 8 heures. Un étrange état de gaieté nerveuse s’est emparé de lui. D’un air triomphant, il montre les gants dans lesquels il a, de façon inusitée, emprisonné ses grosses mains :
-
Je viens de les acheter. Regardez comme ils sont beaux !A son tour, Orsini paraît. Il est 8 heures, le moment annoncé pour l’arrivée des souverains. Les quatre complices se rapprochent de l’Opéra.
Une foule énorme se presse aux abords du théâtre. Tout autour d’eux les conjurés voient des figures joyeuses de femmes, de jeunes filles, d’enfants ; ils entendent leurs voix, leurs rires.
Cela ne suffit pas à toucher leur cœur farouche. Impassibles, ils demeurent résolus dans leur projet de carnage et de dévastation. Les postes ont été bien nettement assignés par Orsini. Il a placé Gomez, celui dont le courage inspire le plus de doute, en avant, plus près du boulevard, et il lui a dit d’un ton de commandement : -
Reste là. Après vient Rudio ; à côté de lui, prêt à l’exciter, de la parole et du geste, Orsini ; enfin, tout près de l’entrée impériale, Piéri, l’ancien soldat des barricades dont l’énergie paraît incapable de se relâcher.
Mais qu’est-ce à dire ? Piéri abandonne son poste ! Il fend les rangs de la foule dans la direction de ses compagnons et passe devant eux sans mot dire, accompagné d’un inconnu.
Il se contente de cligner de l’œil dans la direction d’Orsini qui ne comprend pas et pense qu’il a rencontré quelqu’un de connaissance et qu’il en profite pour abandonner l’exécution du complot.
En réalité, par un hasard vraiment extraordinaire, Piéri vient d’être arrêté par un agent de police, l’officier de paix Hébert, le seul homme peut-être à Paris qui fût capable de le reconnaître.
Mais Orsini n’a guère le temps de s’occuper de la conduite de son complice. Un mouvement vient de se produire dans la foule qui l’entoure. Des vivats retentissent. C’est la voiture de l’Empereur qui arrive !
Orsini se tient avec Gomez et de Rudio sur le trottoir, en face de l’entrée principale du péristyle de l’Opéra, entre les maisons et la foule de curieux.
Un bruit sonore de sabots de chevaux sur le pavé retentit, s’accentue. Des habits blancs, des flammes de lances apparaissent dans la clarté de l’illumination du théâtre. C’est le peloton d’escorte des lanciers de la garde impériale.
Une première voiture apparaît, amenant les officiers de la Maison de l’Empereur. Une autre ralentit le pas, pour s’engager sous la grande marquise qui recouvre tout le péristyle du théâtre et s’arrêter devant un pavillon spécial affecté à l’escalier nouvellement construit pour la Cour.
Cette voiture, c’est, à coup sûr, celle de l’Empereur. Saisissant bien l’instant, Gomez lance sa bombe dans la direction de la portière. Orsini se tourne alors vers Rudio :
-
Jette la tienne.Et lui-même lance son instrument de mort au milieu de la masse étincelante des attelages et des cavaliers.
Trois explosions successives comparables à des coups de canon éclatent à quelques secondes d’intervalle, la première, en avant de la voiture impériale, la seconde plus près de la voiture et un peu à gauche, la troisième sous la voiture même.
Effroyable minute de stupeur, confusion inouïe ! Par le seul effet de la commotion, les nombreux becs de gaz illuminant la façade du théâtre se sont éteints. Les vitres du péristyle, celles des maisons voisines ont volé en éclats. Tout n’est que désordre, affolement, ténèbres tragiques.
Des cris affreux percent l’obscurité. Des chevaux se débattent, se cabrent et meurent au milieu d’effroyables hennissements. D’autres bondissent furieusement, emportent leurs cavaliers dans toutes les directions, piétinent les morts et les blessés.
Le premier moment d’épouvante passé, on a constaté que l’Empereur et l’Impératrice ont été préservés comme par miracle. Mais ils restent perdus au milieu de la nuit, des débris et du sang. Enfin, la lumière reparaît et le danger couru se révèle dans toute son horreur.
Sur les murs, sur le sol, partout, on remarque des traces profondes laissées par des projectiles de toutes formes et de toutes grosseurs. Par le seul fait de leur choc sur le pavé, les bombes ont éclaté et lancé en éventail tout leur contenu.
La marquise qui protège le péristyle de l’Opéra est perforée en plus de cinquante endroits. Les carreaux des boutiques avoisinantes ont été réduits en poussière.
Le maréchal des logis des lanciers qui tenait la portière de gauche a reçu trois blessures. Le poitrail de son cheval a été percé par un énorme projectile qui, d’après sa direction, aurait atteint la voiture de l’Empereur, s’il n’avait été ainsi intercepté. Pas un des hommes de l’escorte dont les effets ne portent les traces de l’explosion.
Atteinte de tous côtés, la voiture impériale est venue s’échouer sur le trottoir, à demi couchée sur le flanc. Des deux chevaux composant l’attelage, l’un a eu la moitié de la tête emportée et est mort sur le coup. L’autre, grièvement blessé, obéissant à l’impulsion, favorisé par la pente du terrain, malgré les efforts du cocher, blessé lui-même, est venu s’abattre à l’entrée du pavillon impérial.
Au bruit des explosions, les personnes de la Maison impériale qui se trouvent présentes ont couru tout de suite vers les souverains. Le brigadier Alessandri ouvre la portière et prie l’Impératrice de descendre. Le voyant blessé en trois endroits, elle lui dit de se retirer pour se faire panser. A des personnes qui s’empressent autour d’elle, on l’entend répondre :
-
Ne vous occupez pas de nous, c’est notre métier. Pansez les blessés.L’Empereur est descendu de voiture avec le plus grand sang-froid, complètement maître de lui-même et sans laisser percer sur son visage la moindre trace d’émotion.
Rien n’échappe à son regard toujours aussi scrutateur. Avant tout, il s’occupe de faire porter les blessés dans la pharmacie voisine où il veut, à toute force, se rendre en personne. Le commissaire de police Lanet finit par le dissuader de ce généreux dessein.
-
Sire, lui dit-il,
si le public ne voit pas Votre Majesté entrer à l’Opéra, il supposera que l’Empereur est blessé. Cette erreur peut avoir de graves conséquences.-
C’est vrai, répond Napoléon III après un silence.
Je reviendrai tout à l’heure savoir des nouvelles des victimes.
L’Impératrice avait eu sa toilette blanche éclaboussée de sang. Elle ne put, en s’en apercevant, réprimer un cri d’effroi.
-
Du calme, lui dit son mari.
On vous regarde. Voulez-vous venir ?Et, lui offrant son bras, il lui fit gravir l’escalier qui conduisait à la loge impériale. Une longue acclamation les accueillit tous deux à leur entrée dans la salle.
Un moment après, l’un des médecins de service vint prévenir l’Empereur qu’un lancier de l’escorte, mortellement atteint et déposé dans une pharmacie voisine, venait d’entrer en agonie.
Il se leva, mais à la porte du corridor, il fut arrêté par l’officier de paix Hébert.
-
Sire, objecta respectueusement celui-ci,
les auteurs de l’attentat ne sont pas encore arrêtés. Votre Majesté agirait prudemment en ne quittant pas sa loge.-
N’importe ! répondit l’Empereur d’un ton qui n’admettait pas de réplique,
je veux voir ce lancier.Il descendit, accompagné par quelques personnes de sa suite, et se rendit à la pharmacie. Le malheureux soldat qu’il venait voir était couché sur un matelas et venait de reprendre une suprême connaissance.
Sans mot dire, Napoléon III prit la petite croix en brillants qu’il portait au revers de son habit noir et l’attacha sur l’uniforme du mourant.
Il remonta ensuite dans son avant-scène où l’Impératrice l’attendait anxieuse. Après s’y être montrés encore un quart d’heure, ils firent demander leur voiture pour retourner aux Tuileries.
Un vrai triomphe, ce retour aux Tuileries par les grands boulevards qui, spontanément se pavoisèrent et s’illuminèrent, au milieu d’un escadron de cuirassiers dont le général Soumain, gouverneur de Paris, tint à prendre lui-même le commandement. Une foule énorme s’était rassemblée et combla de vivats ceux qui venaient d’échapper si extraordinairement à la mort.
Quelques jours après, Paris s’émut en apprenant le chiffre des victimes. Cent cinquante-six personnes avaient été atteintes. Douze succombèrent à leurs blessures. Sur les vingt-huit lanciers de l’escorte, douze avaient été frappés. Dans la longue liste de curieux plus ou moins éprouvés par l’explosion, on compta vingt et une femmes et onze enfants.
Mais le plus étrange peut-être de cette tragique aventure, ce fut son dénouement. Au milieu de l’atroce bouleversement de la rue Le Peletier, qu’étaient devenus Orsini, Rudio, Gomez ?
Le premier avait été blessé à la tête par l’explosion d’une des bombes et s’était trouvé instantanément couvert de sang. Aussi n’avait –il pu lancer qu’un de ses deux projectiles.
Puis, rapidement, à la faveur du tumulte, il s’était débarrassé du second et de son pistolet, en les jetant sur le pavé, à l’angle de la rue Rossini, où ils furent retrouvés, tout maculés de taches sanglantes.
Il craignait qu’en voulant le secourir comme une victime innocente, on le trouvât porteur de ces objets compromettants. Précisément, plusieurs personnes s’étaient empressées autour de lui et l’avaient conduit chez un pharmacien de la rue Laffitte qui lui donna les premiers secours.
Là, il fit demander une voiture. Orsini s’y croyait bien en sûreté et y déplorait dans la solitude l’insuccès de son atroce attentat, quand, vers quatre heures du matin, on frappa à la porte de son appartement. De son lit, où il essayait en vain de dormir, il demanda :
-
Qui est là ?La voix du concierge Morand lui répondit. Que lui voulait, à cette heure indue l’indiscret personnage ? En tout cas, mieux valait ouvrir.
Le faux Allsop y va, la tête toujours enveloppée de linges sanglants… Fâcheuse surprise ! Morand ne vient pas seul. Un commissaire de police l’accompagne.
En vain Orsini essaie-t-il de raconter qu’il est Anglais et marchand de bière. Le policier l’arrête avec la certitude qu’il tient un des coupables de l’attentat de l’Opéra. Pourtant, c’est à peine si quelques heures se sont écoulées.
Que s’est-il donc passé ?
Un certain nombre d’évènements et de constatations se sont enchaînés de façon rigoureuse. On se souvient que quelques minutes avant l’attentat, Piéri a été arrêté devant l’Opéra par l’officier de paix Hébert. Conduit au poste de police le plus voisin, on trouva sur lui une bombe, un revolver et un couteau-poignard. Il ne chercha pas à expliquer cet armement insolite. Par une singulière préoccupation qui mêle un élément comique à ce drame sanglant, il ne songeait… qu’à son parapluie. Il l’avait laissé au bureau de son hôtel. Tandis qu’on l’emmenait en prison, il demanda qu’on l’allât chercher et qu’on le remît au greffe de la Conciergerie. On fit droit à sa requête et il en éprouva la plus vive satisfaction.
-
Il y a beaucoup d’Anglais à mon hôtel, disait-il,
et l’un d’eux aurait certainement emporté mon parapluie à titre de souvenir.Dans la déclaration qu’il avait dû faire au commissaire qui l’interrogea, il avait dit qu’il était descendu à l’hôtel de France et de Champagne, rue Montmartre, et qu’il y logeait avec un compagnon de chambre.
L’instant d’après un commissaire de police se présentait à cet hôtel. Il y trouva Rudio couché, à moitié habillé et l’arrêta.
D’un autre côté, aussitôt dissipée la première stupeur de l’attentat, les recherches les plus actives avaient été ordonnées dans les maisons situées rue Le Peletier, en face du théâtre.
Là, se trouvait notamment un certain restaurant Broggi. Un homme paraissant étranger s’y était réfugié. Le trouble extrême auquel il était en proie, quelques paroles mêlées de pleurs où il était question de son maître attirèrent l’attention et bientôt les soupçons sur ce bizarre inconnu. On l’arrêta.
Aux premières questions qu’on lui adressa, il répondit qu’il se nommait Swiney et qu’i létait au service d’un Anglais.
Invité de faire connaître le nom de son maître, l’inculpé avait répondu qu’il se nommait Allsop. Et voilà comment – avec quelle extraordinaire facilité ! – les quatre complices furent arrêtés la nuit même de leur crime.
Le 25 février, ils comparurent devant la cour d’assises de la Seine. Gomez, interrogé le premier, n’eut d’autre souci que de sauver sa tête. D’une voix faible e tavec un fort accent italien qui rendait son langage presque inintelligible, il balbutia quelques humbles explcations mêlées d’excuses et de repentir.
-
J’étais, dit-il,
le domestique de M. Orsini, j’ai obéi à ses ordres.Et, se séparant de ses complices par une défense désespérée, il ajouté :
-
S’il plaît à M. Orsini de mourir, libre à lui.Rudio invoqua sa misère. C’était elle qui l’avait jeté dans le complot. Quand vint le tour de Piéri, il essaya de se dérober par une verbeuse harangue aux réponses précises qui l’eussent embarrassé.
Seul, Orsini sut se garder de ces bassesses ou de ces impostures. Au début de l’instruction, furieux que ses complices l’eussent dénoncé, il les avait chargés à son tour. Devant le jury, il reprit toute sa sérénité, affecta d’ignorer ses compagnons et de s’offrir seul en victime.
Son système se résumait en un mot : il avait vu dans l’Empereur un obstacle à la liberté de l’Italie, c’est pourquoi il avait résolu de l’immoler.
Il s’obstina pourtant à nier qu’il eût lancé aucun projectile : à l’entendre, la troisième bombe avait été lancée par un Italien qu’il ne voulait point nommer, dont personne n’avait jusque-là soupçonné l’existence et dont aucune recherche de police ne put retrouver la trace.
Les débats furent pâles et brefs, tant l’évidence du crime assurait le dénouement. Après l’éloquent réquisitoire du procureur général Chaix d’Est-Ange, Jules Favre, défenseur d’Orsini, prononça avec une habileté audacieuse une extraordinaire plaidoirie où les atroces préparatifs du crime, le sanglant spectacle des victimes immolées et l’effroyable perturbation publique disparurent et s’absorbèrent dans l’image à dessein confuse d’un rêve patriotique.
Il termina par la lecture d’une lettre éloquente où son client adjurait Napoléon III de prendre en main la cause de la liberté italienne.
Orsini, Piéri et Rudio furent condamnés à mort, Gomez aux travaux forcés à perpétuité. A la demande de l’Impératrice, la peine de Rudio fut commuée et il accompagna Gomez au bagne.
Orsini et Piéri marchèrent à la mort, le premier avec la fermeté hautaine dont il ne s’était guère départi, le second avec l’assurance empruntée dont il avait fait étalage devant les juges.
Le 13 mars, à 6 heures du matin, on vint les prévenir que le moment fatal était arrivé. Pendant les suprêmes préparatifs, Orsini resta calme, impassible, méditatif, comme indifférent. Piéri se montra, au contraire, très agité, très surexcité. Tandis qu’on lui coupait le col de sa chemise, ses dents claquaient.
-
Du calme ! lui dit Orsini, qui lui tournait le dos.
-
Du calme ? répondit Piéri,
vous en parlez à votre aise, vous qui en avez toujours.-
Auriez-vous peur ?
Et, s’adressant à un geôlier, Orsini ajouta :
-
Veuillez prier monsieur l’exécuteur de ne pas jeter ma tête dans le même panier que celle de cet homme qui tremble.Vers six heures trois quarts, le funèbre cortège se dirigea vers la place de la Roquette. Piéri marchait le premier. Les deux condamnés étaient accompagnés chacun par un prêtre. Suivant les prescriptions de la loi sur la peine des parricides, ils étaient nu-pieds, enveloppés d’une longue chemise blanche, la tête couverte d’un voile noir.
Dès sa sortie de la prison, Piéri avait entonné le
Chant des Girondins’et c’était un spectacle effroyablement lugubre que de voir le voile noir qui recouvrait sa figure se soulever rythmiquement sous la respiration haletante et le chant du condamné. Orsini gardait le silence.
Arrivés au pied de l’échafaud, quand on découvrit leur visage et qu’on vit la mine impassible et sereine du chef du complot, il y eut un murmure d’étonnement dans la foule. L’huissier chargé de lire la sentence en éprouva visiblement une commotion dont il fut quelques secondes à se remettre.
Les deux condamnés gravirent les marches de l’échafaud. Parvenus sur la plateforme, ils écoutèrent la lecture de l’arrêt. Puis les exécuteurs s’emparèrent de Piéri qui chantait toujours :
Mourir pour la patrie,C’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie.Ses dernières paroles expirèrent sous le couperet.
Alors Orsini se départit de son mutisme. Avant de se livrer lui-même aux exécuteurs, il se tourna vers la foule et d’une voix pleine, grave, vibrante, comme solennelle, il lança au peuple ce double cri :
-
Vive l’Italie ! Vive la France !