1922 - Henri Désiré Landru

En vérité, je me demande ce qu'il adviendrait présentement de la presse française si elle n'avait point à se mettre sous la plume les détails des deux interminables comédies qui se jouent respectivement à Versailles et à Washington.

Quelque journal que vous ouvriez, vous ne lisez, en effet, que les déclarations d'un tas de Japonais, d'Anglais, d'Américains et voire de Français... Si vous tournez la page vous assistez au défilé imbécile de tous ces parents des victimes de Landru qui viennent sept ans après s'inquiéter de la disparition d'une femme qui leur était chère...

Vraiment, pour un début de saison d'hiver, les distractions sont plutôt rares. Mais quel est le moyen de ne pas parler de ces deux événements sensationnels, quand l'univers entier a les regards et le cerveau fixés uniquement sur la désunion mondiale des alliés et sur le découpage artistique des dix fiancées de l'homme de Gambais ?

En principe, ces deux histoires constituent, pour les gazettes françaises et étrangères, deux feuilletons avec « suite à demain ». Les aventures contées sont évidemment les mêmes, mais il y a la manière de les faire avaler aux lecteurs.

C'est ainsi, par exemple, que pour la Conférence de Washington, chaque pays et chaque parti politique présentent les événements à leur façon, ce qui offre l'avantage d'une certaine variété au citoyen polyglotte et dégagé des biens-de ce monde qui n'a en vue que sa réjouissance intellectuelle.

Ce citoyen que vous êtes, et moi aussi, peut également faire de judicieuses et amusantes réflexions. Il constatera notamment que là-bas, comme ailleurs, tous les apôtres du désarmement applaudissent en bloc au projet qui consiste à supprimer les bateaux et les fusils; mais sont absolument convaincus de la nécessité de fabriquer de puissants navires et de monstrueux canons pour s'en servir, le cas échéant, contre ceux-là même avec lesquels ils causent actuellement de la paix !

A Washington comme à San-Remo, comme à Berne, comme à la Haye, comme à Boulogne, comme partout où se réunissent des diplomates, ce ne sont que des paroles, que de la comédie, que des palabres, que du vent.

C'est pour le bon public payant que nous sommes que toutes ces pièces se jouent. On nous verse de l'illusion en dépêches, en attendant que nous acquittions nos contributions en argent.

Acceptons donc philosophiquement la comédie qu'on nous joue... Soyons bien sages à nos chers fauteuils d'orchestre. Montrons que nous sommes des invités convenables en applaudissant les belles tirades des grands premiers rôles. Quand le spectacle sera terminé, nous nous dirons, comme lorsque nous rentrons du théâtre : « La pièce ne veut rien dire ! Les acteurs l'ont défendue de leur mieux... On ne s'est pas ennuyé, c'est l'essentiel ! Et sur ce... allons nous coucher ! »

L'affaire Landru est plus joyeuse.

Je ne sais pas si vous partagez ma façon de voir, mais on ne parviendra jamais à me la faire prendre au sérieux. Je vais plus loin... Je me demande même si les victimes, vraies ou fausses, de ce Barbe-Bleue à la barbe rousse étaient vraiment intéressantes ! Toutes ces femmes sur le retour qui ne prenaient que des billets d'aller pour la petite propriété de Gambais me semblent avoir été punies par où elles avaient péché.

Est-il donc possible qu'une femme ne puisse atteindre à la cinquantaine sans être chatouillée par le désir immodéré du mariage ? Quel est ce besoin imbécile de considération qui les excite ? Chacune de ces dix disparues ne sont tombées dans les bras de Landru que sur la promesse du conjugo, ce qui ne veut pas dire de l'amour.

S'il s'agissait d'amour, elles seraient excusables puisque c'est là une maladie qui n'épargne personne et pour la guérison de laquelle, depuis que le monde est monde, on n'a pas encore trouvé de remède. Mais, il était question uniquement de mariage. C'est là où l'on ne comprend plus.

Il y a encore une raison qui rend Landru sympathique aux foules : C'est que vraiment toutes ses fiancées étaient laides. On n'a pas idée d'un pareil assemblage de vilains tableaux ! On en arrive à excuser le Salon d'Automne.

Un de nos honorables, magistrats de la Cour de Paris qui se trouvait l'autre jour, en spectateur à la Cour d'assises de Versailles, disait à haute voix en feuilletant le dossier où sont épinglées les photographies des disparues : "Landru mérite le prix Monthyon" (1).

Nous autres, qui ne sommes point magistrats, nous n’irons pas jusque-là puisque nous risquerions de nous faire poursuivre pour apologie de faits qualifiés crimes ; mais avouons sans honte et sans faiblesse que nous pensons comme ce juge-là.

Bien des jours encore vont se passer avant que le rideau soit baissé sur ces deux farces qui occupent actuellement notre attention : La comédie de Washington et le drame burlesque de Versailles. Nous aurons donc tous les loisirs désirables pour nous faire une opinion décisive qui, d'ailleurs, ne changera rien au dénouement des deux pièces.

Toutefois, s'il m'était permis de formuler un désir, ce serait celui-ci : Je voudrais que le verdict de Versailles s'appliquât aux prévenus de Washington et vice-versa.

En somme, verriez-vous un inconvénient quelconque à ce que l'on guillotinât toute la diplomatie des deux mondes ?
D'autre part, le désarmement de Landru me semblerait malgré tout assez opportun. En suite de quoi on en ferait un diplomate.
Mais vous verrez que cette bonne idée, que je donne pour rien, ne sera pas suivie. C'est d'ailleurs le sort de toutes les grandes pensées et des vilaines femmes !

Le Journal amusant, n° 133 du 26 novembre 1921

(1) Ensemble de prix créés à l'initiative de Jean-Baptiste Auget de Montyon et décernés par l'Académie française et par l'Académie des sciences :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Montyon

Franck Ferrand revient sur l'affaire Landru dans l'émission "L'heure du crime" d'aujourd'hui.
Son invité : Eric Yung, écrivain et journaliste.

http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Au-coeur-de-l-histoire/Sons/L-INTEGRALE-L-affaire-Landru-1539799/

A télécharger éventuellement avant que le lien meure...

Bonne écoute !

Éric Yung:
- prénomme Anatole-le-Grand : "Antoine",
- situe l'exécution de Landru dans la cour de la prison.