Inhumation, tombes, sépultures des suppliciés

Transcription :
                               
 Gentilly, le 16 avril 1877
              
A l’occasion de l’inhumation de la dépouille mortelle du supplicié Billoir Sébastien Joseph, j’ai l’honneur de prier monsieur le Préfet de Police de vouloir bien me permettre de soumettre à sa haute appréciation les remarques suivantes.
C’est la troisième fois que mes fonctions m’ont appelé à assister à l’inhumation des cadavres de suppliciés. Chaque fois, à l’arrivée du fourgon, on a descendu le panier qui renferme le corps, la tête, la sciure de bois empreignée de sang. A peine Mr l’abbé Croze s’est-il éloigné, que le contenu du panier est brutalement renversé dans la fosse : le corps roule au fond et quelle que soit la position dans laquelle il tombe, on le laisse et on le recouvre de terre.
Ce matin, le cadavre de Billoir a été étendu sur le ventre, et la tête lui a été placée entre les cuisses, de manière que le visage était caché…
Ce procédé, qui choque la décence, a toujours été employé à l’égard des suppliciés.
En province, m’a dit un des aides de l’exécuteur, la dépouille mortelle des suppliciés est placée dans une bière apportée à l’avance au cimetière, et l’inhumation a lieu avec le respect dû aux restes de tout être humain.
Ne pourrait-on adapter cette manière de procéder pour les cadavres des suppliciés à Paris ?…Cela n’entrainerait point des frais considérables et répondrait très certainement aux voeux de la décence de l’humanité.
                 Le Commissaire de police,
                           illisible

- A propos de l’existence des carrés des suppliciés.
Le point de vu de Jean-Pierre Tricon, avocat, co-auteur du Traité de Législation et Réglementation Funéraire et ancien Directeur général des opérations funéraires de la ville de Marseille.
Pour lui, l’inhumation des condamnés à mort dans un endroit réservé n’avait aucun fondement légal. Leur inhumation aurait dû se faire parmi les autres sépultures publiques. Il a agit en ce sens pour les dépouilles de Christian Ranucci, en 1976, et Hamida Djandoubi en 1977. Leur  corps n’ont pas été déposés dans le carré des suppliciés comme cela se pratiquait antérieurement.
Lire son argumentation : ICI


Aumônier à la prison de la Grande Roquette à Paris (dépôt des condamnés), pendant 22 ans, il a accompagné devant la guillotine cinquante-et-un condamnés à mort, dont  Avinain, Troppman, Prévost, Ménesclou…

Le 4 avril1871, pendant la Commune de Paris, l’abbé est arrêté par Raoul Rigault, chef de la police. Il est incarcéré à la prison de Mazas (Paris 12ème). Faisant partie des otages qui seront plus tard fusillés à la prison de la Roquette il échappe de peu à la mort, sauvé par le capitaine fédéré Révol qu’il a autrefois connu.

Le 21 mai, l’armée de Versailles entre dans Paris par surprise et investit peu à peu les arrondissements de la capitale. Le 27 mai, Révol se replie sur le fort de Vincennes encore tenu par les fédérés. Le 28 mai, le fort est repris par les troupes de Versailles. Les fédérés se rendent.
Comparaissant devant une tribunal militaire, Révol est condamné à mort le 29 mai et dans la nuit du 30 il est fusillé, dans le fossé sud du fort, avec huit officiers, et sous-officiers, fédérés.

L’abbé Crozes rendra un hommage au capitaine Révol dans une publication :
LE CAPITAINE FÉDÉRÉ RÉVOL
Récit historique de L’ABBÉ CROZES
Aumônier de la Grande-Roquette
Otage de la Commune
ARRESTATION - CAPTIVITÉ- DÉLIVRANCE


Plaque posée dans le fossé sud du fort de Vincennes en mémoire des neuf fusillés. Elle s’avèrera être fausse. Merlet s’est suicidé dans sa cellule et Foltot sera déporté en Nouvelle-Calédonie. Seul Delorme a été exécuté.
Aujourd’hui, les noms exacts des neufs fusillés sont connus. Jusqu’à présent, les tentatives pour faire poser une nouvelle plaque dans le fossé sont restées vaines.
Source du document : Les Amies et Amis de la Commune de Paris.

J'ai jeté un coup d'oeil aux registres du cimetière d'Ivry, et le 1er exécuté dont je trouve trace est le parricide Duchemein en 1909...

Madame Marie-Chrisine Pénin, du site Tombes, Sépultures, avait fait des recherches sur les deux cimetières D'Ivry.
D'après elle, pour le grand Ivry parisien, figure en premier Tiburce Gamahut,  en 1885.
Ses recherches sont remarquables et son site très riche d'informations..

https://archives.paris.fr/s/25/cimetieres-rj/?

Merci Mercattore, j'ai contacté Madame Pénin pour essayer de voir ce qu'il en est.

Nemo a écrit:

Je tiens l'information d'un ancien exécuteur "bénévole"...

La tête entre les jambes serait une invention journalistique.

Cela se produisait quand même quelquefois, semble--il, puisque le commissaire de la commune de Gentilly écrivait dans sa lettre
de réclamation du 16 avril 1877 :
« Ce matin, le cadavre de Billoir a été étendu sur le ventre, et la tête lui a été placée entre les cuisses, de manière que le visage était caché…
Ce procédé, qui choque la décence, a toujours été employé à l’égard des suppliciés. »

VOIR : https://guillotine.1fr1.net/t1977p125-inhumation-tombes-sepultures-des-supplicies
( post du 30 avril 2022).

La tombe de Landru au cimetière de Versailles : [photographie de presse] / Agence Meurisse

piotr a écrit:

La tombe de Landru au cimetière de Versailles : [photographie de presse] / Agence Meurisse

Excusez moi si je me trompe , on m'avait dis , que les tombes des condamnés , e devaient avoir aucun signes distinctif?

mercattore a écrit:

C'est exact, Vivier. Remarque : seuls, figurent les prénoms. Peut-être une mansuétude des autorités ? Dans ce cas, pourquoi, effectivement.

Je crois que l'interdiction porte sur l'identité complète.
Certes, ce prénom est évident pour quiconque, mais cela reste un prénom : possible qu'un passant lambda n'y prête qu'une attention limitée.

Nemo a écrit:

Je crois que l'interdiction porte sur l'identité complète.

Némo, est-ce vraiment précisé dans la loi ?
Et l'extrait de ce passage relatif à l'inhumation des corps des suppliciés réclamés par la famille :
« Les corps des suppliciés seront délivrés à leurs familles, si elles les réclament, à la charge par elles de les faire inhumer sans aucun appareil. »

Pas très explicite ce mot « appareil ».

J'avoue que je ne sais pas.
Il faudrait que je retrouve le texte précis.
Ca rejoint quand même le fait que Christian Ranucci ait eu droit à sa plaque en cyrillique...

Les corps des suppliciés seront délivrés à leurs familles, si elles les réclament, à la charge par elles de les faire inhumer sans aucun appareil. »
Ce n'est pas clair. A mon humble avis, "sans appareil" peut vouloir signifier sans cérémonie. Dans le passé, en faisant des recherches sur J. Bastien-Thiry, j'avais été étonné de constater que sur sa tombe, son nom et son prénom sont mentionnés. Il a été condamné par la Cour Criminelle de Justice et fusillé donc le régime des droits communs ne s'applique peut-être pas. Il serait intéressant de savoir si certains collaborateurs fusillés après la guerre ont une tombe avec leur nom et prénom. Cordialement

Merci mercatorre pour les infos. Sur le net, on trouve la photo de la tombe de Jacques Fesch avec son nom, prénom, années de naissance et de décès. Cela ne signifie pas que cela est permis par la Loi mais je doute qu'une quelconque administration s'occupe de cela. Cordialement

C'est une bonne information, Bernardino. Avec le temps qui passe l'administration laisse faire, ce qui est plutôt positif.
Apropos de « sans le moindre appareil », notre ami Fouche écrivait en 2017 sur ce forum : La famille du supplicié avait le droit de réclamer le corps à charge pour elle de l'inhumer "sans le moindre appareil"; c'est à dire sans monument funéraire.

Je ne sais que penser de l'interview de M.Tricon.
Rien ne laisse entendre qu'on ait enterré Ranucci et Djandoubi ailleurs qu'au mur des suppliciés, qui servait depuis au moins 1912.
Buffet et Bontems à Ivry, Carrein à Douai, Benyanès dans ce même cimetière... aucun n'a semble-t-il échappé à l'enterrement à la sauvette dans un coin reculé.
Il aurait été le seul à agir en substance pour la France entière ?

Nemo, pour la France entière  je ne crois pas mais pour Marseille je le crois.
Cela s'est fait spécifiquement à Marseille, sans plus. Je ne pense pas que M. Tricon tire la couverture à lui.