Les trois condamnés à mort sont à dissocier. Aaron Zaoui a été condamné le 28 juin 1938 pour l’assassinat de Jules Aubertin, personnalité très connue dans la vie Oranaise et au-delà.
Fakrar (parfois écrit Fahar) Mohamed Ould Abdelkader et Nour Zahar Ould Saïd (parfois écrit Nour Taher (ou Tahar) ben Saïd, ont été condamnés le 3 juin 1938 pour assassinat, vols qualifiés, violences et voies de fait à agent.
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Ces trois exécutions font partie des sept dernières effectuées publiquement en Algérie, les quatre autres leur succédant, en sept mois, dont la dernière, Bouzid Belkacem, à Philippeville, le 8 juin 1939.
Cette dernière fut suivie, le
19 août 1939 à
Philippeville, par la première exécution non publique, Rahmouni Zihana ben Ahmed, auteur le 6 mars 1938 d’un triple meurtre, dont celui de son père, au douar de Denana, canton de Collo.
L’arrêt de la cour stipulait qu’il serait exposé nu-pieds, en chemise blanche, la tête recouverte d'un voile noir, l’exécution se faisant sur une place de la ville.
Elle ne pu avoir lieu publiquement, le décret du 24 juin 1939 — supprimant la publicité des exécutions capitales — modifiait également l’article 26 du code pénal, établissant désormais le déroulement des exécutions capitales dans l’enceinte d’un établissement pénitentiaire.
Par contre, le rituel parricide a probablement été observé, sa suppression — si mes souvenirs sont exacts — ayant du advenir dans les années cinquante, c’est du moins ce que Sylvain-Némo avait indiqué dans un post sur ce sujet (Némo, avez-vous trouvé la date précise de sa suppression ? Ce n’est guère facile, en tous cas !)
Pour les exécutions capitales au Magheb voir le
Palmarès du Maghreb, de Sylvain Larue (Némo) : http://guillotine.voila.net/Palmalger.html
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Préambule.
Quotidien
l’Echo d’Alger, du 23-06-1938.
(source : gallica.bnf.fr)
AUX ASSISES D'ORAN Henri Zaoui accusé du meurtre
de M. Jules Aubertin
devant ses juges Pour détourner les soupçons
le prévenu, débiteur de la victime,
aurait simulé un accident
Une autopsie pratiquée un an après la mort
fit découvrir trois balles de revolver
dans le corps carbonisé de la victime Aujourd'hui, devant la cour d'assises d'Oran, commencent les débats de l'affaire Zaoui, prévenu d'assassinat sur la personne de M. Jules Aubertin, grand mutilé de guerre, administrateur général pour l'Afrique du Nord de la Société C.A.M.I.A, ancien vice-président général de l'U.N.C. à Paris, président de l'U.N.C. de Paris et de la Seine, membre du conseil supérieur des Pupilles de la Nation, du conseil d'administration de l'Office national des anciens combattants, de la Confédération nationale des anciens combattants et victimes de la guerre, conseiller municipal d'El-Biar.
On se souvient de l'émotion intense soulevée dans l'Algérie entière par la nouvelle de la mort brutale de ce héros de la guerre, excellent camarade, homme charmant, heureux père de trois adorables fillettes. On se rappelle aussi la stupéfaction indignée que provoqua partout, aux premiers jours de l'instruction, la découverte que ce qui ne semblait tout d'abord qu'un lamentable accident, se révélait, au fur et à mesure des enquêtes, pouvoir être un crime épouvantable, mûrement prémédité.
L’accident Le 5 décembre 1935, M. Jules Aubertin se rendait à Oran, après avoir, à Inkermann, pris dans sa voiture son agent d'Oranie, Henri (Aaron, dit Henri) Zaoui, et donné la liberté à son chauffeur Quirici, avec lequel il avait fait le parcours depuis Alger.
Il repartit de ce centre vers 16 heures en direction d'Oran, conduisant lui-même sa voiture, tandis que Zaoui se trouvait sur le siège arrière, lorsque à trois kilomètres de Noisy-les-Bains, le véhicule vint percuter le tronc d'un des eucalyptus qui, à cet endroit, bordent la route.
Zaoui se rendit alors à une maisonnette de garde-barrière située à quelque distance de là et revint avec du secours.
La gendarmerie, aussitôt prévenue, arriva peu après sur les lieux. Le chef de brigade Teissier, de Noisy-les-Bains, fit les premières constatations : la voiture, probablement par suite du dégonflement du pneu arrière gauche, avait été déportée vers la gauche sur une longueur de douze mètres ; elle était entièrement carbonisée. Les restes de M. Aubertin se trouvaient placés sur le bas côté de la route, à deux ou trois mètres des débris du véhicule.
Zaoui fut aussitôt interrogé et voici la version qu'il donna de l'accident.
Il se trouvait étendu sur le siège arrière, car il souffrait d'une crise de foie, légèrement somnolent, mais ayant cependant l'impression d'une marche rapide, lorsque à un moment donné il ressentit un choc violent. Il interrogea M. Aubertin qui lui répondit : «
ce n'est rien. » Il essaya vainement d'ouvrir les portières fermées par des boutons de sûreté. Il put cependant sortir par la portière arrière droite et s'efforçait de dégager M. Aubertin qui gisait inanimé lorsque le réservoir éclata. Immédiatement la voiture entière était en flammes.
Il courut alors demander du secours au passage à niveau et revint avec un voisin, M. Vaisseau,qui éteignit l'incendie avec de la terre et dégagea les restes carbonisés de M. Aubertin qu'il plaça derrière la voiture, sur le sol.
Contre l’eucalyptus, la voiture en partie brûlée Les premiers éléments de l'enquête sont troublants[/b]
M. le docteur Vidal, de Rivoli, fut chargé d'examiner le corps. Cette visite eut lieu le lendemain de l'accident, 6 décembre, et ne permit pas d'inculper Zaoui, l'unique compagnon de voyage de la victime.
Le 8 décembre une première autopsie était ordonnée par M. Coriat, juge d'instruction du parquet d'Alger et pratiquée à Alger par les docteurs Giraud, Laquière et le médecin légiste Wittas. Le résultat en fut négatif.
Cependant les bruits allaient leur train. On disait dans la région que deux mois auparavant, exactement le 6 octobre 1935, sur la route de Fleurus, un premier accident de même nature, sans gravité d'ailleurs, était arrivé à M. Aubertin, alors qu'il se trouvait dans une voiture conduite par Zaoui. On apprenait ensuite qu'un dossier relatif à une dette de 72.000 francs dont Zaoui était débiteur, avait disparu.
Le chauffeur de M. Aubertin, Quirici, apporta au magistrat instructeur des précisions en contradiction formelle avec certaines affirmations de Zaoui.
Une enquête établit ensuite que Zaoui avait acheté à Relizane un bidon d’essence, qui fut d'ailleurs retrouvé vide dans la voiture, alors que M. Aubertin avait fait à Inkermann le plein de son réservoir, ce qui lui était largement suffisant pour arriver à destination.
La suite de l'enquête permit encore des constatations troublantes, notamment la découverte dans l'automobile d'un revolver de 6 mm. 35 que Zaoui reconnut comme lui appartenant et de trois douilles éjectées dont deux percutées.
Enfin les renseignements sur les antécédents de Zaoui s'avérèrent peu favorables.
C''est alors que le frère de M.Aubertin professeur à la faculté de médecine de Bordeaux, vint sur place se livrer à une enquête personnelle, et, déposait le 13 décembre, une plainte contre inconnu et se portait partie civile.
Les charges contre Zaoui se précisent Les magistrats instructeurs poursuivirent une double opération : expérience avec le revolver trouvé dans la voiture et nouvelle autopsie du corps de M. Aubertin.
L'expérience faite par un spécialiste, avec le pistolet automatique chargé et placé dans un foyer, démontra — ainsi que M. le professeur Giraud l'avait précédemment annoncé — que, sous l'influence de la chaleur, les balles explosaient sans percuter. On en tira cette conclusion que l'arme avait dû servir avant l'incendie.
La seconde autopsie, pratiquée le 6 janvier 1938, à 21 heures, à l'hôpital de Mustapha, avec les appareils de détection les plus modernes, fit découvrir trois balles de 6 mm. 35 logées : la première à 3 centimètres environ au-dessus du milieu de la clavicule ; la seconde, à la face antérieure du muscle, le long du cou ; la troisième, au corps vertébral, sur la face intérieure de la cinquième côte dorsale, celle-ci ayant sectionné la moëlle épinière.
La conclusion en fut que ces projectiles avaient été tirés d'arrière en avant, suivant une ligne sensiblement horizontale et possédaient une grande force de pénétration, ce qui suggère que les coups de feu ont été tirés à courte distance et qu'ils ont dû produire un choc médullaire violent, entraînant une perte de connaissance avec coma.
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Le crime
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Zaoui est arrêté
Zaoui fut appréhendé le 7 janvier, à midi, alors qu'il regagnait son domicile.
Il se laissa arrêter sans demander la raison de son arrestation, et sans paraître s'en étonner outré mesure. Conduit à 14 heures à Mostaganem, il y fut écroué.
Interrogé à nouveau le surlendemain, il protesta véhémentement de son innocence et maintint sa première version de l'accident. Cependant les charges s'accumulaient sur lui, de plus en plus lourdes, et les faits venaient donner à ses affirmations de cinglants démentis.
C'est ainsi, avait-il déclaré, qu'il avait pris rendez-vous à Inkermann avec M. Aubertin, pour le mettre en rapports avec un propriétaire désireux de vendre sa voiture, mais que ce vendeur éventuel, que l'on avait attendu toute la journée, n'avait pu venir parce que sa femme était malade. Or, il n'y avait pas ce jour-là dans la région de propriétaire d'automobile se trouvant dans ce cas.
Il prétendit qu'il était venu avec le train, alors qu'il était arrivé en auto.
Il affirma qu'il avait couru demander du secours à la maisonnette du garde-barrière, distante d'un kilomètre 200 du lieu de l'accident, et il a été établi qu'il y avait déjà une demi-heure que l'auto brûlait, et qu'il a commencé par demander s'il pourrait se procurer une voiture pour rentrer au village.
Au cours de la reconstitution, effectuée le 12 mars 1935 à 17 h. 30 sur le trajet d'Inkermann à Noisy-les- Bains, soit sur une distance de 105 kilomètres, au moyen d'une voiture strictement semblable à celle de M. Aubertin et conduite par Zaoui, il fut constaté que la consommation d'essence avait été de 13 litres, et non de 17 comme le prétendait l'inculpé pour justifier l'achat qu'il avait fait d'un bidon de secours à Relizane.
Il déclara qu'il avait acheté, deux mois avant le crime, et pour la somme de cent francs, le revolver trouvé dans la voiture et il a été établi que ce revolver lui avait été donné, dix à quinze jours seulement auparavant par un mécanicien d'Oran, lequel a déclaré l'avoir trouvé une nuit dans la rue. ll avait primitivement affirmé que ce revolver se trouvait dans une « mallette », puis il a reconnu qu'il s'agissait d'un sac en toile.
Enfin, des, expertises pratiquées sur la voiture et sur l'eucalyptus contre lequel elle avait percutée ont toutes deux conclu à une vitesse maxima de 40 kilomètres alors que Zaoui l'avait toujours évaluée à 80 kilométres.
De ces divers éléments l'information déduisit, que le crime aurait pu avoir lieu avant l'incendie du véhicule entre Inkermann et Relizane. Et cette déduction semble renforcée par la déposition d'un témoin se rendant ce soir là à Mostaganem pour assister à une représentation théâtrale, qui affirme qu'il a été suivi par une voiture par laquelle il lui a été impossible de se laisser doubler quoiqu'il ait été obligé d'aller à une allure très réduite par suite du mauvais fonctionnement de son moteur.
La parole est aux juges Telle est dans les principales lignes objectives, l'affaire dont les débats commencent ce matin devant la cour d'assises d'Oran, présidée par M. le conseiller Esnaud, assisté de MM. Chaffal et Chebanier, juges au tribunal.
Le siège ministère public est occupé par M. Peuzo, substitut du procureur de là République.
Quarante-sept témoins sont cités, et trois journées sont prévues, au cours desquelles M. le bâtonnier Gandolphe se portera partie civile au nom de la famille de la victime et M. le bâtonnier Tabet ainsi que Maitres Luglia, du barreau d'Oran, et Murtula, du barreau de Mostaganem, assureront la défense de l'accusé.
Comme on peut en juger la succincte évocation que nous venons de faire de cet effroyable drame, les débats commencés au moment où nos lecteurs auront connaissance de ces lignes seront immensément troublants.
Nous nous efforcerons en toute objectivité d'en donner une physionomie précise.
Notre exposé permettra, espérons-nous, de réfléchir mieux dès maintenant à l'effrayant secret de la destinée dé l'accusé.
Coupable, c'est le plus affreux personnage qui se puisse imaginer.
Innocent, c'est l'homme le plus pitoyable dans son malheur fatal, dont, les tortures durent, mois après mois, depuis plus de deux ans.
On murmure, on dit, depuis longtemps déjà, que le procès pourrait nous annoncer des coups de théâtre. Naturellement, n'est-ce point là le prélude obligatoire de toutes les grandes causes criminelles ?
Fernand HUGUES
à suivre